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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 3 juillet 2015

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Les ailes d'un poète éthiopien

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"Sinon, les morts continuent de mourir, les vivants de mentir, et les autres cherchent la sortie de secours."

N Maury

        Pourquoi avoir bu son breuvage ? Avec ça, tu seras invincible. Dès les premières gorgées de son mélange d’alcool et de plantes, je me suis senti basculer. Une espèce de décharge électrique dans la poitrine et un voile devant les yeux. Évident qu’il avait dû rajouter des produits de sa pharmacie. En tout cas, il a raison sur un point : aucune anxiété. Pas la moindre trouille.  Juste l’impression d’être comme dans un trou noir. Tout se mélange dans ma tête. Un vrai brouillard.

Et ce bruit infernal. D’où provient-il ? J’ai l’impression qu’il vient de l’intérieur de mon corps. En plus, j’ai chaud, froid, chaud…. Surtout froid, de plus en plus froid. Ma chair est glacée. Avec ma p'tite boisson, le poète, tu traverseras tous les murs de la planète. Pas meilleur calmant sur le marché.  C’est mon plus vieux copain d’école. Lui, pas doué du tout pour les études a commencé à bosser à 14 ans dans un garage. Jusqu’à ce qu’il entende Bob Marley et devienne complètement mystique. Il parle aux fantômes. Contre une modique somme, n’importe qui peu aller bavarder avec ses morts. Lui servant d’ambassadeur. Une espèce de chamane en pleine ville. D’ailleurs tout le monde l’appelle Bob le Chamane. Depuis, il vivote avec des petits boulots. Il se défonce pas mal mais, je ne sais pas comment il fait, jamais il ne franchit la ligne blanche de la légalité. Honnête jusqu’au bout de son délire.

Contrairement à lui, j’étais très bon à l’école. Le meilleur de la classe. Grace à une bourse, j’ai pu quitter mon village paumé et être interne en ville. Premier bachelier et diplômé d’une école de commerce. de ma famille. Mes parents avaient invité tout le village pour fêter cet événement. Très vite, je compris que j’aurais du mal a monnayer mon diplôme. D’autres, issus d’un autre monde, était prioritaires. On parle souvent des élites françaises et d’autres pays occidentaux trustant tous les postes importants. Mais, être pauvre et diplômé en Afrique est peut-être encore plus dure. Encore plus en cette période de guerre permanente que nous vivons en ce moment. Plus il fait sombre dans les têtes, plus elles rétrécissent.  Chacun se bat pour garder ce qu’il a, prêt à marcher sur son contemporain. En France, les passe-droits sont plus subtils; on " intègre " des citoyens venus de l’autre bord. Pauvres bien présentables. Mais ces heureux élus de la loterie sociale doivent se tenir à carreaux, ne jamais mordre la main qui les nourrit. Chez nous, les dominants ne prennent pas de gants. Si t’es pauvre, faut que tu sois un vrai carnassier pour grimper les échelons. Marche ou crève. Trop fragile, je n’ai pas réussi à marcher. Ni crever.

Au village, tous pensent que j’ai un bon poste avec plein d’argent. Mes parents ont envie de me visiter, voir où je vis. Toucher ma réussite. Plusieurs années que je leurs mens en disant que je suis la majorité du temps à l’étranger. Parfois, je passe les voir. En costume-cravate, je débarque  et joue au cadre. Pathétique. Pourquoi leur raconter la vérité ? Ils sont tellement fiers de leur fils.  Souvent, eux ou des voisins me demandent de leur rédiger des documents administratifs.  Et je repars en ville.  Retrouver mes petits boulots, la piaule contre le gardiennage de l’immeuble. En larmes dans le train du retour.

Entre temps, sans doute pour apaiser la sensation d’avoir été berné les sirènes de l’égalité pour tous les citoyens,  je me suis jeté à corps perdu dans la sociologie. Tout dévoré. Aussi efficace que pendant mes études de commerce.  Prêt à m’investir dans un parti politique. Pas le cuir assez tanné, j’ai renoncé à m’encarter et intriguer. Que faire ? Cuirassé intellectuellement mais plutôt faiblard psychologiquement. Un soir dans un bar, j’ai croisé Bob. Lui, quasi analphabète, intégré que moi dans la société.  Apprécié et très respecté. Alors qu’au départ, selon les critères scolaire, j’aurais dû avoir une bonne place sur l’échiquier. Et lui se contenter des marges. Nous avons parlé des heures durant. Le soleil se levait quand je rentrais chez moi. Mon premier matin de poète. 

Où es-tu Bob ? J’ai l'impression de perdre complètement la raison. Je ne sais plus où je suis, encore moins où j’en suis. Je n’aurais pas dû. Quitte à perdre, autant gagner. Ici, mes belles phrases ne servent plus à rien. La poésie ne protège pas du froid. Bob, tu m’entends ? J’ai besoin de ta main pour me sortir de là. Je suis coincé. Recroquevillé comme dans un cercueil. La mort viendra et elle aura tes yeux, écrivait le grand Pavese. Ici, pas d’yeux. Ni de Dieu. Que le froid, la nuit plus noire que la nuit, le souffle glacé du néant, les étoiles au bord des doigts. Je crois que je suis en train de devenir fou. Pas ma folie habituelle.  Je ne me reconnais plus.

Quelle folie de vouloir jouer le poète. Rimbaud est venu chez nous. Je suis d’un petit village près de Harar où le poète a élu domicile quelque temps. Je m’étais juré qu’un jour, moi aussi, j’irai chez lui.  Chez eux. Leur montrer ce que j’ai au fond de moi. Moi aussi, je est un autre. Même plusieurs autres. Mon poète  préféré est venu prendre du bon temps ici. Pourquoi n'irai-je pas faire la même chose au pays de Rimbaud ?

La plupart de ceux qui quittent le pays n'ont pas le prétexte de la poésie. Ils fuient la guerre et la misère. Ce sont les seules raisons. Personne n'a envie de migrer dans de tels conditions. Etre prêt à perdre la vie pour essayer d'aller survivre ailleurs. Quand on connait l'enfer à domicile, on veut tout essayer pour trouver un micro paradis. Même un carton dans une rue de Paris. Tout mais quitter la boue de tous les jours. Une boue sans horizon. Au fond, je suis comme eux. Partir pour cesser de mourir.

. Toutes ces images qui me reviennent dans la tête. Le village, ma cour d’école, tout le reste ; loin, trop loin. Pourquoi vouloir tout précipiter ? Chercher à obtenir tout d’un seul coup ? Ardente impatience. Loin de l’ardente patience du grand Arthur. Des années qu’il a pris la place de mon père. Faire le voyage à l’envers. Conquérir son pays comme il est venu conquérir le mien. Coloniser Charleville Mézières. Faire le voyage de Rimbaud à l’envers. Je sais que c’est de la folie. On est pas sérieux quand on a plus rien.

Que faire quand tout ce à quoi nous avons cru s’effondre ? La famille, les études, la réussite par le travail, le collectif, l’humanisme…  J’ai mis tout ça dans un sac que j’ai balancé. Loin d'être facile de me libérer de tous ces poids m’enfermant derrière des barreaux invisibles. Fini la main sur la couture du pantalon- un tissu imitant à la perfection  mes amis étudiants venus  d’un autre monde.  J’avais fini - réussi ?- à détester autant mes origines modestes et les racines dorées de ceux nés avec  des points d’avance.  Enfin libéré de toutes les illusions.

Bien sûr, comme d’autres, j’aurais pu m’accrocher à cette branche ; au lieu de la scier volontairement et m’écraser. Mais, depuis que je me suis écrasé, je me sens m’élever. Pas dans ce que je rêvais dans mon école d’ingénieur, ni l’ascension tenant tant à mes parents. Non, je me suis élevé plus haut. Dieu et les hommes sont vraiment minuscules de l’endroit où je les regarde. Au-dessus de tout. Personne ne pourra venir m’atteindre au pays des mots. Mes mots.

Bob, ouvre-moi la porte. Je veux rentrer chez nous. Avec toi, comme au retour de l’école. En se passant le ballon jusqu’au village. T’as toujours été meilleur que moi au foot. Au fond, je crois que tu étais meilleur que moi sur tout. Moi, je savais obéir et faire où l’on me disait de faire. Singe savant capable de devenir un caméléon et me fondre partout. Donner l’illusion d’en être. Toi, tu étais doué pour l’essentiel. Propriétaire de chaque seconde. Le temps à ton service. Pas insatisfait comme moi. Je suis incapable de goûter le présent. Mes semelles de vent ont du plomb dans l'aile.

Pourquoi être parti ? 

       Chers passagers, ici le commandant de bord. Désolé pour ce retard indépendant de notre volonté.  Nous avons découvert un jeune clandestin dans le train d’atterrissage. Sans doute monté à l’aéroport d’Aden. Il est plongé dans le coma. Les services de sécurité sont déjà sur place. Nous devons patienter avant l'ouverture des portes.

Fiction inspirée de cet article

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