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Musique confinée. Un confinement en termes d'espace. C'est le deuxième concert de Bluz Driver dans un appartement exigu. Le logement d’un pianiste qui organise des concerts en toute petite jauge. Quel genre de musique ? Une que je n’écoute pas habituellement. Ni à domicile, ni en extérieur. De la «musique libre mais codifiée » explique le bassiste. Visiblement pas un spécialiste de la com. Ce qui change agréablement des mécaniques à communiquer. Certes efficace et sans doute nécessaire . Mais inquiétante: une sorte d'IA intériorisée. Sommes-nous tous en passe de devenir des technico-commerciaux de nos histoires? Suivez-moi, likez-moi, etc. Désormais, la vente de soi et de son travail est camouflée entre autres derrière un verbe auparavant à but non-lucratif. Lequel ? Partager. Le bassiste parle sous le regard souriant de la pianiste et du batteur. Un discours très rapide. Avant de passer à l'essentiel. Place à la musique en direct.
Pourquoi être venu entendre un son difficile à mes oreilles ? Pour être honnête, la première raison est que le batteur est l’un de mes fils. S’il avait été joueur de foot, je serais dans les gradins. Avec sans doute une meilleure compréhension du jeu devant moi. Mais mon lien de sang avec le teneur de baguettes n’est pas l’unique raison de ma présence. Depuis quelque temps, à vrai dire assez longtemps, je n’hésite pas à aller contre mes à priori. Comme tout le monde, j’en ai un certain nombre. Rien de plus naturel. Nulle honte à avoir des à priori. La honte serait de ne pas tenter au moins de les dépasser pour aller voir plus loin. Revenir avec son à priori conforté. Ou au contraire, avoir changé. Ce qui s’est passé pour ma part lors de ce concert.
Du plaisir à écouter ce que je n’aimais pas. Voire même une certaine jubilation. Pris, comme les musiciens, dans une sorte de transe. Une sorte de secouage sous la peau. Plus du tout l’éducation ou le cerveau aux commandes de soi. Ne pas comprendre est plus un souci. Avec une invitation à perdre ses points de repères. Être l’instant et le son. Je crois que c’est la première fois que ça m’arrive avec ce genre de musique. Les quelques fois que j’en ai écouté, je suis resté à la lisière. Mon éducation par la radio sur la table, ma culture blues-punk-rock, servait de frontières. Contrairement à ce moment. Mes oreilles devenues sans frontières. Et la chair de sons.
Inutile d’en rajouter. L’internaute qui le souhaite peut « juger sur sons ». Mais, avant de conclure, juste un dernier point. Outre le concert, un autre plaisir. Se dire que la beauté peut se nicher partout. Même dans un espace aussi réduit. Pas uniquement dans les grands-messes cathodiconumérique. Même si certaines révèlent de vraies talents. Revenons au petit appartement où nous étions une trentaine serrés comme des sardines. Malgré les difficultés pour les artistes (sans couverture médiatique), il y a des initiatives comme celle de ce concert. Avec de réelles difficultés logistiques. Dont celles des chiottes pas habituées à accueillir autant de monde. Mais l’ambiance n’était pas de merde. Au contraire. Et la musique m'a semblé avoir plus à l'auditoire. Même si ce genre musical n’est pas la tasse d’oreille de tout le monde. Le premier à être fort critique. Avant un soir de mars. Bel éphémère de plus à ma collection.
Certes, je ne peux être objectif avec le fiston qui joue dans le trio. Mais, au-delà de ça, une autre motivation à écrire ce billet. En quelque sorte, une lettre adressée indirectement à une femme. Son nom ? Peu importe. Une lettre qui n’est pas ad hominem mais es qualités. Une femme qui a un certain pouvoir. Si elle lit par le plus grand des hasards ce texte, elle se reconnaîtra. Même s’il ne la fera sans doute pas changer d’avis. Pas le premier écrit à son sujet. Cette femme de pouvoir a quasiment éradiqué la culture dans sa région. Soit disant que ça coûte cher. En oubliant de rappeler que cette culture « si coûteuse » contribue sept fois plus au PIB de la France que l’industrie automobile. Revenons à sa décision locale.
Cette dirigeante est une « cost-killeuse » de culture. En français, une réductrice de coût. Son métier, ce sont les chiffres. Pas un sot métier, quand il mêle le cerveau et le cœur. Certains sont même comptable et immense poète : Fernando Pessoa. Ce qui n’est pas le cas de notre époque où le profit prime le plus souvent sur le vivant. Visiblement le cas de cette cost-killeuse dégommant le budget culturel de toute une région. Réductrice de beauté et de lien social. Coupant dans de la culture vivante. Une vie qui enrichit les citoyens et citoyennes. En plus, répétons-le : un domaine d'activité qui contribue à l'économie. Son coup de ciseau réduit l'avenir.
Car la culture et l'éducation - duo indissociable - participent de notre horizon. De différentes façons. Dont celles d'être deux armes de combat. Certes pas les seules. Elles ne peuvent rien sans d’autres armes. Mais, quoi qu’en pense cette dirigeante et d’autres, la culture et l'éducation peuvent être d'utilité publique. Notamment dans le combat contre les obscurantismes (religieux ou national-identitaire). Sans oublier non plus la lutte contre le sexisme, la transphobie, etc. L’éducation et la culture, distillées dans de jeunes cerveaux, peuvent empêcher des passages à l’acte comme les féminicides, l’inceste, et d’autres violences. Ce qui n’est tout de même pas négligeable. En plus d’aider à éviter le pire, ce duo nous ouvre sur le monde et l'autre. Il aide à développer une pensée complexe et un esprit critique. Nous distillant de la réflexion et des émotions. Sans oublier la poésie. Dans le but de bonifier nos histoires imparfaites.
Dont la vôtre, chère « cost-killeuse » de budgets. Votre geste de couper les vivres à la culture de votre région n’est pas anodin. Il aura bien sûr des conséquences pour les artistes et toute l’économie autour. Les habitants de la région seront ainsi « privés de culture ». Ou contraints à des spectacles uniquement grand public ou vus à la télé et sur le net. Toutefois, le spectacle populaire ne veut pas dire mauvais. Le succès et la visibilité n’empêchent pas le talent. Se méfier de nos raccourcis en termes de culture. Comme tout spectacle sans succès n’est pas synonyme non plus de qualité. Indéniable que certains poètes dits maudits ne sont pas bons. Être un artiste dans l’ombre n’est pas un gage de qualité artistique. Le talent ne se limitant pas à la visibilité ou à l’invisibilité. Fort heureusement, nous sommes en démocratie et pas contraint d’écouter les mêmes musiques, regarder les mêmes images, lire les mêmes livres, écouter la même radio, lire les mêmes journaux…. Même si la loi du marché nous fait plus ou moins marcher au pas culturel. Privilégiant le pot de fer contre le pot de terre. Avec souvent un éclairage sur ce qui est déjà en pleine lumière.
Penser à une « cost-killeuse culturelle » en écoutant un concert en appartement. Plus de la digression, mais du grand écart en élastique. C’est grave docteur ? Fort heureusement, je n’ai pas pensé qu’à elle et ses clones à calculettes. Des comptables de court terme qui mettent en faillite toute la planète. Mais peu importe le chaos, s'ils ont l’ivresse des dividendes. Pas un scoop ce billet. Juste une piqûre de rappel. Pour ne pas oublier l’apport au quotidien des musiciens, des comédiens et comédiennes, des acteurs et actrices, des auteurs et autrices, des réalisateurs et réalisatrices de films, des peintres, des créateurs et créatrices de jeux vidéo, etc. Imaginez que tous ces « coûte cher » cessent toute activité une année durant. Et que les radios, télé, et chaînes numériques, arrêtent toute diffusion culturelle. Plus tous les cinémas et théâtres fermés. Juste que des actualités d’un monde qui va mal. Avec toujours les mêmes voix en boucle. Des bouches balançant du brouillard. Pour régner en terre confuse.
Rideau baissé sur tout le pays. Plus la moindre existence culturelle. Excepté les bistrots. Mais des bars sans autre musique que celle du silence et des conversation. Certes, ici et la là un ou musicienne faisant ses gammes en attendant des jours meilleurs pour retrouver la scène et créer des disques. Pareil pour les auteurs et autrices, peintres, comédiens et comédiennes, danseurs et danseuses, chateurs et chanteuses… Tous et toutes en suspens dans leur coin. Une année où nos villes, nos villages, et nos vies, seraient plus que mornes. Vidée de tout rêve et espoir. Tous et toutes sombres dedans et dehors.
Une situation dont rêvent les obscurantistes de tout poil. Les uns en interdisant toute forme d’art. Pour que tout soit assujetti à la religion. Alors que les autres vont imposer qu’une seule culture. Celle ne remettant surtout pas en cause le pouvoir. Bien souvent, il s’agit de dictature militaire ou de régime très autoritaire. Néanmoins, il y aussi une autre forme d’obscurantisme, avec une violence moins directe : l’ultra-libéralisme sauvage. Avec sa culture imposée que la majorité d’entre nous pense avoir choisie. Dans les deux cas, avec ou sans violence, un même désir de verrouillage. Restreindre l’espace sous nos crânes. Et voiler de nuit la face du monde.
Que de digressions pour juste remercier. Tous ces fêlés et fêlées qui, contre vent et « cost killers », continuent de nous faire rêver, penser, et avancer. Sans oublier de nous faire douter. Des irréductibles qui œuvrent en appartement, au bistro du coin, dans une petite salle de village, ou dans les grands-messes médiatiques ou salle de 50 000 personnes. Peu importe le lieu, si le désir et le sens répondent présent. À nous d’apprécier ou non. Avec tout à fait le droit de critiquer, voire même de détester. En tout cas, ces artistes de toute sorte nous font vivre plus que notre vie. Nous proposant des « rallonges d’être ». Avec des invitations à s’élever plus haut que soi.
Comment conclure ( cette fois pour de vrai ) un billet parti dans tous les sens ? En revenant à ces êtres de « chair et culture ». Très visible ou plus ou moins invisibles. Ce sont eux plus ou moins en danger en ce moment. Avec entre autres les comptables et autres financiers maniant le chiffre au détriment du reste. Prêt à sabrer dans la culture si ça peut leur rapporter quelques dividendes de plus. Les mêmes bousillant l’hôpital, l’éducation, et nombre d’autres espaces vitaux pour la démocratie. Ciblant en priorité tout ce qui faire du bien et tisser du lien. Surtout si ça ne rapporte pas aux actionnaires. Détruire tout ce qui relie nos solitudes et nous permet de voir plus loin que soi. Comme les petites et grandes mains de la culture.
Merci à elles pour notre quotidien !
NB : Une autre vidéo du trio. Et le lien avec leurs propositions musicales. Un trio loin des lumières offrant une grande visibilité. Mais leur essentiel se situe à un autre niveau. Pas dans la quête de lumière à n'importe quel prix. Préférant se concentrer sur leurs outils et travaux. Pour créer de la musique bien vivante. Et avec du sens. Une musique en chantier. Des sons à suivre...