Nous sommes en quelle époque ? La question d’une jeune élève en 3024. Elle et d’autres camarades de classe visionnent la vidéo. Nous sommes en 2024, leur répond l’enseignante. Échange de regards surpris entre les élèves. Ce n'est pas possible, Madame. Et pourquoi ? C’était une époque de grands progrès de la science, de la toile, de l’intelligence artificielle, des satellites… On ne pouvait pas vivre comme à la préhistoire. L’enseignante a haussé les épaules. Malheureusement si. Les progrès techniques ne rendent pas plus intelligent du cœur et du cerveau. Souvent, la science aide à renouveler les horreurs et l’abominable. Modernisant l'abominable. Pour détruire en priorité les civils. 2024 n'était pas une belle période. Sombre partout sur la planète. Aucun siècle n'a échappé à la folie de notre espèce soi-disant humaine. Les élèves se taisent. Elle continue de leur parler du début du XXIe siècle. Les élèves sont très attentifs. À l’écoute du vieux monde les précédant. Sans doute atterrés par certains de nos agissements. Parfois souriant avec tendresse sur la vie de leurs ancêtres. Leur monde 3024 est-il meilleur que le nôtre ? Nous ne le saurons jamais. Seuls, eux peuvent comparer avec notre jeune siècle très mal barré.
Revenons à nos jours. Et ces gamines d’aujourd’hui se délectant de quelques gouttes d’eau. Si loin, si proches sur nos écrans. De la propagande ? Je ne peux l’affirmer ni l’infirmer. La vidéo est passée sur un fil tweeter. A priori, ça me semble vrai. L’internaute n’a pas l’air d’un propagateur de confusion et de haine. Comme certaines bouches sur le Web et les autres marées gluantes de la boue cathodique. Des noms ? Je ne suis pas né sous le signe de la balance. En plus, chacun et chacune assez grand et grande pour juger avec son cerveau. Toutefois, la propagande de cette vidéo n’est pas à exclure non plus. En notre ère de fake news made IA, rien n’est sûr. Dans le cas d’une manipulation, ces petites filles seraient alors d’excellentes comédiennes. Nous serions nombreux à nous être faits avoir par le jeu. Bravo à ces jeunes actrices et à toute l’équipe de mise en scène de cette « ruée vers l’eau ». Et avis à tous les boites de casting en quête de nouveaux talents. Voici de jeunes pousses du cinéma.
Transmettre cette vidéo ? Guère doué pour l’archivage, je n’ai pas capté le lien. Me contentant de regarder les images sur la toile. Comme tant de voyeurs numériques à la fenêtre du monde qui va mal. Néanmoins, même en étant plus doué pour capter les infos, je n’aurais pas transmis cette vidéo. Pour quelle raison ? Parce que ses « buveuses de pluie » n’ont autorisé personne à les filmer. Peut-être l’ont-elles fait ? Dans le doute, je m’abstiens. Une forme d’hypocrisie de ma part ? Oui. Parce que, sans ces images, ce texte n’aurait pas été écrit. Et personne au courant du drame de ces petites filles. Comme une autre photo du passé. Celle d’une petite fille courant nue sous un ciel couleur Napalm… Sans doute que cette photo ayant fait le tour du monde participé à l’arrêt de l’horreur. Comme d’autres images nous documentant sur le pire dont est capable notre espèce humaine. Celle de nos semblables. Et donc de notre part d’inhumanité.
L’eau n’aura pas le même goût pour moi aujourd’hui. Même dans le Pastis de l’apéro. Pareil sous la douche ou au moment de tirer la chasse d’eau. Bien que ça ne sert à rien de se culpabiliser ou de culpabiliser les autres nantis de l’eau et du reste. Pas à cause de moi, de vous, que ces gamines sont contraintes de boire de l’eau de pluie. Et que d’autres populations ailleurs vivent l’enfer au quotidien. La vraie responsabilité émane du haut du panier. Là où une poignée d’hommes et de femmes décident du partage du monde et de ses richesses. Avec priorité au toujours plus de fric, avant le vivant et son environnement. Rien de vraiment nouveau. Une minorité décidant aussi entre autres du partage de l’eau. Un robinet pour les uns, la pluie en direct du ciel pour les autres. Néanmoins, chaque individu a sa part de responsabilité dans ce chaos mondialisé. Notre présence n’est pas innocente. Le monde, c’est aussi je. Pour le meilleur et le pire.
Encore des mots vains. Ils ne rempliront pas des bouches avides d’eau potable. Chaque fois, le même constat d’impuissance. Et de donnage de leçons. Avec de plus en plus souvent le désir de la fermer. Et complètement se déconnecter, couper tous les liens véhiculant les images de la folie humaine. Me contenter de musique, écrire sans web ni autre source d’infos, lire de la poésie, suivre des yeux un vol d’oiseau… Dialoguer avec un silence hors du monde. Inviter quelques fantômes à partager sa solitude et le vin de l’amitié. Profiter de soi, de ses proches vivants, des ombres qui nous accompagnent à distance, etc. En bref : cesser d’assister au spectacle de la chute du monde, sans pouvoir lui tendre la main. Confiné dans une espèce de non-assistance à jeune siècle en danger. S’éloigner du chaos serait l’idéal pour se préserver. Mais impossible d’être sans l’autre au pluriel. Pour ça qu’il me semble important de rester au moins devant sa fenêtre. De la cuisine ou de son écran.
Présent même sans être actif. Ni capable de changer le sens de la réalité. Impuissant. Mais une impuissance avec les yeux et les oreilles ouverts. Ne serait-ce que pour les voir, tenter de parler d’elles. Sans les réduire à de la chair à actualités. Des êtres avec une histoire unique. Comme chacun et chacune d'entre nous. Avec une différence: nous les regardons de notre lieu à l'abri. Nos corps loin de l'horreur. Tandis que les buveuses de pluie ne nous voient pas. Notre présence n’a aucune importance pour elles. Ni nos propos et atermoiement de nantis. Ces petites filles ont d’autres urgences. Comme de nombreux autres enfants et adultes en ce moment à travers la planète. Leur urgence est de survivre. Traverser chaque jour et nuit. Avec dans leurs regards, une autre eau. Sombre.
La boue de l’humanité.