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Billet de blog 2 novembre 2024

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Vol de racines

Chaque pas est une racine de plus. Quel que ce soit le lieu de son arrivée sur la rive des vivants. Nous transportons nos racines au moindre déplacement. Pour un voyage de proximité où à l’autre bout de la planète. Elles nous collent à la plante des pieds ou à la semelle. Et chaque seconde est un voyage.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Photo: Marianne A

                  Chaque pas est une racine de plus. Quel que ce soit le lieu de son arrivée sur la rive des vivants. Nous transportons nos racines au moindre déplacement. Pour un voyage de proximité où à l’autre bout de la planète. Elles nous collent à la plante des pieds ou à la semelle. Les gens sur fauteuil roulant ou immobilisés sont d’emblée mis hors-circuit ? Le pas n’est pas qu’ à même le sol. Ça peut-être la pensée, le rêve, le regard, la main qui caresse ou adresse un signe… Tout ce qui nous permet d’avancer. Vers l’autre et le monde. Une progression sur nos racines mobiles. Celles ne pouvant s’enfermer dans une carte numérisée , ni aucune identité avec tampon officiel. Progresser sans même sans bouger. Immobile sous une parcelle de ciel. Les yeux sur des vols de racines.

         En voyage à domicile. Sous le toit de son corps. Chaque seconde est un voyage. Certes très court et souvent imperceptible. Pourtant nous sommes sans cesse en déplacement. De seconde en seconde, d’heure en heure, de jour en nuit, de semaines en semaines, de saison en saison… Tous nos mouvements sont enregistrés par notre chair. Un enregistrement du lever au coucher. Et aussi pendant le sommeil où le voyage continue sans les mêmes contraintes du jour. Le corps est une sorte d’horloge de l’indicible. Elle comptabilise tous les petits et grands mouvements du temps en soi. Rien ne lui échappe. Tout est consigné. La feuille de routes des êtres sans cesse en départ et arrivée. Passage express d’un quai à l’autre. Quelle que soit la seconde, joie ou souffrance. Impossible de faire autrement. On quitte toujours l’instant d’avant.

         Rare quand on ressent ces départs et arrivées non-stop. Et tant mieux pour nous. Ce serait infernal de ressentir chaque passage d’une seconde à l’autre. Tout se fait fort heureusement en silence. Avec parfois des périodes, souvent les plus difficiles, où nous sommes plus sensibles à ces départs et arrivées en gare de son histoire. Ça se produit notamment en période d’attente avec un nœud sous la poitrine. Mais ça passe et nous redevenons insensible à ce passage de secondes. En ce moment, certains êtres sont beaucoup plus sensibles à ce chantier invisible. Sans l’avoir décidé. Une ultra sensibilité aux petites aiguilles du temps. Qui sont ils ? Des femmes, des hommes, d’autres genres, des gosses : enfermés dans le fracas du chaos des bombes et des balles jamais loin de leur chair et celle de leurs proches. Comme en ce moment dans de nombreuses régions de la planète. Même sensibilité dans le silence d’une chambre rongé par la maladie. On peut la lire aussi dans le regard des personnes vieillissantes. Ou les yeux des exilés. En prison dans chaque seconde.   

          Lisible aussi sur certaines pages de poètes. Bien sûr toutes proportions gardées avec les souffrances qu’aucun mot ne peut apaiser ni transcender. La douleur poétisée est une sorte de luxe. Certaines chairs blessées n’ont pas le droit à cette pause dans le chaos géolocalisé. Ne pouvant s’évader ne serait-ce qu’un instant de la gangue de douleur et d’inquiétude muette. Une forme de luxe de pouvoir dire, même si le poète écrit sous les bombes, en exil, malade, ou vieillissant. Doigts solitaires sur un clavier ou une feuille de papier. Ici, telle ou tel poète sous le vol mortel d’un drone ou d’un avion, torturé dans telle ou telle geôle, en exil pour fuir la mort ou la prison... Des êtres en urgence. Avec au bout des doigts et des yeux les vers d’une poésie en cavale. Et ailleurs, autre urgence intime sous les latitudes de territoires traversés de la douceur de l’air démocratique, des poètes dans leur«  antre d’écriture» avec vue sur jardin et fin annoncée, immobilisé sur un fauteuil roulant vers le vide, garé au bord de son dernier horizon… Selon les lieux, des trajectoires très différentes les unes des autres. Chacune avec sa part d’unique. Et irremplaçable. Toutefois avec un point commun entre tous ces poètes. Et la majorité des êtres les plus sensibles au «  tic tac » des aiguilles. Ici ou ailleurs à l’écoute du même son. La musique de la machine à détisser son histoire.

          Pour finir invisible sur le «  métier de l’humanité ». Et laisser sa place à une autre histoire à tisser. En espérant aller au ciel, pour les êtres croyant à une nouvelle habitation après l’existence. Un déménagement sans autres bagages que son absence à perpétuité. D’autres se projettent aussi vers les mêmes hauteurs. Mais sans croire à une présence divine. Juste la ronde des atomes depuis le big bang. Avec ou sans religion, des projections vers le même « au-dessus » de son passage éphémère. Certaines solitudes espérant se fondre dans une des étoiles. Repartir sous l’identité d’un atome. Pour un voyage sans fin. Ni début. Lever les yeux vers le ciel. Regarder passer le vol de ses racines. Dans le vent de l’éphémère. Désormais de passage permanent, sans les murs de son corps. Un vol hors de tout contrôle. Et sans la moindre frontière.

          Se taire. De plus en plus. Une grande gageure pour les grands bavards dont je suis. Parfois embouteillant des conversations, pour ouvrir plusieurs fois des portes ouvertes. Nombreux dans ce cas en une époque fort bavarde. Que ce soit avec la bouche ou le clavier. Que de beaux silences perdus ou abîmés par notre excès de parole. Est-ce le bon terme ? Pas de la parole. Qu’est-ce que c’est alors tous nos textos et bavardages à rallonges. Souvent de l’excès de Je. Ramenant tout plus ou moins directement à soi. Sans cesse à surenchérir et commenter le commentaire du commentaire. Des tartines de mots à tremper dans la conversation pour se sentir exister. Parler ou écrire pour occuper le centre. Avec en plus aujourd’hui la course à être le premier sur le podium des victimes, pour une victoire en course solitaire ou en équipe. Le seul moyen de gagner est de ne jamais écouter la souffrance de l’autre. Rester concentré sur la sienne. Dans tous les cas, cette course du Je n’a qu’un objectif. Lequel ? Graver à tout prix son empreinte dans le marbre numérique.

          Comment rester  présent sans se croire nécessairement le centre de l’univers ? Quel outil pour ne pas s’écraser sans écraser l’autre– parfois avec de bonnes intentions ? Comment proposer sa vérité unique et écouter toutes les autres vérités uniques ? Quel moyen pour occuper le centre en même temps que ces contemporains ? Comment souffrir sans vouloir imposer sa douleur solitaire ou en groupe comme la blessure essentielle de l’humanité ? D’autres questions du même genre peuvent se poser. Pourquoi certaines n’auront pas de réponses ? Parce qu’on ne veut pas ou dans l’impossibilité de répondre. Même le plus puissant des individus, la plus grosse fortune du monde, le plus grand QI du siècle, le plus toujours plus, se cassera les dents sur telle ou telle question. Aller sur un moteur de recherche ? Inutile. Même le plus perfectionné ne pourra délivrer de réponse. Seule face à sa nuit qui ne peut être éclairée. Pour une marche avec nos fantômes vêtus de silence. Sa nuit et celles de toutes les existences. Et cette absence de réponse est peut-être une des seules vraies égalités. Avec le moment où l’on perçoit le passage des secondes. Comme lorsqu’on nos fenêtres donnent sur une ligne de métro ou de train. Quand le temps voyage à travers sa chair. Et que nous l'entendons passer.

            En attendant, comment attendre ? Avec ou sans élégance. À mon avis, beaucoup de notre trajectoire individuelles et celle de notre espèce se joue dans ce mot. Ou plutôt dans son absence. Quand ici ou là, on néglige l’élégance. Voire même de la brader. Une braderie en général pour nourrir encore plus Ego et son frère Nombril qui a perdu son cordon - remplacé par celui du Smartphone ? Avec une inélégance partagée sans doute par la majorité de la planète : se croire l’espèce supérieure. Malgré sa morgue, elle est aussi en voie de disparition. Avec huit milliards de passagers dans la salle d’attente. Confinés dans la même orbite autour d’un soleil carnassier. Comment dans cette salle d’attente se comporter de façon la moins inélégante possible ? Dans ce cas précis, l’absence de réponse serait mortelle pour la planète entière, toute espèce confondue. Certes, les clefs de l’avenir du monde se trouvent entre que quelques mains. Une poignée pouvant décider du sort de tout le monde. La plupart d’entre eux sont visiblement peu pressés de sortir du vieux monde qui leur sert une bonne soupe. En oubliant qu’ils sont en train de l’empoisonner. Et de servir cette soupe mortelle à leurs propres ou d’autres êtres qui leur sont chers. Rien de nouveau sous le ciel du dieu fric. Mais chaque être a son petit niveau détient aussi un pouvoir       

          La puissance de l’élégance. Certes très difficile à atteindre. Même pour ceux qui ont le pouvoir, désarmés face à une incorruptible. L’élégance ne peut s’acheter. Elle est hors de prix. Une bataille perdue d’avance ? Sans doute. Chassez l’inélégance et elle revient habiter nos costumes de mortels doués d'imperfections. Toutefois, on peut au moins tenter de s’en approcher. Ne serait-ce que pour devenir des intermittents de l’élégance. Avec ses proches et ses lointains. Sans oublier son miroir ; le visage – plus ou moins usé par l’érosion des secondes - ayant voyagé de l’enfance jusqu’à cette seconde mérite aussi d’être traité élégamment. Quelle serait le nec plus ultra de l’élégance humaine ? Sans doute que chaque être aura une réponse ou une question différente. Liée à son histoire. À chaque corps, sa perception du passage d’une seconde à l’autre.

     Quelle serait votre réponse ou question au sujet de l'élégance ? Nul besoin d’avoir le bac pour participer. Ni un carnet d’adresses. Juste un visa sur son passeport de passage sur la planète. Tamponné et à jour. Le visa du verbe être.

          S’effacer sans disparaître ? 

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