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Billet de blog 1 juillet 2024

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Quand la culture passera l'arme à l'extrême droite...

La culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile. Dixit un article d’une revue économique. En réalité, la culture rapporte de l'argent. Non, répond une voix à table. Pourquoi tu dis ça ?Petite polémique de proximité sur fond d’anxiété électorale. Comme sous de nombreux toits en ce moment. Même ambiance tendue que lors des conversations au moment du Covid. Voire en pire.

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© Photo non créditée

«  Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise. » Bertol Brecht

            La culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile. C'est le thème d'un article d’une revue économique. La culture coûte de l’argent, entend-on souvent dire. En réalité, c’est faux. Elle en rapporte. Non, répond une voix à table. Début d'une petite polémique de proximité sur fond d’anxiété électorale. Comme sous de nombreux toits en ce moment. Même ambiance tendue que lors des conversations au moment du Covid. Voire en pire. Toutefois, je dois avouer n'être pas doué dans les débats de vive voix. Capable de m’enferrer. Et même parfois d’être de mauvaise foi. Sans doute que je devrais cesser de parler « politique » à table. Me contenter d’écouter. Et de ne donner mon opinion que par écrit. Privilégier les conversations sur la littérature, la bouffe, le pinard, la nature… Et bien sûr l’épice nécessaire d’un repas : l’humour. Et une pincée de rire.

         Le dialogue était en fait impossible. Avec le recul, je me suis rendu compte que nous ne parlions pas de la même chose. Pas le premier et dernier quiproquo lors d’une conversation. Mon interlocutrice évoquait notamment la culture en termes de bibliothèques et médiathèques municipales, centre culturel, théâtres et cinémas subventionnés… Autrement dit les institutions culturelles vivant avec des fonds publics ; le fameux, « ce sont nos impôt » que certains ne supportent pas de voir injectés dans la culture et dans l’éducation, sans jamais critiquer la construction de stades, l’aide financière de l’État apporté à de très grandes entreprises ne payant pas d’impôt en France, les réceptions à Versailles pour l’accueil d’un couple royal, les allers-retours d’un Président pour aller voir l’équipe de France jouer au Qatar, etc. Le propos de mon interlocutrice tournait autour de la culture publique. Tandis que je parlais de tout ce que rapportaient notamment les festivals de France en retombées économiques : hôtellerie, autres commerces, transports, etc. Sans oublier tous les emplois. Mais elle avait raison : la culture publique a un coût. En argent. Et en courage politique.

          La troisième personne à table avec nous s’inquiétait de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir pour la culture. Persuadé que c’était le premier secteur qui allait être sabordé. Dans de très nombreux domaines. Dont celui de notre très bel et grand « phare des ondes » qu’est Radio France. J’émettais un doute là-dessus. Arguant que l’extrême droite aurait d’autres chats à fouetter avant de s’attaquer à la culture. Au fil et à mesure de la conversation, je me suis rendu compte être complètement dans le déni. Avec des œillères en béton armé. Fermé à une évidence. Pourtant incontournable et simple. En plus, on l’a déjà essayé dans ce pays. Et  ailleurs sur la planète.

          Évident que l’extrême-droite allait s’attaquer d’emblée à la culture. Pour moi, ça ne pouvait être leur priorité. Alors que, partout dans le monde et l’histoire de l’humanité, la culture est leur principale cible. Pour peu à peu vampiriser les cerveaux et les occuper. Pour n’offrir à la population qu’une culture blanche et plate. Ne donnant pas des clefs pour s’interroger, douter, penser contre soi-même et ceux qui dirigent. En bref, une culture anesthésiante. Exsangue de sens. À une époque très sombre, l’un d’entre eux sortait son revolver quand il entendait parler de culture. On sait où ses mots et d’autres des mêmes bouches ont abouti. Des livres et des corps brûlés.

          Totale erreur de ma part. Comme souvent, quand on refuse de lâcher une idée qui ne mène nulle part. Jamais facile de constater qu’on se plante dans toutes les largeurs. Rajoutant même des longueurs. On rame sans se rendre compte qu’on est déjà sous le fond. Les erreurs font avancer, comme on dit. En l’occurrence, cette conversation m’a rappelé les fondamentaux de la culture publique. Celle qui élevait et élève nombre de conscience citoyenne. Oui ; l’extrême-droite est l’ennemie de la culture. Sauf celle qu’elle véhicule. C’est à ça entre autres qu’on reconnaît l’extrême-droite : la haine de toute autre culture que la sienne. Et de celles et ceux qui la portent et la font vivre. Pour résumer : la haine de la liberté qui ne leur ressemble pas.

         Prêcher pour ma paroisse culturelle ? C’est vrai en partie. Plusieurs décennies que je vis de mon écriture. Survivre serait le terme le plus adéquat. Même en me sentant comme un nanti ; au regard de beaucoup en ce moment, ici en France, et dans le monde. Un très grand luxe de faire ce qu’on aime. Chaque jour a enfiler sa panoplie d’un rêve de gosse. Mes droits d’auteur, plus les ateliers d’écriture ( médiathèque, collèges, lycées, EHPAD, etc.) me permettent de participer au quotidien d’une vie de famille. En bref, pas dans la misère. Même sans le statut d'intermittent du spectacle. Les auteurs et autrices écrivent sans filet. Très peu à très bien vivre de leurs droits d'auteur. Plus d'artistes dans la dèche que payant l'Impôt Sur la Fiction, etc. La majorité ont un emploi pour faire bouillir la marmite. Ne pas être un grand consommateur peut sauver. Vivre chichement au bord de son clavier.  Un prolettré, comme je radote. Mais pas du tout à plaindre. Suffit d'ouvrir les yeux ou un écran pour relativiser.

          Le film « Les visiteurs ». J’ai beaucoup aimé. Comme d’autres films grand public. Pareil pour la musique populaire. Élevé par la radio sur la table de la cuisine, j’aime bien la variété, au sens le plus large du terme. Mais aussi des chanteurs comme Bruce Springsteen. Autrement dit, des vedettes. Celles qui n’ont pas besoin d’aide. Puisqu’elles rapportent sur le plan du fric et en termes de notoriété (les huiles politiques se pressent toujours aux premiers rangs des spectacles) pour les lieux les accueillant. Avec l’extrême-droite aux commandes de la culture, plus que ce genre de grandes vedettes. Dont certaines très talentueuses.

          Et les autres bons artistes œuvrant dans l’ombre ? Pour eux, ce sera la fin de tous les «  labos de création » loin des caméras et des tapis rouges. Ces espaces où l’on peut prendre le temps de s’égarer avant d’arriver à l’œuvre finale. Cependant être inconnu du grand public ne rimant pas nécessairement avec avoir du talent. Toutefois, dans cette ombre, il y a aussi de grands artistes. Pourquoi leur talent ne perce pas ? Dotés d’un carnet de maladresses, mal communicant, caractériel, pas la bonne rencontre au bon moment… Sans doute plusieurs raisons mêlées. Tuer ces talents en les asphyxiant économiquement car non-bancable ? C’est déjà la volonté des dirigeants actuels. Imaginez un instant un ministre de la Culture sous un régime d’extrême-droite. Impossible. Ce ministère sera le premier supprimé. L’argent de la culture déplacé vers ailleurs. Un ministère de la propagande ?

         Des soucis plus urgents que la culture ? Bien sûr. Tout ce « social en colère et non-écouté » qui a submergé les urnes. Une foule de gilets jaunes rassemblés à distance dans les isoloirs: nouveaux ronds-points des invisibles ?  Les gens vivants au-dessous des seuils de pauvreté, les solitudes ou famille dans les rues, les habitations délabrées, les quartiers ghettoïses… La liste est non-exhaustive. Et à rallonges. Sans oublier non plus les féminicides, les viols, le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie… Une liste de haines aussi non-exhaustive. Et qui rallongera sans le moindre doute si l’extrême-droite accède aux leviers de commande du pays. Toute cette énumération me semble prioritaire. Mais la culture est aussi une urgence.

        Sans elle, la fin du doute. Plus que des réponses verticales. Taisez et pensez ce qu’on vous donne sur nos chaînes nationales. D’aucuns diront que c’est déjà le cas. Bien sûr qu’il y a toujours des manipulations pour nous faire penser, voter, consommer, toujours dans le même sens. Mais aujourd’hui, l’offre culturelle est encore très large. Avec nos cerveaux, nos yeux, nos oreilles ; nous avons la possibilité de plusieurs choix. Ce qui ne sera pas le cas si le pire vient à diriger notre quotidien. Et donc de notre curiosité. Par qui est-elle nourrie en partie ? Par la culture. Et pas celle assénée par une voix verticale, monotone et monocorde. Toujours la même antienne. Unique parole publique. Ne supportant pas la curiosité. Beaucoup trop dangereuse à terme. Dans le décorum,  n'accepter que  des admirateurs des beaux tapis. Surtout pas de mains les soulevant...  La curiosité a besoin d’une culture curieuse. Et irrévérencieuse.

        Celle qu’il ne faut pas laisser tomber. Autant les artistes que celles et ceux qui s’en nourrissent au quotidien ou de temps à autre. Cette culture curieuse à besoin de nous tous et toutes. Pour ne pas être étouffé sous les bottes des obscurantistes de la « pureté du sang ». Prêts à tout détruire. Pour instaurer une culture du «  droit du sang ». Plus que des productions artistiques made in « entre-soi et terroirs ». Du genre du spectacle ouvrant la Coupe du monde de Rugby à Paris. Plus que de la culture enracinée dans le passé. Pour ne pas dire enfermée. Sans négliger le passé, une autre culture existe. Laquelle ?

          La culture ouvreuse de mondes.

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