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Billet de blog 2 septembre 2024

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Sous le règne de l' inconsolable

La perte d’un être cher est comme un exil. Sans la possibilité de retour. Comme pour cet homme qui parle. De sa fille morte. Quelques jours plus tôt, une femme évoquait son mari.Des mots de souffrance fort différents pour elle et lui. Mais un point en commun. Tous deux désormais sous le soleil des inconsolables.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

             La perte d’un être cher est comme un exil. Sans la possibilité de retour. Le regard où nous habitions souvent ou quelques fois est fermé. Une fermeture à jamais. Plus possible de s’ancrer dans un regard cher. Comme pour cet homme qui parle. D’une voix en apparence posée. Dedans, sans doute un volcan en attente d’explosion. Peut-être qu’il a déjà expulsé sa lave. Brulant l’intérieur des mots d’un homme qui a perdu sa fille. Tuée par un motard. Accident ou homicide involontaire ? Pas juriste, je ne sais pas quelle serait la formule juridique adéquate. À la justice de trancher. Quelques jours plus tôt, une femme évoquait son mari. Assassiné. Sa voix était chargée de colère. Le volcan aussi en elle. Une colère légitime. Des mots de souffrance fort différents pour elle et lui. Mais un point en commun. Tous deux désormais sous le règne de l'inconsolable.

          Comme le sont les proches de la barbarie du 7 octobre en Israël. Dévastés par l'abominable. Une sorte de pogrom ?  Comme les proches des victimes de la barbarie en cours à Gaza et ailleurs en Palestine. L’abominable. Une sorte de génocide ?  Les qualificatifs employés d'un côté ou de l'autre n'effaceront pas l'inconsolable. Comme au Yémen, en Ukraine, en Érythrée… Et dans de trop nombreuses parties du globe. Sans oublier Charlie, le Bataclan, l'Hypercasher ... Là où le sang versé appelle le sang à verser. Ce n’est pas un scoop que l’homme est un animal sauvage prédateur de lui-même. Une prédation durant depuis la nuit des temps. Barbarie se renouvelant au gré des technologies contemporaines. Le fameux «  plus jamais ça » reste récurrent. La récurrence de notre part d’inhumanité. Et avec toujours une question se pose. Comment réagir face aux victimes et à leurs proches ?

          Chacun et chacune aura sa réaction. Selon son histoire et personnalité. L’une des réactions est d’abord de taire. Laisser le silence occuper l’espace blessé. Peut-être ne jamais prendre la parole. Se contenter d’écouter la douleur de l’autre. Sans le moindre jugement sur les mots employés. La souffrance, surtout la perte d’un être chair, voire la chair de sa chair, confine à l’irrationnel. La raison abdique le plus souvent sous le poids de ce genre de souffrance. Se contenter d’être présent en silence. Une présence proche où à travers un écran. Juste là. Au bord de l’histoire de l’autre.

           Manipulation de la souffrance. Ce n’est pas une première. À chaque abominable, souffrance individuelle ou de masse, il y a toujours des charognards professionnels de la douleur. Toujours prêts à thésauriser sur telle ou telle douleur et colère légitime. Se nourrissant de la mort pour pouvoir vivre. Difficile de tenir ces charognards à distance. Surtout s’ils ou elles ont du pouvoir et accès à nombre de micros et caméras. Spécialistes de la tragicomédie de la compassion. Capables même d’une voix chevrotante d’émotion et les yeux mouillés de larmes en direct. Quel que soit leur bord, leurs éventuels gains ; ils sont l’autre part de l’abominable. Les seconds assassins ?

        Pas facile d’avoir de l’élégance face à la souffrance de l’autre. Parfois, je n’ai pas été à la hauteur. Avec telle ou telle réaction inélégante. Sans doute le serais-je encore maladroit et à mettre les pieds dans la plaie. Avec cependant un objectif : essayer le plus possible d’être élégant face à un être en souffrance. Proche ou lointain. Ne pas s’approprier sa douleur, la comparer à la sienne ou celles d’autres qui souffrent où on souffert. Apprendre à se taire. Mettre un mouchoir sur ce putain d’ego voulant toujours occuper le centre. Ne parler que si l’autre est en quête de mots apaisants. Mais toujours le plus possible se tenir en lisière de la souffrance. Entre présence et absence. N’avancer que sur invitation. Demeurer dans l’ombre empathique.

         Difficile dans notre ère d’impudeur et d'étalage de sa moindre émotion. Et de course à tout commenter. Ce billet de blog n’échappe pas à la règle. Dans le même panier que tout le monde. Donner à tout prix son point de vue pour continuer d’exister sur la toile. Si facile avec tous les outils actuels dans nos poches ou sacs. Comment échapper à cette forme d’inélégance permanente ? Réussir le jumelage de l’empathie et de la discrétion ? Vaste chantier individuel et collectif. Pour une présence empathique à distance.

            Une parole sans mots ? 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.