«Le déplacement pendulaire, appelé aussi migration ou mobilité pendulaire, est le déplacement journalier de la population des grands centres urbains entre les lieux de domiciles et les lieux de travail ou de scolarité. C’est le fameux métro-boulot-dodo.»
Beau soleil d’hiver incrusté sur la vitre du TER. Ce 30 janvier s’ouvre avec une belle lumière. Un voyageur monte. Des lunettes noires voilent son regard. Le train repart. L’homme pose son sac sur un siège. Face à lui, une jolie brune plongée dans 2084, le roman de Boualem Sansal. Ce bouquin comme un télescopage de la réalité et de la fiction. Le type, extrêmement agité, parle tout seul. Sans téléphone portable, ni oreillette. Un fêlé comme on croise parfois dans les transports. Un idiot de ville ? Jusque là tout va bien…Avant qu’il ne s’éloigne de quelques pas. Il se plante entre deux soufflets de la rame. Une toile de regards surveille son sac. Un objet suspect.
Le soleil occulté par le soudain silence. Plus un mot, les souffles retenus. Des regards furtifs échangés. La trouille se lit sur tous les visages autour de moi. Sur le mien aussi. Que faire ? Le type continue son monologue en faisant de grands gestes. Un vrai malade mental ? Une caméra cachée ? Un comédien ? Humour noir? Un original ? Désir d’être au centre de l’attention des autres usagers? «Hein, je vous fous la trouille ! Que peut bien contenir mon sac ? Vous êtes mes jouets.».Difficile de connaître ses intentions. Mais il est de fait le centre de l'espace. Grand méchant loup de TER.
Un silence très pesant, partagé avec des inconnus dans un lieu public. Qui n'en a pas vécu des plus ou moins agréables ? Quand les regards font office de mots, parfois reflets de maux. Ce silence français. Comment était-il avant 2015? Quand a-t-il changé? Depuis la barbarie de Mohamed Merah ? Un changement plus éloigné dans le passé ? Difficile de dater cette bascule. Le «silence d’avant» n’était pas plus beau, ni plus intéressant. D’autres inquiétudes et inimitiés dans les transports. De belles rencontres et joies aussi. Les regards éphémères chargés de désir. Une femme ou un homme croisé qu’une fois, ou tous les jours mais à qui on n’adressera peut-être jamais la parole ; des corps happés pour être parfois effeuillés plus tard, les paupières closes. Et celui terminant toutes ses nuits avec force ronflements.Celle qui parle fort, racontant la même histoire. Odeurs de sueur et agréables parfums. Des amitiés et des histoires d'amour nées durant ces voyages. Sans oublier les engueulades. Le pire et le meilleur condensé. Un huis clos mobile classique.
Désormais, depuis le 7 janvier, accentué par le 13 novembre, ce silence est habité d’une irrépressible trouille. Plus la trouille - devenue quasi insignifiante- de se faire chourer son bien. Ou d’être insulté par des cons. Toutes les trouilles anciennes remplacées par une seule. Plus rien d’autre qu’elle. La trouille en haut de l’affiche individuelle et collective. Elle semble avoir effacé tous les autres soucis de la vie publique. Même les « cailleras» ont moins la une des JT et autres hebdos de gauche et de droite. Le sac abandonné par un métèque, une femme voilée sur la droite, une djellaba à midi… Et la machine à images mortifères s’enclenche sous le crâne. Chaque jour tel un film très noir ?
Vivre ensemble serait ce aussi reconquérir ce silence ? Que l’espace public, notamment les transports en commun, ne soit plus vécu comme un danger permanent. Qu’aller bosser, étudier, s’éclater à une terrasse de bar ou dans une salle de spectacle, flâner dans les rues, ne se transforme pas en un parcours du combattant. Et aussi que le ou la métèque, athée (trop souvent oublié) ou musulman(e), ne soit pas confiné dans le rôle du kamikaze potentiel. Moins oppressant d’être pris pour un voleur que pour un terroriste ? La question peut se poser. Un portable se rachète, pas une vie.
D'une part, dees usagers des transports tétanisés d’inquiétude au moindre sac porté par un arabe ou un noir. Encore pire quand il le pose. D'autre part, des voyageurs cherchant à interpréter le regard silencieux de leurs voisins: me prennent-ils pour un terroriste ? Parano à toutes les places. En plus, certains journaux, comme le JDD, aime bien rajouter une couche de boue et de haine. Une grenade dégoupillée de plus dans le champ public, espace déjà fort miné. Des kamikazes de l’info?
Déchéance invisible quotidienne ressentie par certains, au visage de terroriste errant, en croisant tel ou tel regard chargé de tension. En face d’eux, d’autres citoyens, de type caucasien, avec une trouille compréhensible au ventre. Les morts de 2015, les victimes de Mohamed Mehra et d'autres attentats beaucoup plus anciens, ne sont pas des personnages de fiction. Aucun ne s'est relevé après la prise, ou seulement avec un corps et une histoire en miettes. Pas du cinéma et de la parano à un € qui fait flipper tous ces citoyens-voyageurs, chacun dans son ruminement intérieur. Indéniable réalité de l’horreur. Un voyage, avec sous le crâne, les infos du matin ou de la veille; pas un jour, sans un attentat sur la planète. Ni migrants échoués sur une plage.
Mais, assis dans on métro ou TER, personne ne peut penser se retrouver dans la peau d’un exilé tombé d’un bateau. Contrairement à l’image d’un corps déchiqueté, victime d’un kamikaze se faisant exploser dans un espace public. Projection légitime au regard de l’actualité récente, des victimes de proximité. Tous ces drames récents ou plus anciens générant ces frottements négatifs. Des regards en chiens de faïence. Chiens de souche contre bâtards au sang impur ? Nombre de chocs invisibles et permanents, entre fantasme et réalité. Comment déminer le silence français.
Partout pareil sur la planète. Le 11 septembre à commencé à changer le silence occidental. Ailleurs, notamment dans les pays musulmans- plus grandes victimes des barbares-, cette trouille est comme apprivoisée. L’habitude du pire à chaque coin de rue, même dans sa maison. Les silences de toutes les villes du monde sont chargés d’une même appréhension. Cette tension relayée en boucle, parfois dans le dessein de manipuler ou vendre du papier et du clic, par les médias. Buzz et barbarie se nourrissant l’un de l’autre. Qui a pris la place du communiste russe dans les têtes et les écrans ? Cet ennemi public numéro 1 derrière le rideau de fer combattu par James Bond. Autre temps, autres ennemis réels et fantasmés. Finie la peur du rouge avec chapka auréolée de la faucille et du marteau. Aucune crainte non plus de la bande à Baader ou Action directe. Anars et gauchistes n'inquiètent plus personne. D'autres ont pris la place.
Le terroriste devenu le grand méchant loup international ? Signant de son Allah Akbar sanguinaire au nom de tous les musulmans du monde ? D'aucuns le croient et-ou- le font croire. Fort heureusement, ce n’est pas le cas. La majorité des citoyens sait faire la différence. Pas prêt à l’amalgame… C'est vrai qu'il ne faut pas tous les.... Mais... Euh…Bizarre ce mec, en face de moi dans le bus. Des poignées d’amour ou autre chose son T-shirt? Pas l’air très net quand même. D'autres voyageurs l'ont remarqué aussi. Qu'est-ce qu'on fait ? Ce mec est très nerveux. Vraiment très étrange. Méchant loup ou simple citoyen?
Pendant ce temps là, d’autres-barbares plus policés- bombardent et pillent la planète à leur gré. Combien de morts et blessés totalise à elle seule la famille des croisés «christopétrolier» Bush ? Eux et leur alter égo - aussi des dirigeants musulmans sans scrupules- se partagent les richesses du monde comme des jetons de présence d’une grosse multinationale. Pollueurs et tueurs sans jamais de sang -directement - sur les mains. Des réchauffeurs de planètes, amis des coupeurs de têtes acheteurs d’avions et lapideurs de femmes, qui sont loin, très loin, des silences anxieux des terriens lambda. Tous ces anonymes coincés entre assassins à kalaches ou ceintures d’explosifs, leur préoccupation la plus urgente, jour après jour, et les autres tueurs sans crimes apparents; éloignés du vulgum pecus, ils massacrent sur le long terme la planète, en voitures officielles avec gardes du corps. Pas du même monde. Chacun ses transports. Chacun sa trouille.
Ma station se trouve avant la gare de Toulouse. Aucun attentat dans un TER de Midi Pyrénées annoncé sur le Net. Le train est arrivé donc sans encombre à son terminus. A part peut-être des embrouilles avec ce présumé fêlé. Un fêlé normal, pas de Dieu. A-t-il emmerdé les voyageurs? Peut-être. Une embrouille classique entre citoyens. Ou cherchait-il son quart d’heure de gloire? Les voyageurs l’ont-ils su ? C'est une autre histoire.
Pas de quoi fouetter un silence ?