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Ma première réaction à la vue du visage sur l’écran. Un abject connecté, me suis-je dit d’emblée. Sans chercher à faire un jeu de mots. L’expression s'est imposée. Face à un abject connecté. Du délit de faciès ? C’est bien sûr le cas ; à peine vu et catalogué. Qu’est-ce qui a provoqué une telle réaction de rejet ?
Surtout ses yeux. Entre les paupières, un vide inquiétant. Rien à quoi s’accrocher. Comme si l’humanité avait déserté le corps de cet homme. Toutefois quelques traces de son passage. Dans son sillage, une tension et violence retenue. Des yeux traversés d’une étrange lueur. Un regard qui a généré une forme de répulsion. Sûrement irrationnelle. Un regard entre momie et robot.
Pourtant, j’avais déjà vu cet homme. Et souvent. Difficile d’échapper à son omniprésence. Mais jamais auparavant, je n’avais lu une telle abjection sur son visage. Incontournable. Abjection, sans doute pas le terme adéquat, a occulté tous ses synonymes. Raccord avec ce que j’ai ressenti en voyant sa photo.
Un homme suintant d’abjection. Je ne voyais plus que ça. Une sensation déjà ressentie en croisant certains individus. Parfois une erreur de première impression de ma part. Le cas pour lui que je connais qu’à travers un écran ? Une question qui restera sans réponse. Qui est cet homme trouvé abject ?
Pas n’importe qui. Même s’il est arrivé au monde par les mêmes voies que tout le monde. Ni Surhomme, ni Dieu. Un poids très lourd - à tous les sens du terme - sur la balance mondiale. La planète entière va devoir faire avec lui. Surtout contre.
Sale météo annoncée sur notre jeune siècle. Quatre années en zone rouge internationale ? Affaire à suivre… Avec un homme condamnés par la justice de son pays. Et trainant encore des casseroles. Redevenu l'homme le plus puissant de la planète. Dans un remake mondialisé. Le seul abject connecté avec du pouvoir ?
Pas du tout. Mais fort peu avec autant de puissance que lui entre les mains. Certains parmi eux sont très visibles, d'autre préférant l’ombre des marionnettistes. Une poignée à pouvoir accélérer la destruction de la planète. Plusieurs d’entre eux - anciennes et nouvelles fortunes - grenouillent autour du nouveau président des États-Unis. Guère un hasard si nombre d’abjects, venus de toute la surface du globe, étaient conviés à la petite sauterie d’investiture. Un retour qui s'est fêté devant des milliards de téléspectateurs. Avec déjà une interrogation. Combien peut rapporter le Groenland ?
L’abjection n’habite-t-elle que le visage des puissants ? Ce serait trop simple. Les méchants en haut et des gentils en bas. Pourquoi alors plus craindre l’abjection des puissants ? Pas un scoop que de rappeler qu’ils ont une très grosse force de frappe. Contrairement aux abjects connectés du bas de la toile : des poids plume et plumés sur la balance des réseaux. Pesant très peu ou rien. Leur abjection n’opère que sur un cercle réduit. Même si leur nuisance peut détruire des internautes en les harcelant telle du gibier numérique. La chasse à l’internaute est ouverte non-stop. Sous toutes ses formes.Le plus souvent une chasse à un ou une autre - différent de soi et de ses miroirs.
Des petits bras face à la puissance d’une minorité. Dont un conquistador des étoiles. En plus des humains, lui et ses collègues vont générer des dégâts sur la faune et la flore. Bientôt notre extinction mondialisée ? Le siècle est mal barré. Désormais entre les mains de quelques abjects connectés.
Salut nazi ou non ? Une question qui a fait le tour de la planète. Elle ne se serait pas posée pour un abject à ras de toile. Personne pour décortiquer un geste qui sera très vite absorbé par la gestuelle haineuse et anonyme. Celle qu’on peut croiser sur la toile. Similaire à la haine au coin de la rue et ailleurs. Banalisée.
Désormais une haine ordinaire intégrée au décor de nos villes, nos villages, et nos écrans. Et de plus en intériorisée en nous. Une présence du pire qui s’est banalisée. Comme les gens à la rue qui émeuvent par leur mort le temps d’une brève ici ou là . Sans que rien ne change d’un hiver l’autre.
C’est comme ça maintenant, on y peut rien, c’est trop tard, etc. La résignation me semble avoir fini par gagner une grande partie de la population. Même des militants. La résignation remplacera-t-elle l’indignation ?
Trop de souffrance et misère anesthésie notre capacité à réagir face à l’inacceptable ? Sans doute. Voire même une mise de notre empathie en hibernation permanente. Au fil du temps, la majorité d’entre nous s'est habituée à côtoyer le pire. Sur écran et dans ce qui est rebaptisé la vraie vie.
Cette résignation – réelle ou fantasmée ? - est une grande victoire. Pour qui ? L’abjection ordinaire. De plus en plus présente sur la toile. Peu à peu, elle a grignoté les cœurs et les cerveaux. Petite souris numérique se nourrissant sous notre peau connectée. Bouffant certaines de nos valeurs humaines.
Pour les remplacer par : je fais ça, je vais là, j’ai mangé ça, j’ai 10 000 followers de plus, n’hésitez pas à rajouter un pouce bleu, etc. Le nombril-égo n’est pas né du siècle. Néanmoins rarement aussi mis en avant. Le JE gonflé à bloc grâce aux nouveaux outils. Toutes sortes d'applis pour se faire briller.
Une quête de brillance toute générations confondues et milieux. Même de soi-disant penseurs et penseuses – de tout bord – prêts à vendre leur QI. Dans quel but cette vente d'une partie de leur cerveau ? Pour grappiller quelques miettes de lumière cathodique nourrissant leur ego. Du déshonneur à la totale déchéance. Toutefois, personne n’est à l’abri de sombrer. Vigilance à bord de soi.
Pendant ce temps-là, certains et certaines se frottent les mains. Thésaurisant sur nos résignations et les courses - pathétiques et pathologiques - à la lumière éphémère. Tout ça, plus d’autres éléments, alimentent les obscurantistes de tout bord. Qu’ils se réclament de Dieu, du sang pur, du fric à tout prix. Des alliés objectifs pour nous rendre toutes et tous plus ou moins haineux. Ou à minima avec des détestations inspirées par les voix de nos médias préférés. Aujourd’hui, chacun et chacune dispose de sa ou ses cibles personnelles. De mon côté ( le bon) ou de l’autre (le mauvais).
L’abject c’est toujours l’autre ? Pas si simple. Très rares celles et ceux qui n’ont pas été abjects, à un petit ou à un grand niveau. Humiliant plus ou moins volontairement un être proche ou quelqu’un dans la rue, au bureau, etc. Et peut-être même que ça se reproduira. Nous ne sommes pas que des grands humanistes blindés de poésie et dotés d’une noblesse d’âme permanente. Loin de la perfection souvent affichée. Fouillons un peu sous le tapis de notre histoire…
Et balayons devant notre fenêtre numérique. Ne nous dédouanons pas non plus de notre part de collaboration à l’abjection ambiante. Pas que les puissants et ceux qui les mettent au pouvoir à être responsable du merdier contemporain. Quitter X c’est très bien. Ce qui n’empêche pas que nous continuions de collaborer au décervelage planétaire. Dont la transformation d’un super outil ( comme Gutenberg porteur de lumières) en une machine à nous vider.
Quelle est notre forme de collaboration ? Entre autres avec nos smartphones (tueurs de gosses dans les mines de cobalt) et d’autres outils connectés. Plus facile de boycotter Amazon que son mobile ? Contre le flicage des caméras en ville mais prêts à visionner les images pour récupérer son sac ou smartphone piqué dans la rue ou les transports en commun ? Contradictions, nos contradictions… Comment faire autrement qu’avec notre sans fil à la patte ? Ça me semble impossible. Tous englués dans une toile sans sortie de secours ?
Les abjects connectés n’opèrent pas qu’aux États-Unis. Nous en avons des représentants à domicile. Dont certains politiques et animateurs radio-télé. Rien à envier aux videurs de cerveaux de l’autre côté de l’Atlantique. Quelques-uns et unes abjectes made in France me perturbent de la même manière que le nouveau « patron du monde ». Ne pas se focaliser sur le faciès, mais sur les propos ? C’est vrai que l’essentiel est leur parole.
Toutefois pas interdit de temps en temps de couper le son. Et leur sifflet. Ne plus être susceptible d’être manipulé par des éléments de langage. Plus que nos yeux face à un écran silencieux. Pour observer la gestuelle et le visage. En mettant la priorité sur le regard de l’homme ou la femme sur l’écran. Les yeux, contrairement à la langue et d’autres parties de son corps, ne peuvent être tenus en laisse. Ni manipulables. Les yeux sont les fous du cœur, écrivait Shakespeare. On y lit beaucoup de notre indicible.
Récemment, j’ai observé un animateur télé. Membre de la confrérie des abject connectés très présents sur les réseaux sociaux. Je lui ai coupé la parole à distance ; quasi impossible sur le plateau de ses éructations et certitudes de coq se prenant pour un roitelet. Au fond de ses yeux, le grand vide. Un abîme habité par une profonde trouille. Laquelle ? La trouille de disparaître dans son propre vide. Aspiré de l’intérieur. Avalé par le vie qu'il a nourri.
Un animateur télé avec le même regard que le nouveau Président des États-Unis. Des yeux semblables à d’autres « robots-humains » bien formés et très brillants confondant chiffres et êtres ; on sait où ce genre de confusion a mené dans le passé. Une néantisation de l’autre qui continue sous d’autres formes. Comme celle pratiquée par l’animateur et le président. L’un et l’autre s’accrochant fébrilement à leur jouet. Des gosses extrêmement dangereux. L’un évidemment beaucoup plus que l’autre.
Tous deux sont le reflet de notre époque qui a laissé les clefs de notre humanité à ce genre d’individus. En France et ailleurs sur la surface du globe. Le trousseau de clefs désormais partagé entre quelques grands gosses bouffés de trouille. Et nourris par le pire : l’absence de doute. Persuadés d'être les premières merveilles du monde. Nouvelles divinité de droit numérique. Ces gosses vont-ils faire imploser notre leur jouet- notre planète ?
La question peut se poser. Trouver une réponse est plus urgent que nos interrogations récurrentes. Toutefois, ces grands gosses - petits ou grands puissants - ne sont pas là par hasard. Présents et actifs grâce à nous, la majorité de cette planète. Au fil du temps et de nos résignations, nous avons fini par laisser une grande avenue planétaire à leur l’abjection. Réussissant à imposer leur langue unique mondialisée : les chiffres avant le vivant.
Une abjection qui gagne du terrain, discrète ou avec cortège officiel ; elle avance avec ses collaborateurs et collaboratrices : médiocrité, suffisance, bêtise, etc. Encore un constat impuissant. Comment combattre une abjection à laquelle on collabore plus ou moins ? Pris entre la souris et le clavier. Pas une raison pour ne pas essayer de réagir. Chacun et chacune à son petit niveau.
Avec des petits gestes comme pour le tri. Ça ne sert pas à grand-chose si les industriels et financiers continuent leur course à toujours plus, affirment de grandes pointures de l’écologie. Ce qui est vrai. Mais des petits gestes qui ne rajoutent pas du pire au pire. Et témoigne de notre empathie avec cette vieille terre qui nous supporte depuis bien longtemps. Pourquoi pas un tri numérique ? Des petits gestes pour se dépolluer.
Se déconnecter -le plus possible - de l’abject ?