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Billet de blog 3 mars 2020

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Bal du vieux monde

Le Bal des pourris. J’ai griffonné ce titre sur mon carnet. Comme chaque soir, je ricoche d’une chaîne à l’autre. Jusqu’à finir par m’endormir. Étalée comme une fleur de nuit insomniaque.Ce soir là, c’était la fête du cinéma. Plutôt un air de défaite. L’actrice se lève et quitte la salle. Je me redresse sur le canapé. De toute colère avec elle.

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              Le Bal des pourris. J’ai griffonné ce titre sur mon carnet quelques minutes avant le début de l’émission. Affalée sur le canapé. Comme chaque soir, je ricoche d’une chaîne à l’autre. jusqu’à finir par m’endormir. Un de mes meilleurs remèdes contre les insomnies. Ce soir là, c’était la fête du cinéma. Plutôt un air de défaite. Quoi ? Je me redresse et augmente le son. Sans doute une blague. L’humour est incontournable dans ce genre de rencontres. La tyrannie du rire comme arme d’anesthésie massive. Débranche un peu ton antienne; tu n’es pas là pour faire la critique de la société du spectacle. Mais pour écouter cette actrice et d’autres, femmes et hommes engagés contre les prédateurs. Pour une fois que des invités à contre-courant vont donner un coup de pompes dans la fourmilière des dominants en habit de soirée. Incroyable. L’actrice se lève et sort en colère. Je me relève sur le canapé. De toute colère avec elle. Et tous les autres atterrés par l’attribution de ce ce prix.

        La foire aux Césars ne m’a jamais intéressée. Ni les émissions du même genre que je ne regarde pas. «Les distinctions honorifiques sont comme les hémorroïdes, n'importe quel trou du cul peut en avoir.». À chaque grand-messe cathodique de ce genre, je repense à la citation de Billy Wilder. Papa la sortait dès qu’il s’énervait contre «ces trous du cul sans cœur ni cerveau mais avec calculette» du petit écran. Ou ceux venant traîner sur le marché en périodes électorales. « Moi je serre pas la main d’un mec ou une nana qui me regarde comme un bulletin de vote sur deux pattes et me connaît plus le reste du temps.». J’avais hérité en partie de son sale caractère. Un taiseux très radin de sa confiance. Heureusement qu’il y avait les mots de Maman, dans sa bouche et ses livres. Mais cette fois, j’allais faire une infidélité à Papa et regarder le spectacle des trous du cul. Bien entendu pas pour les habituels piliers de cérémonies. Les beaux parleurs avec brosse à reluire et chapelet de superlatifs, le front plissé comme s’ils avaient inventé un médicament contre tous les cancers ou sorti un gosse des décombres d’un immeuble bombardé. Je ne supporte pas. Mais libre à moi de changer de chaîne. Ce que j’ai toujours fait. Contrairement à Papa s’agaçant devant un spectacle qu’il vomissait. Pourquoi alors cette entorse à mon boycott habituel de canapé ?

    C’est la présence d’une actrice. J’avais écouté sa longue interview. Le cœur serré face à une telle fragilité et détermination à travers ses propos et gestes. Elle avait ouvert les vannes de sa douleur, les souffrances si longtemps retenues sous sa peau de gosse blessé, et permis à d’autres de parler à leur tour. Dire pour ne pas mourir à petits feux à l’intérieur ou chercher à en finir. Une de mes cousines s’était suicidée après le viol d’un animateur de voile. Sa mort a toujours été un sujet tabou dans la famille. J’ai su en secouant les mémoires familiales que son violeur n’avait jamais été poursuivi et condamné. Il a même continué d’exercer son métier. Parole contre parole. Personne n’avait cru celle de ma cousine. Ni ses parents, ni le directeur du centre. Une affabulatrice. Jusqu’à ce qu’elle se foute en l’air. Sans laisser un mot. Comme si sa parole ne pouvait plus avoir le moindre poids. Le silence même après sa mort. Je pense souvent à ma cousine. Nous aurions le même âge…

    Je quitte des yeux la cérémonie pour une virée sur mon fil tweeter. Comment auraient réagi l’actrice et son entourage si son film avait eu le prix ? Une question stupide et indécente d’un internaute. Encore un crachat numérique sans intérêt que de vouloir exister en pourrissant. Je continue ma lecture des tweets. Mais la question ignoble revient dans ma tête. J’ai essayé de la balayer. Ne pas faire embarquer dans une polémique stérile. Ce n’est pas le problème du jour. Ne te trompe pas de cible. Les salauds ce sont les prédateur. Pas les victimes. Ce dont je suis persuadée. Mais rien n’y a fait. La méfiance, héritée de Papa et réactivée par le tweet, reprenait du service. J’ai coupé le son des Césars puis j’ai posé mon I-phone. Pour prendre mon cahier. J’ai toujours eu besoin du papier et stylo pour faire le tri dans ma tête. Tenter aussi de comprendre notre époque. Le titre provisoire devenu: Et si ce n’était qu’un bal de dominants ?

         Une très étrange impression d’assister à une course entre dominés et dominants. Comme à une autre époque d’autres voulaient courir plus vite que le vieux monde. Je me suis amusé à accélérer le temps. Même cérémonie dans un demi-siècle. Les visages des dominés devenus celui de dominants. Comme ceux de certains soixante-huitard passés des barricades aux leviers du pouvoir. Rien de nouveau sous le ciel des générations. Un processus naturel. Les dominés du jour sans doute dominants au Bal du vieux monde de 2070. Et les écrasés dans l'ombre toujours écrasés. Loin des lumières de la rampe.

    T’es complètement conne ! Ma voix dans le salon m’a surprise. J’ai fermé mon cahier. Qu’est-ce qui m’avait pris ? Pourquoi penser des conneries comme ça. Le combat en cours c’est aujourd’hui, pas demain. Stupide de se projeter dans un demi-siècle. Arrête de tout mélanger. Tu n’es pas dans une fiction. Je me suis passée un savon. Toujours très mécontente de reproduire la méfiance paternelle. Retour très rapide sur plancher du présent. Mais une voix continuait à me dire « c’est que du cinoche ». J’ai pris la zappette. Pour rebondir de chaîne en chaîne. Jusqu’à fermeture des paupières.

      Puis il y a eu le texte le lendemain. Difficile d’y échapper. Superbe, cinglant, une claque, le combat contre tous les dominants… Que des superlatifs sur tweeter avant de le lire. Je me suis plongée dedans. En effet une énergie très forte. Des mots avec une musique comme les Clash ou Ramones. Ces groupes punk qui ont accompagné ma jeunesse. Une jeunesse paradoxalement «No future» et militante. Heureuse de lire la prose d’une fille issue de la même vague. J’ai été déçue par la lecture du billet coup de poing. Guère de sens sous l’énergie. Comme si l’énergie avait tout bouffé pour ne laisser qu’un amoncellement de colères jetées pêle-mêle sur la page. Une éruption sincère mais qui ne m’ a pas du tout entraîné dans son sillage. Tous mes amis sur Facebook et sur tweeter avaient adoré. Pareil enthousiasme pour les personnalités publiques, intellectuels, artistes, militants, etc, qui me servent souvent de phare dans le flux d’infos. Contrairement à moi pas emballée par le texte si encensé. Une déception avec une irrépressible honte. Comme si j’étais mal pensante. La même honte que l’autre fois avec mes voisins.

     Un couple vivant dans la maison en face de la cité. Celle de ma première histoire d’amour. Avant que ses parent ne l’envoient au collège dans une autre ville. Une commune avec plus de chances de réussite pour leur rejeton. Lui et moi on se croisaient de temps en temps. Gênés. Puis la maison a été vendue. Aujourd’hui le pavillon est habité par un jeune couple avec deux enfants. Elle est costumière de théâtre, lui graphiste à domicile. Ils m’invitent de temps à autre pour prendre l’apéro. Chaque fois un petit pincement au cœur en rentrant. « C’est la meilleure viande du marché. Je ne comprends pas qu’on achète de la viande de merde. Vaut mieux en manger moins mais de la bonne. C’est comme le bio. On devrait tous acheter  que du bio ou raisonné  pour contrer la domination des distributeurs de poison légal dans les grandes surfaces. C’est un acte citoyen. ». J’ai eu juste le temps de refermer mon sac de courses sur la chaise. Pour cacher la viande en barquette. Plus tous les autres produits achetés chez Lidl. Son compagnon a vu mon geste. Nous avons échangé un regard. « Tu r’veux une p’tite bière, Inès ? ». J’ai répondu d’un signe de tête. Puis, très classe, il a emmené la conversation sur un autre sujet que les produits bio et les «beaufs» de gilets jaunes détestés par sa compagne. J’avais eu honte avec mes courses de mauvaise citoyenne. Comme avec ce texte si apprécié qu’il en devenait incritiquable. Peut-être passé à côté d'un grand texte. Je l’ai relu.

     Toujours la même énergie. D'ailleurs plus Ramones que Clash. Avec la sensation d’un bon produit bien emballé pour attirer le lecteur  mais complètement vide. Juste le cri de guerre d’une nouvelle génération contre celle des aînés à dégager. Une guerre des places sur l'échiquier des médias. Certes un cri reflétant des réalités incontournables. Et plus importantes qu’une guerre générationnelle classique. Des réalités comme le patriarcat, les prédateurs sexuels, et tous les salopards abusant de leur pouvoir. Avec dans le même cri la lutte de classes. Pourtant ce texte aurait dû me plaire. Pourquoi alors une telle méfiance ? Surtout concernant l’aspect lutte de classes. Pauvre échaudé craint même les discours sincères ? « On se lève et on se casse.». Une phrase me revenait en écho: Touche pas à mon pote. Un slogan d’une autre époque. Celle de millions d’espoirs, le vivre ensemble dansant et chantant dans des concerts, aujourd’hui éteints dans des périphéries plus paupérisées qu’avant. La petite voix lucide, une lucidité si souvent bouffante, revenait une nouvelle fois à la charge. Une voix nourrie d’expériences passées. J’ai pensé : Aujourd’hui, on se lève. Et demain on se case. Le mot d'ordre des futurs dominants ?

    Désabusée. C’est ce que me reproche Maurice Letallec, un de mes vieux voisins et ancien collègue de Papa. À presque 90 ans, Momo vend encore l’Huma sur la marché. Se fritant sans cesse avec les mercenaires de Marine Le Pen et ceux de l’islamisme. C’est mon épaule à chagrin d’amour au pluriel. « Commente veux-tu qu’un mec reste dans ta vie avec autant de colère en toi. Tu leur fous la trouille. Tu es trop désabusée pour être aimée.». J’ai piqué une gueulante le jour où Momo m’a balancé ça. Pour qui se prenait ce donneur de leçons ? Sa femme l’a quitté et ses enfants ne veulent plus le voir. C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Puis, après avoir claqué la porte de chez lui, j’ai marché un long moment. Ses mots en boucle dans ma tête. Il n’a pas tort. Je suis désabusée.

    Une femme auparavant abusée. Bien sûr pas comme ma cousine et toutes les filles, connues ou pas, tombées entre les sales mains de violeurs. Pourquoi dire prédateurs ? Des sales violeurs. Mon abus était différent. J’ai été abusée mentalement. On m’a fait croire à Liberté Égalité Fraternité. Plus tout le reste du tralala républicain. J’y ai cru et me suis battue pour ce rêve. Manifs, tracts… J’ai tout fait. Jusqu’au en étouffer. Gavée de leur promesses non tenues. Certes elles n’engagent que ceux qui y croient. Qu’est-ce qui j’ai cru. Abusée et en plus consentante. Prête même à encore aller déposer mon bulletin dans l’urne dès qu’on agite ra l’épouvantail du fascisme à nos portes. Une moutonne allant toute seule à l’abattoir. Nulle besoin de laisse. Suffit de balancer des nappes de brouillard dans les écrans. Un brouillard où se mêlent vraies douleurs et cynisme. Abusée et désabusée sans cesse. Des abus sans commune mesure avec ceux dénoncés depuis quelques années. Je n’ai pas été violée ou harcelée. Mais se sentir toujours le dindon de la farce sociale vous plombe les ailes. Même si désormais, je ne suis en désaccord avec mon vieux voisin. Il a tort. Je me suis plus du tout désabusée.

      Mais désespérée. Je préfère laisser ces abus dans le rétro de mon histoire immobilisée sur le lieu de mes premiers pas. Seul le prénom a changé sur le bail. Je loue l’appartement de mes parents. Hors de question de dormir dans ma chambre de gosse. J’ai pris celle de mes parents. Le nez à la fenêtre où ma mère visionnait une vie qu’elle aurait aimé vivre si… Tous ces si laissés en héritage par mes parents. Le si de Papa était un tour du monde à voile. Il l’a fait à bord de «Neptune nautisme» et « Thalassa». Un voyage sur ce même canapé. Pas que leurs frustration en héritage. Il y aussi tout leur amour qui me tient encore debout. Préférant l’ombre de l’espoir tapie dans le désespoir qu’à celui de l’abus de désabusé. Les dés sont jetés mais l’espoir tente encore de s’y accrocher. Pour sombrer moins vite. Croire quand même un peu, ne serait-ce qu’en pointillés, que le vieux monde ne pensant qu’avec ses couilles va nous faire de la place à nous les femmes. Mais aussi à tous les damnés de la terre, avec ou sans couilles. Ni parachute dorée ou carnet d’adresses à rallonges. J’y crois et n’y crois plus l’instant d’après. L’espoir, quand il a été blessé, se méfie même de son sourire dans le miroir. Pourtant il continue de m’habiter. C’est lui qui m’aide à me lever chaque jour. Pas pour me casser ni me caser. Avec parfois, les bons matins, une envie de tout casser. La rage que les casseurs d’utopies n’ont pas réussi à anéantir.  La force d’une femme qui ne sera jamais une perdante. Préférant être perdue. Une belle perdue que je me dis souvent en me regardant dans la glace. Avec sourire peint en rouge vif. Le sourire d'une femme désespérément heureuse.

    Le radio-réveil gagne toujours. Cette fois, il m’annonce ma mort. Elle se trouve entre les mains d’un être connu ou inconnu croisé dans la journée. Peut-être dans sa salive ou le contact avec une autre partie de son corps. Pourquoi me lever et risquer de croiser un virus en virée dans la ville ? Cela dit, je risque moins que nombre de mes contemporains. Peu de gens sur les routes à cinq heures du matin. Ni dans les bureaux où je fais le ménage. Du virus à une autre info. L’actualité des migrants prends le relais. Juste avant les prévisions météo et la circulation. Ça bouchonne autour de Paris et en France. Puis se pointe le 49-3 loin, très loin, dans le fil du journal. Comme les conflits des Césars déjà submergés par les crues du fleuve Buzz. Chacun voit la douleur du monde à sa porte. Avec une empathie plus prononcée pour l’une que pour l’autre. Difficile d’échapper à cette hiérarchie de sa tristesse et révolte. Surtout que le supermarché des souffrances n’est jamais en rupture de stock. Avec des quinzaines sur telle ou telles douleurs qu’on tente de nous vendre au détriment d’autres. Arrête de gamberger et lève-toi ma petite chérie ! Café et musique. Puis exercices de gym avant la douche.

     Et grimper sur mon engin. Pas n’importe lequel. « Paye-moi un godet et je te la retape. Elle sera comme neuve. ». Ma poubelle sur quatre roues était tombée en panne. Pas assez de fric pour une grosse réparation, ni pour en acheter une nouvelle. Comment faire ? Impossible de vivre sans bagnole. Pas de transports en commun au moment où je pars. En plus mes déplacements sont souvent dans des zones industrielles très difficilement accessibles sans véhicule. « T’as encore la bécane de ton daron à la cave. ». C’est Momo qui m’en a parlée. Je l’avais complètement oubliée. Papa allait à l’usine en mob. J’ai d’abord refusé. Quand même pas aller bosser avec la mob de Papa. « T’as honte ou quoi ? ». Momo n’avait pas tort. J’avais eu honte de Papa. Le seul de la cité à ne pas avoir de voiture. Fais chier cette honte qui me suit à la trace depuis l’enfance. Toujours là pour me rappeler que ce que je dis et écris ne pèse rien dans la balance. Pas de diplômes ni de Césars sur mes étagères. Juste une femme de cinquante ans bien foutue dedans et dehors. Pas toujours au top dedans. Mais, comme on dit, on fait aller. Un aller sans psy ni médocs. Peut-être grâce à petit cahier qui a fait de nombreux petits depuis le premier à quatorze ans. Personne ne me voit quand je me lève et me casse chaque matin. Bien assise sur ma mob.

     Pour ma tournée d’invisible.


     NB) Une fiction inspirée d’un échange lu sur tweeter. Un internaute engueulait un autre qui n’avait pas accroché avec la tribune de Virginie Despentes. Quasiment à le soupçonner de collaborer avec les violeurs et dominants. Le «mauvais lecteur» rappelait sans cesse, comme pour s’excuser, qu’il aimait beaucoup les fictions de l’auteure. Il a fini par laisser tomber la joute numérique. Lassé de se justifier de ne pas avoir aimé une tribune. Et pourtant d'accord avec le combat des actrices et autres femmes contre les harceleurs et violeurs.

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