Récemment, des élèves d’un lycée Pro me racontaient leur expérience de simulateur de vieillissement. En stage, elles -que des filles dans cette section- se transformèrent en personnes âgées. Se mettre dans la peau de celles et ceux dont elles auraient la charge en intégrant un service de gériatrie ou dans une maison de retraite. Une expérience très marquante. Un coup de vieux de 50 ans en dix minutes.
Rêvons un peu que ce genre de simulateur existe dans tous les domaines. Disponible en plus comme les défibrillateurs dans les lieux publics. Chaque citoyen pouvant, à tout moment, en avoir l’usage. Se mettre quelques heures ou jours à la place de l’autre. Une sorte d’appli-empathie destinée à tous. Imaginons un instant que nos chercheurs aient réussi à la créer cette appli. Et nous permettre d’endosser ainsi une autre peau que la nôtre.
Emmanuel Macron en illettré au moment d'écrire un courrier à ses gosses ou ne serait-ce à une quelconque administration. Son patron, François Hollande, aurait aussi la possibilité d’être délesté de quelques dents. Pas sûr que Julie Gayet apprécie beaucoup cette journée «sans dents » avec son fiancé. Après tout, une actrice peut comprendre un changement d'identité ponctuel. Peut-être un moyen pour lui de comprendre ses claques électorales ?
Pour Marine Le Pen, un voyage dans le corps d’un clandestin sur un bateau en pleine nuit méditerranéenne. Pas de souci s’il elle préfére devenir une Rom dormant dans un square. Ou comme immigré dans le bâtiment ou travaux publics, le nettoyage des cuves dans une centrale nucléaire, courir après un camion poubelle, passer l’aspirateur de nuit dans des bureaux… La liste est longue des possibilités offertes par l’appli E-mpathie dans sa version «dans la peau d’un immigré ». Elle a l’embarras du choix.
Sarkozy et d’autres élus UMP peuvent aussi essayer la même version que leur alter ego d’extrême-droite. Ôter un instant sa Rolex pour se retrouver en pakistanais plongeur dans les eux savonneuses du Fouquet’s ou d’autres établissements. Passer le karcher au km en toutes saisons. Peut-être aussi en gosse exclu de cantine les jours de porc, en jeune contrôlé par la police dix fois par jour, en chibanis confinés dans quelques mètres carrés … Pas que les immigrés pour qui ils manquent d'empathie.
Très éloignés aussi des français prénommés Nicolas ou Nadine qui, sans possibilité de conférence à 100 000 euros, se contentent d’un salaire petit ou moyen, parfois d’un RSA, le chômage. Et pour finir une retraite très légère. Une vraie découverte pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et d'autres assignés à résidence dans les beaux quartiers. Le quotidien d'un citoyen lambada: pas leurs lieux de villégiature habituels. Croisière de l'altérité pas sur le yacht de Bolloré.
Pour qui une immersion dans la peau d'un gosse algérien venant de découvrir sa mère morte sous les bombes ? Ça irait bien à Robert Ménard. Encore de ce monde, Georges Frèche aurait pu devenir un harki sous-homme. Et, pour rester dans le registre des joyeuses colonies, Jean-Marie Le Pen en fellaga torturé. D'autres, proches de l'extrême-droite, verraient bien un combattant du FLN en rapatrié ou une victime des attentats des résistants algériens. L'appli E-mpathie ouvertes à toutes les destinations.
Caroline Fourest ou d’autres femmes et hommes hystérolaïques en promenade sous le voile -choisi librement - d'une de leur concitoyenne. L’athée - parfois borné- que je suis dans la peau d’un croyant. Où me coller à la place d’un de ses dirigeants, ministres, élèves de Science Po, énarque, journaliste, que j’égratigne parfois dans ce blog. Vivre rien qu'une une semaine dans la peau de Fleur Pellerin ou Manuel Valls. Prendre la température du monde à travers des yeux que je critique. Pas si simple. Et, bien sûr un croyant pratiquant, se glissant sous la chair d’un mécréant. Passer quelques jours sans son Dieu.
Dieudonné ou un islamiste transformé en juif avec une kippa traversant un quartier noyauté par des intégristes. Alain Finkielkraut en Palestinien dans une rue de Gaza pendant une offensive de Tsahal. Zemmour dans la peau d’un de ses ancêtres sous le doux régime de Pétain. Pour Arno Klarsfeld, une petite virée en immigré dans "plus belle sa vie qu'en 1930"; juste de l’autre côté du périphérique. L’avocat people se réveillant à l’aube dans un foyer malien à Montreuil ( 93) pour courir ( pas de rollers) prendre un bus et travailler à la chaîne dans une usine. Sans oublier Faurisson et sa bande de négationnistes dans la peau de juifs en camp de concentration. Clameront-ils après que les chambres à gaz n’ont pas existé ?
Encore quelques autres voyages de corps en corps. Un ouvrier de chez Renault en Carlos Goshn au moment de son augmentation de salaire. Une employée de Levallois sirotant un cocktail à la place d'un des époux Balkany dans leur résidence de St Martin. Un journaliste de Médiapart en conf de rédac à Valeurs actuelles. Devenir l' homme ou la femme debout dans un métro bondé alors qu'on est assis sur un strapontin. A la place du conducteur à qui on vient de faire une queue de poisson. Une retraitée avec la minimum vieillesse passant quelques jours dans la chair de Liliane Bettencourt. Matthieu Gallet ou Pascale Clark en femme de ménage ou vigile de Radio France, un écolo en paysan pollueur un jeune de cité faisant hurler son moteur à la place de son voisin du deuxième ne pouvant dormir, un élève dans la peau de son prof....
Une infinité de combinaisons s'offrant à l'utilisateur. Et la possibilité de passer de peau en peau. Chacun, grâce à cette appli, invité à voyager en un ou une autre. Le plus intéressant me paraît l'immersion dans le corps et l'esprit d'un adversaire ou un ennemi. Emprunter un autre regard. Quitter momentanément son point de vue. Ses oeillères. Faire un pas de côté voir une part de l’autre occultée par sa vision habituelle. Un voyage très enrichissant sur l’autre et soi.
Théoriquement, la culture et l’éducation au sens le plus large du terme devraient transmettre cette capacité d'empathie. A voir l’essor des communautarismes, de la connerie de toutes les couleurs et de toutes les confessions, force est de constater que la transmission se fait de moins en moins bien. Le concept de l'Altérité d'Emmanuel Lévinas en berne. Pas uniquement chez les plus défavorisés. Dans les milieux culturels, universitaires, médiatiques, l'empathie a souvent le nez scotché à son I-Phone. La faute de l’école ? Les parents? Les politiques ? Chacun trouve toujours qui accuser. Sans pour autant trouver de solution.
Le principal ennemi de l’empathie est sans doute l’obscurantisme. Depuis des années, on sent que les obscurantistes montent en puissance et gagnent des points. Ceux avec « coran à peine lu et kalaches » et les autres ne priant que vers la souche et l’identité. Pas des citoyens très empathiques. « Ces deux mâchoires du même piège à cons »( citation extraite de Nada de Jean-Patrick Manchette) prônent une société sans lumière, ni horizon. Tous nous condamner à leur obscurité.
Pas à tortiller ; l’éducation et la culture restent les piliers de l’empathie. Sans doute moins disqualifiés en ce moment que nos politiques. Dommage que nos dirigeants actuels s’en désintéressent de plus en plus. Nombre d'entre eux ont leurs enfants ou petits enfants dans les meilleurs écoles du pays. Et, à titre privé, ils bénéficient aussi d'un large choix culturel. Pas leur souci ni celui de leurs proches. Contrairement aux citoyens des quartiers populaires cumulant les impasses.
Parmi les transmetteurs d’empathie, l'art me semble avoir une place essentielle. Notamment la fiction. Elle permet à chacun et chacune de se fondre dans des personnalités et des univers complètement différents des siens. Voyage de papier, d'images, en numérique,en spectacle vivant.... Destination l'autre. Et sur une part inconnue de soi.
Encore une utopie qui ne verra jamais le jour. Quoi que cette appli irréalisable a déjà été créée au XIXe siècle. Son créateur avait écrit « Je est un autre ».