« Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs.
L'Usage du monde, Nicolas Bouvier.
Nous sommes nombreux à avoir été très touchés par le dynamitage des grands Bouddhas. Et très en colère contre ce geste lâche et barbare. Plus récemment la destruction de statues et sculptures ( certaines seraient des copies) a soulevé aussi une indignation planétaire. Ces barbares veulent détruire la mémoire des civilisations. Eradiquer toute trace de culture et d'intelligence humaine pour instaurer leur dictature de l’obscurantisme. Comme quand ils ont tenté de tuer la liberté d’expression avec le massacre de Charlie Hebdo. Des ennemis incontestables de la démocratie et du progrès.
L’émotion est beaucoup moins forte dans l'opinion publique quand il s’agit de la destruction massive de la flore et la faune, s'indignait une amie. Très remontée contre l'hyper médiatisation au sujet de la destructions d'ouvre d'art et le quasi silence des médias concernant les industriels qui détruisent l'écosystème. Révoltée surtout contre la criminalité organisée avec l’extraction du Coltan nécessaire à nos indispensables mobiles. Sans compter le massacre des bonobos et des éléphants et rhinocéros amputés de leurs défenses ou de leur corne. Une corne parée des attributs de la virilité, guérissant soi-disant du cancer, ou juste pour le plaisir de collectionneur. Surtout une corne d'abondance de l'horreur.
Certains détruisant au nom de leur Dieu (le fric aussi) et veulent nous asservir. D'autres, sans kalaches ou explosifs, bousillent des territoires entiers pour que nous puissions lire notre presse quotidienne sur nos tablettes. Bénéficier des bienfaits réels du progrès. Coincés entre les fous de Dieu et les fous du Cac 40? Dangereux dans les deux cas.
La dénonciation de la folie sanguinaire des barbares islamistes est à juste titre très forte. Contrairement à la critique de nos chers industriels "tueurs de planète" qui s'étouffe sous notre mouchoir. Pourquoi notre indignation baisse d'intensité face à eux ? Très délicat de remettre en cause ceux qui permettent notre existence d'homo-numéricus. Quelques-uns agitent la sonnette d’alarme sur ce massacre plus dangereux pour l’humanité que la destruction de Bouddhas et autres œuvres d’Art (même si c’est ignoble). Des voix inquiètes de l'avenir de la terre très peu relayées. Peu convertibles en buzz.
Pas des millions de gens, avec de grands dirigeants au coude à coude, pour manifester dans la rue contre cet obscurantisme international en col blanc. Normal de l’ouvrir un peu moins car sous ce mouchoir se trouve notre téléphone. Et on ne s'en passera plus. Quand même pas scier la branche qui nous permet de communiquer. Cette branche qui nous propose une place sur le réseau.
Si tu n'as pas, tu n'es pas. Cette phrase peut se décliner en toutes les langues et dans tous les milieux. Si tu n' as pas un bureau à 100 000 euros, tu n'es pas un dirigeant à la hauteur. Si tu n'as pas la dernière appli, tu n'es pas dans le vent numérique. Si tu n'as pas un article dans Libération ou le Monde, tu n'es pas un vrai acteur ou écrivain. Si tu n'as pas un naturopathe ou un quelconque coach, tu n'es pas un humain conscient de ton corps et son rapport à la planète. Si tu n’as pas du réseau, tu est out….Si tu n’as pas le dernier n’importe quoi, tu es le dernier dans la course à la présence en temps réel. La liste des " Si tu n’as pas, tu n’es pas », du fait de l’obsolescence, change très vite. Branché hier, ringard aujourd’hui. De plus en plus complexe d'être à la bonne heure de la technologie.
Apple et d'autres constructeurs sont nos gourous technologiques. Pour les gourous mentaux, nous en avons d’autres à disposition. De Michel Onfray à Pierre Rabhi, chacun peut en trouver un à sa pointure. A propos de Pierre Rabhi, pourfendeur de la société égoïste, très étonnant d’apprendre qu’il ne se déplace pas pour une conférence à moins de 1000 euros et 600 participants. Certes p’tit bras face à Nicolas Sarkozy. Grand chantre de la tolérance n’hésitant pas, digne de la manif pour tous, à considérer l'homosexualité comme une impasse de l'humanité. Qu’est-ce ce que je raconte ? Je blasphème. On ne critique pas le messie. Fort heureusement, quelques mécréants iconoclastes sévissent . La moindre critique de cette divinité et d’autres nouveaux micro-dieu de proximité te place d’emblée dans le camp des réacs. Parfois ennemi de la laïcité.A chaque milieu, sa divinité. Chasser Dieu, il revient sous un autre masque.
Tous, chacun à notre degré de connexion quotidienne, participons à ce chantier de contradictions à ciel ouvert. Dans nos poches et sur nos bureaux, les éléments contribuant à une partie de la destruction de la flore et la faune de la planète. Destruction pour assurer notre pitance numérique quotidienne. Critiquer le massacre planétaire, les gosses qui bossent dans les usines, nous empêchera pas de pianoter sur notre smart-phone. Ecrire ce texte et le poster sur un blog. Puis prendre un billet de train sur le Net. Tous complices du planèticide en cours ? Comment faire quand on ne peut faire autrement ? Aujourd’hui, Nicolas Bouvier, auteur du superbe « Usage du Monde » écrirait-il« Le monde usagé » ?
Des générations nous ont précédés, d’autres nous suivent. A chaque période, on entend « le monde va mal ». Nos parents et grands-parents déjà catastrophés par le modernisme qui déshumanise toutes les relations et détruit le monde. Que de charges contre les premiers ordis dans les services publics. Anxieux de perdre le contrôle au profit des machines. S’offrir corps et âme au Dieu Algorithme. Rien de nouveau sous le soleil du progrès technologique ?
Vivre et jouir sans entraver la gestion de notre image sur la toile. Selfie permanent. Apparaître ou être à part. Grand donneur de leçons sur les « obscurantistes à barbe et kalache », nous traînons des pieds à dénoncer Alcatel ou nos autres marques de mobiles. Nos médias aussi très timides sur ce sujet. Pourtant, à l’instar des briseurs de Bouddhas, ces vendeurs de mobiles entraînent d’une certaine manière le monde à sa perte. Mais ce sont aussi de bons annonceurs qui à aident à l'équilibre financier de nombreux journaux. En plus très "Je suis Charlie" et pour la défense de la liberté de la presse. Difficile de critiquer la marque qui te nourrit.
D'une part, une minorité de musulmans cherchant à effacer toutes traces d’art et de culture, au nom de leur Dieu. D'autre part, certains industriels sans scrupules n'hésitent pas à détruire jour après jour la planète. Au nom du Dieu pognon, ils sucent le sang d'africains dont certains meurent pour notre confort numérique. Sans eux, nous ne pourrions pas communiquer et surfer sur le web. La destruction d'oeuvres d'art plus bankable médiatiquement que la mort d'humains?