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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 4 janvier 2016

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Ma «p'tite Léa» au FN Sciences Po

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

          Léa, ma petite-fille, est plus réac que moi. Pourtant je suis déjà très conservateur. Même si je suis athée et pour le mariage pour tous.  Un « c’était mieux avant ». Remettre l'orthographe au goût du jour, se lever dans les transports en commun pour les femmes enceintes et les vieux, envoyer tous les intégristes musulmans se faire sauter entre eux dans leur désert, interdire les télés dans les bars et ré-autoriser la clope, supprimer les textos et le rap… Un anar tendance ronchon, sans étiquette politique; à part celle de mes humeurs, de ma mauvaise foi, de mes excès.... Mon seul bulletin dans une urne sera mes cendres. Alors que ma petite-fille est d’extrême-droite. Elle s'est inscrite dans le syndicat étudiant FN de Sciences Po Paris.

Jamais un ou une DeLambre n'a voté extrême-droite. Une famille très souvent à droite, jamais plus loin. Le choix de Léa a provoqué une choc familial. Une quarantaine d'année avant, j'étais dans la même école qu'elle. Un élève brillant. Mais aux antipodes de sa vision étriquée du  monde. Etudiant à l'IEP Paris en 2015, aurais-je choisi ce syndicat ? Peut-être.... Autre temps, autres peurs ? Elle m’a annoncé très fièrement son engagement politique. Persuadée que cette nouvelle me ferait un grand plaisir.  Faut dire que certains de mes propos n’ont parfois rien à envier à ceux de Marine le Pen. Et même aux discours de sa nièce qui, comme son grand-père, ne s’embarrasse pas de précautions oratoires. Provocation de ma part ? Ne jamais être là où l'on m'attend ? Fort possible. Mais, jamais avant d'apprendre l'engagement de Léa, je n'y avais pensé en profondeur. Interroger ma posture.

Trop occupé à naviguer entre fiction et réalité. Plusieurs de mes romans mettent d’ailleurs en scène des personnages détestables. J’ai toujours préféré décrire des salauds; ils ont de nombreuses zones d’ombre intéressantes à explorer. La gentillesse et l’humanisme sont très vite lassants ; ils ne se renouvellent guère, à mon goût. Rien de plus triste qu'un bon sentiment. Contrairement à la saloperie humaine extrêmement imaginative. Orpailleur du pire pour trouver la beauté.

Léa a dû se dire que j’applaudirai à son choix. Elle s’est complètement plantée. Le FN et ses clones, plus ou moins bien camouflés, ne sont pas du tout ma tasse de thé démocratique. Au contraire. Idem pour le « socialisme déchéant » louchant d'ailleurs vers le nationalisme. Jaurès et d’ autres doivent se retourner dans leur tombe. Personne, dans les partis actuels, n'a de grâce à mes yeux. Désencarté à perpétuité. Mais avec quelques irréductibles valeurs ancrées en  moi. Comment lui expliquer qu’elle fait fausse-route ?  Loin d'être le meilleur exemple pour lui faire la morale. Et aucun échantillon de rêve à proposer à sa jeunesse. Ni le moindre zeste d’espoir pour alimenter sa soif de vie. Le nuancier de l’avenir colonisé par le sombre ?

Après la sortie du resto, je lui prends le bras. « Ma p'tite Léa, je vais t’emmener quelque part. C’est, en quelque sorte, un peu le berceau de la famille. ». Pendant le repas, je n’ai pas osé lui rentrer dans le lard quand elle me parlait de son syndicat.  Très enthousiaste. Même discours qu’il y a trente ans. Une million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop. Aujourd’hui, ils ont réactualisé leur slogan en rajoutant cinq millions. En plus, ils bénéficient d'un meilleur produit d’appel que les immigrés : l’islamisme. Depuis le 7 janvier, ils se sont transformés en Jesuischarlie-nationaliste. Heureusement que Cabu, Tignous et les autres, n’assistent pas à cette récupération. Tous antinationalistes et bouffeurs de toutes les religions. Qu’est-ce que le père de Duduche et ses compagnons me manquent ! Pareil pour Coluche et Desproges. Putain d’intégristes qui ont massacré de sacrés caricaturistes ! Laissons le passé et revenons à nos loups qui sont entrés à Sciences Po. 

Le discours de ces jeunes aux idées courtes, même s’il est ignoble,  est beaucoup plus subtil et ciselé que celui des crânes rasés taguant des croix gammées ou ratonnant tous les «sang impur » croisés sur  leur chemin. Sans oublier les déviants de pédés et les gouines.  Même idées racornies que leurs penseurs, mais un monde différent pour les cols blancs de la haine. La plupart des djihadistes et des gros bras de l'extrême droite ont un point en commun: un cerveau nourri à la téléréalité et aux jeux vidéo. Interchangeables et manipulables. Rien de nouveau sous le ciel des impasses. A part l’emballage des têtes pensantes.

Difficile d’imaginer que cette jeune fille, jolie rousse, pétillante et cultivée, puisse avoir basculé dans le pire. Pas que les anciens cocos et des prolos basculant au FN. Sur le boulevard, elle m’explique qu’il faut tout changer. Retrouver les fondements laïcs de notre République. Je dois avouer que son argumentation tient la route. En plus, elle est sincère dans son désir de changement. Une sincérité étayée par un discours de première de la classe ; il me rappelle le mien et celui des «  camarades » à son âge, dans cette même école. Une dialectique à toutes épreuves. Loin des éructations ou des glaviots numériques de la fachosphère. Parfaite dans un débat télévisé pour ne pas faire peur aux téléspectateurs. Une « p’tite fasciste » BCBG, belle-fille idéale avec la tête bien pleine. Loin d’être la seule jeune, étudiante ou pas, à se fourvoyer. Nombre de jeunes à vouloir essayer autre chose que les vieux et vieilles croûtonnes accrochés à leur siège. Difficile de leur donner tort, même s’ils n’ont pas raison. Et sûrement plus dangereux que d’autres car, eux, seront un jour plus ou moins aux commandes de ce pays.Mais, au fond de moi, je m’en contrefous ; plus l’âge, la force, ou le temps mental, de chercher à changer le monde ? Après tout, leur connerie les regarde.  

Pas celle de ma seule petite-fille. Impossible d’assister, sans réagir, à l’érosion de sa capacité critique. Je vais la secouer un peu. Pas que les Que sais-je ? et Power Point dans la vie. L’école, même une grande, ne peut pas tout enseigner à une jeune fille de 19 ans.  Elle va avoir un cours de vie en accéléré. Loin de toute théorie. Son histoire et l’Histoire en direct.Je lui prends le bras. «  C’est ici Léa, le berceau de notre famille.». Ses yeux ronds me fouillent. Elle doit se dire que le vieux a perdu la raison. 

Pourquoi Maman a voulu garder le secret ? Mon fils, son père, ne sait pas non plus. Un non-dit qui a commencé par Maman. Je ne l’ai su qu’en tombant sur des documents qu’elle avait cachés dans une valise. Pour moi, mon père nous avait planqués pour aller vivre à l’étranger. Un salaud qui avait abandonné une femme et un gosse de cinq ans. En plus, il avait refusé de me reconnaître. Je porte le nom de jeune fille de Maman. Elle m’avait supplié de ne rien dire de ma découverte. Personne, à part elle et moi, n’est au courant dans la famille. La valise est toujours planquée dans la cave de sa maison en Ariège. A 93 ans, Maman garde son secret.  Nous n’en parlons jamais. Parfois, au détour d’un silence, nos regards complices se croisent. Dois-je l’ébruiter et la trahir ?

Une femme voilée, accompagnée de son mari, passe sur le pont. Sophie lui jette un regard noir. «  Tu vois ce que je te dis Papy….Elles sont de plus en plus nombreuses. La laïcité est en danger. Nous devons fermer nos frontières et expulser aussi de nombreux… ». Elle grimace un sourire. Je la dévisage. « Tu veux dire : des bougnoules. ». Elle hausse les épaules avec un air agacé. « Tout de suite, les grands mots. Je n’ai pas dit ça… Nous ne sommes pas un mouvement raciste et antisémite. Ce sont ces bobos de journalistes qui cherchent à semer le doute. Nous sommes des patriotes. Arrêtons de perdre notre temps avec des mots. Des gens sont morts en 2015 à cause de ces…. d’eux. Même une ancienne ministre socialiste a dit...une phrase du genre… que  derrière chaque musulman, il y a un islamiste potentiel. Pas que nous à affirmer que l’islam est un danger pour nos valeurs judéo-chrétiennes. » Elle pointe le doigt sur le couple de musulmans s’éloignant. «  Tu as raison ma petite-fille, il ne faut pas perdre son temps. J’en ai déjà assez perdu avec ton père et toi. Regarde là. Qu’est-ce que tu vois ? ». Elle pousse un soupir. «  Ben, c’est de l’eau Papy ! ».  A quoi bon lui transmettre la vérité? Rien ne sert de remuer la boue du passé. «  On rentre Léa. ». Je passe devant elle et allume une clope.

 Finalement, tant mieux que Maman ne soit pas trahie.  J’aurais eu du mal à la regarder dans les yeux en ayant dévoilé son secret. Pourquoi avait-elle décidé de ne jamais rien dire. La honte ?  Peur des conséquences dans sa famille très classique ? Conserver cette histoire d’amour que pour elle ? Peu importe. C’est son choix de femme de cacher cette aventure. Elle en eut d’autres. Mais mon  père, plus exactement mon géniteur, est le seul avec qui elle continue de parler. En tout cas, je l’ai surprise à plusieurs reprises en train de prononcer son prénom ; sourire aux lèvres, les bras ouverts sur un fantôme. Un fantôme qui m’a donné son sang. Pas son nom. Ni transmis son histoire.

Peu avant de sortir du pont, je m’arrête et pose la main sur le parapet. «  Sophie, tout à l’heure, je… Je ne t’ai pas tout à fait dit la vérité. Ici, ce n’est pas le berceau de la famille mais… son tombeau. Ton arrière grand-père a été jeté à le Seine le 17 octobre 1961. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il s'appelait Kamel Benslimane. Ta Grand-Mamy  a assisté au meurtre de son fiancé, en direct  sur ce pont. Elle ne l’a plus jamais revu. Personne n’est au courant de cette histoire, à part elle et  moi…  et toi maintenant. ». Léa me dévisage. Jamais elle n’a vu son Papy en larmes. Le spécialiste de l’autodérision et de l’humour noir chialant comme un gosse. Un gosse libéré.

Nous continuons notre chemin  sans un mot. Je sens qu’elle est en train de gamberger. «  Papy, je comprends que cette histoire soit très forte pour toi émotionnellement. Mais tout n’est pas tout noir ou tout blanc. J’ai étudié l’histoire de la colonisation. La France a apporté beaucoup de choses à ce peuple. Les algériens ont aussi tué beaucoup de nos concitoyens.  Il ne faut pas oublier que la valise ou le cercueil est une réalité indiscutable. Et en 2015, indéniable que l’islam tue plus de gens que les autres religions.  On ne peut plus critiquer l’islam sans être taxé d’islamophobe. Il est important… ». Elle décline, telle l’ élève très brillante qu’elle est, un cours parfaitement maîtrisé. Sur certains points, notamment sur le manichéisme qui peut rendre aveugle, je ne suis pas en désaccord avec elle. L’électrochoc n’a en tout cas pas marché. Quel con d’avoir cru que, d’apprendre que son arrière grand-père était algérien, allait l'éclairer sur son erreur. Comment l’empêcher concrètement de se faire embrigader ?  

Je reste sans voix.  Quels arguments, surtout de nos jours, à apporter contre son «  tous pourris, sauf le FN » ? Putain de confusion de notre époque ! «  Papy, tu as rêvé d’un monde meilleur. Moi, aussi, je rêve aujourd’hui plus ou moi comme toi, mais avec d’autres armes. Les armes de notre époque. On va réussir là où les générations précédentes ont échoué. Fais-moi confiance. »  Je me sens impuissant.  En plus coupable de trahison. Comment regarder désormais Maman ?

A la station de métro, Léa m’embrasse  comme si de rien n’était. Sûre d’être dans la bonne voie. « A bientôt Papy. Je te rappellerai à la fin de mes partiels. ». Elle descend les marches.  Déterminée. Même tête de mule que son père et son grand-père. Je reste immobile, les yeux sur son dos jusqu’à ce qu’il disparaisse. Quelque chose s’est définitivement brisée entre Léa et moi. Comme entre ce pays et une partie de sa population. Va falloir du temps pour reconstruire.  Beaucoup de temps. Les générations futures y parviendront-elles ?

Je m’éloigne sur le boulevard. Un peu sonné. Les yeux à ras de trottoir. Conscient de laisser une  planète vraiment pourrie à nos descendants.  Pas Léa et ses amis qui sont responsables du monde où ils sont nés. Un monde qui, malgré la révolution numérique, retourne à des obscurantismes des cavernes. Chacun dans sa communauté, enfermé avec ceux qui te ressemblent. Pendant ce temps, la haine s'installe à tous les étages du présent. Où avons-nous échoué ? Nous et nos dirigeants actuels. Pas me douaner de cette affaire où je suis co-responsable de cette régression. «  Tu as des  photos de mon arrière-grand père algérien ? Nous avons beaucoup de temps à rattraper et à gagner. » Léa me prend le bras. Je redresse la tête.

La connerie n’est pas invincible.

NB)  Une fiction inspirée de cet article.

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