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Billet de blog 3 avril 2025

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Joie à l'arraché

Banale soirée entre copains et copines. On a mangé, bu, ri, parler de livre, de films, de politique, dit du mal ou du bien, repris un verre, nous nous sommes remémorés que le monde va mal, encore un peu de rire… Rien d’extraordinaire. Mais du banal redevenu essentiel. Notamment depuis le Covid. Cet ordinaire qui nourrit le temps qui passe. Nos joies durables et éphémères.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Photo: Marianne A

En mémoire de Jacques Vallet

          Banale soirée entre copain et copines. On a mangé, bu, ri, parler de livre, de films, de politique, dit du mal ou du bien de personnalités publiques ou de proches, repris un verre, nous nous sommes remémorés que le monde va mal, voire très mal, c’est très bon mais je me suis déjà servi, alors encore un peu de rire… Rien d’extraordinaire. En creusant, on peut penser le contraire. Voire cette très bonne soirée sur un autre angle. L’extraordinaire de ces ordinaires qui peuple chaque histoire. Tissant des liens durables et éphémères. Tous ces bons moments prennent de l’importance. Au fil du temps, on apprend que l’essentiel n’est jamais très loin. Ni nécessairement bruyant ni voyant. Parfois juste un instant passager. Du banal redevenu devenu essentiel. Notamment depuis le Covid. Cet ordinaire qui nourrit le temps qui passe. Nos joies durables et éphémères.

           Interruption de nos programmes « Joie et poésies, etc. ». Bien sûr, nous reviendrons vers vous dans les plus brefs délais pour évoquer tous ces petits riens qui éclairent et embellissent nos existences. Mais un impératif s’est imposé. Rien de  très grave. Ce n’est qu’une péripétie vécue par nombre de concitoyens et de concitoyennes. Surtout les sans-grades et pas nés avec un carnet d’adresses. Mais la majorité d’entre eux et elles ne font pas tout un plat de ce genre de péripéties. Sinon, des femmes et des hommes qui passeraient leur temps à dénoncer leurs pointes d’écrasement visibles et invisibles au quotidien. Comme la barrière de contrôleurs sur le quai à 8 h 00 du matin,  face aux usagers sortant d'un TER et qui se rendent au boulot. Un exemple parmi nombre de petites et grandes vexations  subies par certains citoyens et citoyennes. Pestant intérieurement, l’usagère ou l’usager ( de plus en plus usé et client) tend son abonnement à la main contrôleuse et accélère le pas pour compenser le retard ajouté.  Tout ça à cause d'un contrôle de billets avant d'attaquer une journée de travail.  Pas le temps de se plaindre. Ni d’écrire des billets de blog.

        Contrairement au nanti que je suis. Avec le temps de pouvoir décrire une rencontre avec un jeune coq. Aux abords d’une gare. Le gendarme me fusille du regard. De son poste d’observation, derrière la vitre de son véhicule. Un jeune type de moins de trente ans. Il a l’âge de mes gosses et de leurs copains et copines. Peut-être est-il mal luné. Comme n’importe qui à certains moments happés par une brusque montée de colère. Sa copine l’a plaqué pour un ou une autre ? Le banquier lui a refusé un prêt pour l’achat de sa maison ? La nouvelle est tombée à l’instant sur son smartphone : sa mère est atteinte d’un cancer foudroyant. Sans doute que ce jeune doit avoir un souci, me suis-je dit pour le dédouaner de son attitude. Avant de croiser à nouveau ses yeux. Ma première impression était la bonne : bien un regard de défi. Le même que certains jeunes mâles de bars ou de cité. Avec l’habitude, on finit par repérer ces jeux de petits pouvoirs de proximité. Quelle perte de temps et d'énergie. Comme ce bras de fer à distance.

           Nulle envie de baisser les yeux. L'espace public est autant à lui qu'à moi. Tous les deux sommes présumés colocataires sous le ciel de la même République. Pourquoi me dévisage-t-il avec une telle haine ? Parce que je suis un métèque ? Qualifier d'emblée son regard de raciste serait facile et en plus peut-être à côté de la plaque. Chaque regard noir sur un noir ou un Arabe n’est pas nécessairement du racisme. N’en déplaise à celle et ceux qui sont en train de commettre la même erreur qu’avec la main jaune cloisonnante et porteuse de divisions. Sans aucun doute pour beaucoup de militants de la cause, un engagement très généreux et sincère.  Il me semble assistons à un nouvel enfermement de ce type avec la banalisation du terme « racisé ». Mais avec une grande différence : nul n'était obligé de porter la main jaune, contrairement à son visage défini comme racisé - à perpète. Sûr que mon propos ne va pas plaire à certains de mes proches et à la rédaction de Mediapart. Mais comme pour la main jaune, le futur nous éclairera et départagera sur ce sujet contemporain. Peut-être que j’ai tort. Ou ce sont les diffuseurs du vocable « racisé ». Affaire à suivre... 

        Mais revenons aux yeux du jeune gendarme. Fusillé du regard à cause de ma dégaine de bobo sexagénaire ? Juste parce que ma gueule ne lui convient pas ? Bouc émissaire de ses nerfs qu’il n’ pas pu passer sur quelqu’un d’autre ? Toutes ces raisons mêlées ? Je dois avouer ne pas avoir de réponse. Me retrouvant face à un jeune coq fébrile et armé. Il ne cessait de gigoter sur son siège. Ses sourcils tendus, la mâchoire serrée. Son regard restant braqué dans ma direction. Contrairement à moi l’observant en coin. Discrétion professionnelle de nombreux vieux briscards du contrôle de police. Toujours un regard flottant quand on croise la maréchaussée. Même en n'ayant rien à se reprocher. Un regard un peu trop appuyé peut être interprété à charge. Le coq ouvre la portière. Un instant hésitation. Avant de poser une chaussure sur le trottoir.

         Bras de fer gagné par la coquerie. J’ai baissé les yeux. Guère envie de me faire contrôler par ce jeune bas de la casquette. Encore moins de finir en garde à vue pour outrage rébellion. Ma parole ne pesant rien contre la sienne assermenté. En plus, mon train n’allait pas tarder. Droit au sol de France, me suis-je dit, les yeux rivés au trottoir. À bien sûr commencer à relativiser. Ce n'est pas si grave. Rien à voir avec une vraie bavure et silhouette dessinée sur le trottoir. Ni au contrôle musclé d’une jeunesse sous le ciel du 93. La faute à pas de chance d’être tombé sur un jeune con. Pour autant, je ne vais pas dégainer l’amalgame et mettre tous ses collègues dans le même sac. Parmi eux, il y a une vraie police républicaine. Présente pour « garder la paix » et défendre les plus faibles. Cette partie de la police existe aussi. De moins en moins de flics républicains ? 

         Fatigue. Soupir. Une soudaine fatigue sous une parcelle de ciel de France et du monde. À 62 piges, encore contraint de baisser les yeux devant un flic. L’âge ne donne bien sûr aucun droit prioritaire. Mais, comme après certaines soirées bien arrosées, on a plus de mal à encaisser certaines petites humiliations et injustices. Comme l’attitude de ce jeune flic. Pas de son voisin ou voisine de voiture où il se trouve seul derrière le volant. Un jeune coq qui, comme dans ses jeux vidéo, ne me voit que comme une cible pour gagner des points. Certes, pas avec moi qu’il va faire exploser les compteurs. Bancable, sans le second b. Et donc facile à faire baisser les yeux. D'un coup d’œil, il m'avait étiqueté. Rangé dans la catégorie vieux bobo-baba.

        Loin d'être le seul dans le coin avec cette dégaine. La scène se déroule au bord de l'Ariège et de ses nombreux néo-ruraux « Je suis Charlie Télérama, Libé... » venus s’installer dans les années soixante dix et après. Si j’avais eu les cheveux courts, le costume aux chaussures pointues, la joue mal rasée au millimètre près, et toute la panoplie du gagnant-gagnant, ce jeune flic m'aurait-il toisé de la même manière ? J’en doute. Un métèque, people visible ou avec des habits de pouvoir, subit pas ou très rarement ce genre de petite humiliation. Seul le blanc du bas de l’échelle, son collègue de barreau qui est métèque, ont le droit à ce genre de traitement. Certes pas grand-chose. Banal croisement avec un coq assermenté. Mais à 62 piges, on a envie d’autre chose. Parler de poésie, de beauté,  de cuisine, de bon vin, de foot ... Ou tout simplement partager un silence dans le pays de son enfance.  Et ces trois mots inscrits au fronton de l’école communale. Avec elle, très présente. Même sur les timbres, la Marianne en veilleuse de République. Fatigue du jour. Soupir de 62 printemps d'ici.

          Indécent d’évoquer ce petit incident sur le parcours du quotidien ? La question que je me suis posée après en avoir parlé à une personne proche. Banal en comparaison de la tragédie contemporaine du monde, s’est-elle sûrement dit. Et avec raison. Surtout au regard de ce qui se passe sur la planète. Pendant ce bras de fer, plusieurs amputations d’enfants à Gaza, des bombardement incessant en Ukraine et d’autres pays. Dont le Yémen subissant un enfer depuis de longues années sans proposition d’aide militaire et financières, ni de couverture médiatique. Et sur l’ardoise de notre jeune siècle, ne pas oublier non plus l’Irak, la Syrie, 7 octobre 2023 en Israël, l’Érythrée, la Somalie, l’ Afghanistan, les femmes détruites en Iran et ailleurs dans le monde, la colonisation programmée du Groenland…  Stop ! N’en jetez plus. La cour planétaire est pleine. Débordante de sang versé. Et de notre connerie humaine à rallonges. Que faire de toute notre impuissance face à ce chaos ? Essayer de conserver de l’empathie multiprise.

         Face à ces tragédies, que représente le mépris d’un jeune flic sur un de ses concitoyens ? Rien. Comme on dit dans les milieux populaires : chiale un coup, ça te fera du bien, et en plus, ça lave les yeux. D’autres du « Bar du Marché » proposeraient de péter un coup. J’ai écrit ce billet. Utile d’en parler ? Peut-être pas. Ne va pas te plaindre avec tout ce qui se passe dans le monde. Qu’est-ce que c’est une main au cul ou au sein, une vanne humiliante volontairement (pas de l’humour, mais de l’abus de pouvoir), un sale Arabe Noir Juif, Musulman, PD Gouine, un contrôle d’identité musclée, un délit de faciès à l’entrée d’une boîte, un collège sans les mêmes chances que d'autres… Une liste non-exhaustive de ce dont il ne faudrait pas se plaindre en temps de guerres et autres abominables sur la planète. Après réflexion, je me suis dit: rien n’est banal quand on le subit. Bien sûr toute proportion gardée. Chaque souffrance est respectable. Et digne d'être soignée. Voire guérie. De l'enfonçage de porte ouverte ? Sans doute. Mais parfois, elles se referment. Et doivent être ré-ouvertes.

          Grand écart d’une banale soirée par ordinaire à un bras de fer visuel entre un sexagénaire et un jeune flic. Puis un détour par le « chantier de tragédies » de notre siècle. Que faire ? Toujours relativiser ? Ne plus évoquer ces vexations de l’ordinaire alors que la planète est à sang et à feu ? Chaque être blessé – profondément ou en superficie - fera comme il veut. Toutefois, il me semble important de ne rien négliger. Du petit bobo au génocide. Avec bien sûr des urgences à traiter en priorité. Mais nulle souffrance humaine ne doit passer par pertes et profits. Même si face à la masse d’horreurs, certaines douleurs seront sans doute étouffées sous la pile de dossiers. Néanmoins, on peut ne pas être indifférent à toutes ces « micro-souffrances ». De proches ou de gens croisés plus ou moins régulièrement. . Du bras d’un enfant amputé sans anesthésie à la main qui fait la manche devant le supermarché. Plus toutes les autres souffrances visibles et invisibles. Suffit d’ouvrir son écran pour constater les dégâts. Nous avons des preuves en direct. Grand gâchis humain sans frontières.

         Malgré tout ça, ne pas négliger les plaisirs. Comme la soirée décrite en début de billet. Adopter le fameux « Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent ». Revenir sans cesse à la citation du poète arracheur de joie ( pourtant suicidé à 37 ans) au temps qui passe. En tout cas, la proposition de Vladimir Maïakovski vaut le coup. De plus, la joie n’occulte pas la noirceur du monde. Elle est juste cette bouffée d’oxygène qui permet de ne pas s’asphyxier le cœur et le cerveau. Continuer de respirer, se lever chaque matin, faire, défaire, aimer, détester, baiser, rêver, chialer, penser, être con ou conne, admirer un silence passager… Arrachons, arrachons le plus possible de moment aux temps. Tous les instants qui habillent une histoire unique. La sienne. Et celle de l’autre. Profiter de son passage sur la planète.  Avant d'être arraché à jamais. Et sans nouvelle pousse de printemps.

           Arrachage de joie à tous les étages.

        Pour conclure, la parole au très grand poète Armand Robin. Lui n'a pas vécu un banal bras de fer avec un jeune homme. Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l'infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul, le lendemain, dans des conditions qui n'ont jamais été éclaircies. Un homme et poète irréductiblement libre. Même mis sur liste noire par des rouges ... Sa poésie à lire ou relire.

LE PROGRAMME EN QUELQUES SIÈCLES

On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice,
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l’Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera l’Esprit de Vérité
Au nom de l’Esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.

On supprimera le Sens du Mot
Au nom du Sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots.

On supprimera le Sublime
Au nom de l’Art,
Puis on supprimera l’art.

On supprimera les Écrits
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.

On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le Prophète
Au nom du Poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera les Hommes du Feu
Au nom des Éclairés,
Puis on supprimera les éclairés.

On supprimera l’Esprit
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L’HOMME ;
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L’HOMME ;
IL N’Y AURA PLUS DE NOM ;

NOUS Y SOMMES. 

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