Que d’encre, de pixels, d’images, de sons, pour évoquer le sort des migrants. A quoi bon rajouter sa p’tite dose d’indignation. N’en jetez plus : la mer est déjà pleine de cadavres. Les mots, même les plus émouvants ou intelligents, sont impuissants face à cette horreur au quotidien. Le blabla toujours beaucoup moins efficace qu’une bouée et les bras des secouristes. Ou ce très beau geste de vacanciers. Une icône médiatique cachant la forêt de nos lâchetés ? Et notre impuissance face à ce drame ? Peut-être mais ça n'empêche nullement d'applaudir à ce bel acte de solidarité. Pas une valeur très fortement cotée en cette période de repli sur son «entre soi». Profitons-en aussi pour saluer tous ceux -sans photo ni buzz -apportant secours et réconfort aux migrants.
Ces actes salvateurs qui rappellent que le pire de notre époque- intégrisme religieux et financier - n'est pas invincible. Sans le cynisme de certains financiers prêts à sacrifier des pays entiers pour leurs dividendes et le fanatisme sanguinaire des «fous de Dieu », combien de morts violentes -de migrants ou pas – auraient pu être évitées ? Les historiens nous donneront peut-être des chiffres des crimes directs ou par procuration de ces intégrismes. En attendant, chacune et chacun a sa façon, de son petit niveau, peut lutter contre ces deux fléaux engendrant le reste. Bien sûr, face à une telle force, la tentation serait de se dire à quoi bon et baisser les bras. Pourtant un mot ou un geste, même maladroit et inutile, a son poids. Et comptabilisés avec tous les autres, il pèsera dans la balance pour changer la donne. Comme tenter d’arrêter cette hécatombe en méditerranée.
Etre migrant c’est quoi au juste ? En ce moment essaiment des querelles linguistiques sur la dénomination la plus adéquate. Réfugié ou migrant ? Evidemment, la distinction est sans doute importante face à un fonctionnaire de police remplissant un document administratif. Mais une chose est certaine ; les migrants ou les refugiés ont un point commun : la douleur. Pas uniquement celle visible de ces corps essorés par la trouille mêlée à la morsure du froid et à la faim; par vagues meurtrières, ces regards effarés, sans nom ni prénom, nous fixent à travers nos écrans et nous bouleversent. La douleur invisible d’êtres dont l’histoire est ballotée de courant en courant marin. Plus maîtresses et maîtres de leur existence. Que des «corps-bouteilles» jetés à la mer ?
Rescapé ou mort en mer, chaque migrant est porteur d’un message. Celui de son histoire tragique et, par delà la sienne, la nôtre à tous. La vôtre et la mienne. Un message aussi témoignant de notre civilisation contemporaine. Miroirs d’impasses mondialisées. Bien sûr, comme certains, on peut détourner la tête, penser à autre chose, ou, pour les pire d’entre nous, haïr «toute cette misère du monde » qui vient polluer notre bien être. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit ; chacun, avec ses trouilles profondes, sa situation sociale, ses lâchetés et d’autres paramètres avouables ou pas, fait comme il peut avec ce drame aux images récurrentes comme dans une série télé. A part les grands malades ou des « Kapotentiels », aucun citoyen n’attend avec impatience le prochain épisode. Pour l’instant, personne ne semble capable de mettre fin à ces «saisons de l’horreur » sur nos écrans. Ni ceux qu’on nomme grands, ni les lampistes que nous sommes. Même si les premiers, contrairement aux seconds, sont élus et payés pour trouver des solutions. Mais, à leur décharge, le problème est très complexe. Sans doute pas si simple à régler.
Pendant ce temps là, la méditerranée, berceau de la civilisation, mer chantée par nombre de poètes, se transforme en un immense cercueil à ciel ouvert. Que faire contre cette situation catastrophique ? Toujours la même question qui revient à la charge. Manifester avec des banderoles « nous sommes tous des migrants », écrire, filmer, filer du fric, se lamenter dans son coin, attendre une solution des gens de pouvoir, militer… Pas un billet d’humeur qui empêchera des êtres, au bout du rouleau, de tout plaquer pour tenter une traversée vers des horizons moins sombres. Passer de mort-vivant dans son pays à fantôme en sursis à bord un bateau ou d’une barque. Fantôme nourri uniquement à l’espoir de survivre ailleurs que dans sa patrie ravagée par la guerre.
Qu’il réussisse à traverser ou meurt pendant ce voyage funèbre, le migrant a déjà tout perdu. Que lui offrir après l’avoir secouru? La chaleur d’un regard inconnu : premières nouvelle racines. Bienvenue chez les humains !
Pendant que je rédige ce billet bien au chaud: combien de femmes, d’hommes, d’enfants, soumis au bon vouloir de la mer et des passeurs ? A l’heure du premier café, quel nombre de morts la radio remontera dans ses filets mortifères ? Toujours le même constat telle une antienne numérique: les mots n’arrêteront pas ce décombre macabre. Le silence non plus. Se taire ou continuer d’écrire et de dire ? Le linceul du silence en plus de celui des flots? Gueuler ou détourner le regard en espérant que demain il fera moins sombre ? Difficile de chérir encore la mer. Pourtant cette belle méditerranée n'a cessé d'ouvrir ses bras accueillants à de nombreux voyageurs du monde entier. Comme celui dont un poète loua le beau voyage.
Un migrant nommé Ulysse.