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Billet de blog 4 mars 2025

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Siècle de rumoristes

Sortir de notre ère de rumeur. Le premier enclin à critiquer cette pratique. Pourtant, il m’arrive de la pratiquer de vive voix. Comme récemment. Balancer une rumeur peut-être complètement infondée. Sous le couvert de « ça reste entre nous »  qui finit souvent par ricocher de bouche en oreille. Rumeur de proximité ou sur la toile. Comment éviter se retrouver dans la posture du rumoriste ?

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Illustration 1
La rumeur © Norman Rockwell

Pour les victimes de « rumorisme »

         Sortir de notre ère de rumeur. Le premier enclin à critiquer cette pratique. Pourtant, il m’arrive de la pratiquer de vive voix. Comme récemment. Balancer une rumeur peut-être complètement infondée. Sous le couvert de « ça reste entre nous »  qui finit souvent par ricocher de bouche en oreille. Pourquoi sommes-nous si nombreux à plus ou moins participer à la rumeur ? Une part de soi qui n’est pas très belle à voir ? Rumoriste pour faire partie du «  cercle qui est au courant » ? Parce que nous parlons trop et à tort et à travers ? Sans doute plusieurs raisons mêlées. Bien sûr, on peut regretter après avoir médit. Trop tard : devenu le maillon d’une chaîne destructrice. Comment éviter de se retrouver dans la posture du rumoriste ?

         Peut-être en se glissant sous la peau de la victime de la rumeur. Tenter de sentir par empathie ce qu’elle vit au quotidien. Pour se rendre compte de la tempête à l’intérieur d’un «  corps bouffé par la rumeur ».  Une solitude avec  des mots tournant en boucle sous le crâne. Un désastre intime.  Parfois plus ou moins réparable. Mais jamais entièrement effaçable.  Désastre qui peut pousser pousser au pire. Tournez sept fois sa langue dans sa bouche. Opérer de la même manière sur son clavier et avec le clic de sa souris. Prendre du temps et vérifier ce qu’on a dit. Ou tout simplement entendre d’une oreille et oublier de l’autre. Tout n’est pas toujours bon à dire. Ni à faire ricocher. Et se rappeler que la rumeur peut nous pointer du doigt.

         Quittons la sphère de nos médisances classiques de proximité. Pour passer à une autre rumeur. De très grande ampleur. Une autre rumeur est partagée-propagée par des centaines de millions d’individus. En l’occurrence des internautes. Et une multitude de rumeurs accrochées en permanence sur les fils de la toile mondialisée. Tous nos « regards voyeurs » à leur fenêtre numérique. Picorant le meilleur et le pire. Pour de loin en loin ou souvent faire circuler telle ou telle info. Qu’elle soit politique, culturelle, humoristique, sportive… Bien sûr, rien de si grave. Que celui ou celle qui n’a jamais transféré une info me jette la première pierre numérique. Ce nouvel outil entre les mains sert à ça aussi : faire circuler. La circulation d’infos extérieures à soi ou au contraire d’ordre privé. Avec quelques fois des difficultés à concevoir la frontière entre public et intime. Et basculer dans une sorte de zone étrange. Mêler le dehors et le de

       Son corps monde assis face écran. Tu as vu cette vidéo ? Non. Je vais te l’envoyer. Lis cet article. Regarde ces images. Toutes sortes d’infos relayées par les uns vers les autres. La plupart du temps en relais bienveillant. Pour proposer des éléments d’actualités que nous considérons intéressants et persuadés que ce serait bien que nos proches puissent les consulter. Un acte plutôt positif. Mais nous relayons aussi nombre d’images négatives. Fausses ou vraies. Dans les deux, elles génèrent les mêmes effets : nous confiner dans une espèce de noirceur. Englué dans les rumeurs sombres du monde. Tellement d’infos en flux continue que les fausses et les vraies infos finissent par se retrouver sur le même niveau. La majorité de la population mondiale est-elle en train d’alimenter une rumeur géante ?

      Certains répondront que ce n’est pas leur cas. Arguant du fait que chacune de leurs infos transférées ait été vérifiée avant. Ce qui est sans doute vrai. Pour ce qui me concerne, je dois avouer m’être fait avoir et transféré des fake news, voire même-pire- écrit tel ou tel billet sur la base d’une fausse information. Désormais plus prudent, mais pas pour autant à l’abri d’une nouvelle « arnaque à l’info ». En effet, des internautes ne transfèrent que des éléments bien vérifiés. Vrai ou fausse info ; nous endossons tous et toutes un nouveau rôle. Une sorte d’agence de presse à soi tout seul. Chaque internaute dans son coin à traiter des nouvelles du monde. En faisant un tri.

        Sans doute que des internautes transférant des infos s’imaginent journalistes. Ce qui n’est absolument pas le cas. Journaliste est un vrai métier. Rien à voir par exemple avec ce blog d’humeur qui n’a aucune prétention journalistique. Ni universitaire ni autre expertise. Animateur télé-radio, journaliste, expert du jour, chroniqueur, chroniqueuse, influenceur, influenceuse, blogueurs, artiste, créateur ou créatrice de contenu, humoriste-chroniqueur-chroniqueuse, communicant ou communicantes … Désormais, tout est mélangé. Le charlatanisme numérique ( on l'a vu pendant le Covid)  à  de la valeur,  puisqu'il pèse lourd en poids de vues et followers. Chaque internaute peut se revendiquer de n’importe laquelle de ces professions ou s’autoproclamer artiste. Suffit de l’asséner assez fort et  avec une grande certitude. Ce qui était plus compliqué avant Internet. Mais désormais possible avec nos outils numériques. Suffit d’ouvrir sa vitrine virtuelle. Et de s’afficher avec une certaine assurance. Puis chercher à attirer l’attention sur son ego et petite boutique. Le nombre de followers et de pouces bleus fera office de CV.

        Sortir de la «  petite rumeur entre proches » est relativement simple. Même si c’est un sport national très pratiqué. Suffit de parler moins à tort et travers. Verrouiller son désir d’être dans la boucle de la rumeur. Et toujours penser à la personne qui peut être prisonnière de tel ou tel propos relayé de bouche en bouche. D’autant plus dur pour elle, si l’info est fausse. Dans tous les cas, contribuer à la circulation de rumeurs est négatif. Parfois, on ne se rend pas compte des dégâts que ça peut occasionner. Juste quelques mots ici ou là, pourrait dire le ou la rumoriste. Mais pas le même ressenti pour la personne au centre de la rumeur. Tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Même si «  ça reste entre nous ». Beaucoup plus complexe de s’extraire de l’autre rumeur. Celle de la toile.

       Avec ses fils de rumeurs du monde. Nous y participons tous plus ou moins. Comment essayer d’y collaborer de moins en moins ? À l’instar de la «rumeur entre proches», suffit de taper moins à tort et à travers sur son clavier. Passer de longs moments sans envoyer un lien. Que ce soit par mail classique ou via d’autres outils. Ne poster que si ce qu’on donne à lire est plus important qu’un silence numérique. Fais ce que je dis, pas ce que je fais, ironise l’une de mes voix. Et à juste titre. Je poste beaucoup trop sur ce blog et pense à ralentir. Pour sortir de la pathologie de notre époque : la commentarite sur tout et son contraire. Peut-être commencer par balayer devant le seuil de ma petite boutique virtuelle. Dans tous les cas, personne n’est contraint de participer à cette rumeur mondialisée. À nous de ne pas l’alimenter. Et devenir économe de nos liens envoyés. Savoir se taire ?

         Ou apprendre à parler différemment ? Avec nos mots, pas ceux des machines à communiquer. Parler et écrire sans se prendre pour une agence de presse qui transmet l’info en direct (souvent pour annoncer des catastrophes et des morts de personnalités publiques). Ni se croire journaliste alors que nous faisons juste relayer une info. Juste des relayeurs et commentateurs. Pourquoi pas ? Mais c’est accepter d’alimenter la rumeur permanente. Et risquer de relayer une info fausse, voire de la haine bien camouflée derrière des mots et des images. Dans tous les cas, chaque individu fait comme il peut avec la rumeur de proximité et l’autre émanant de l’actualité en boucle. Ne pas se taire sans perpétuer la rumeur ?

       C’est possible. À chaque fois qu’un sujet d’actu vous touche directement, lire ou relire un poème, puis le relayer ou non. Possible aussi d’en écrire un aussi. Ça peut-être un dessin, prendre une photo du paysage vu de sa fenêtre. Écrire ou faire quelque chose sans lien avec l’info plus ou moins dure prise en pleine gueule. Sans nécessairement cliquer sur envoi. Tout ça peut rester uniquement dans sa sphère intime. Juste un acte pour se dépolluer de toute la boue planétaire qui submerge nos écrans du quotidien. Autrement dit, prendre du recul. Avant de relayer ou non l’info reçue. Dans tous les cas, toujours passer le cap de la première émotion- souvent légitime. Attendre, relire, réécouter. Pour éviter d'être happé par les petites et grandes rumeurs. Se libérer de la pression de l’immédiat.

       La poésie sauvera le monde. De temps à autre, je picore ce court texte de Jean-Pierre Siméon. Un bouquin fort intéressant. Parfois ma lecture avec un petit sourire en coin. Quel naïf cet auteur, me dis-je pensant à de grands poètes contemporains. Et de renommée internationale.  Quels sont ces poètes ?    Musk, Poutine, Trump, Netanyahou, les dirigeants iraniens, Orban, etc. Une liste bien sûr non-exhaustive des adeptes de la poésie massacreuse. Ce sourire s’adresse aussi au naïf que je suis. Parce que, de plus en plus, j’ai l’impression que la poésie est beaucoup plus puissante  que ce qu’on croit. Certes pas une arme de destruction massive ni une force de vente. Elle n’ a pas la capacité réactive de l’IA, des algorithmes, des crânes de certains science-potisé ( ancêtres de l’IA ? ), des influenceurs et influenceuses, des humoristes ( nouveaux ambassadeurs des puissants pour ringardiser tout ce qui a une façade sérieuse et niveler tout par le rire ?), des expert autoproclamés, etc.  En effet, la poésie n'a pas de gros bras. Ni une grande gueule. Et elle prend rarement l’ascenseur.

       Le plus souvent dans l’escalier. Elle grimpe plus lentement. N’hésitant pas à s’arrêter. Pas le même agenda et contraintes que les passagers de l’ascenseur. Néanmoins, elle parvient toujours à l’étage désiré. Sans jamais être coincée dans une cabine en panne. La poésie recèle souvent une forme d’esprit d’escalier. Même si elle ne cherche pas nécessairement à être réactive. Sa répartie est plutôt le silence. Elle a besoin de laisser infuser l’instant vécu en direct ou ce qu’elle a entendu à la radio ou vu sur un écran. Ne pas être réactif dans un monde de punchline et buzz vous destine à être du côté des perdants ? Sans doute. Mais aussi du côté de la puissance.

        La poésie débarrassée de la glu de la rumeur. Nul besoin de relayer de vraies ou fausses infos pour se sentir au centre de l’instant. Elle ne cherche pas non plus à se vêtir de la panoplie de juge, de procureur, ou de flic. Ce qui ne l’empêche pas d’être active et concrète. Même dans l’escalier. La preuve par les poèmes écrits dans les guerres et pires moments de notre humanité. Elle est présente et active. En effet, la poésie ne sauvera pas le monde. Mais elle n’est pas la seule dans ce cas. Rien ne sauvera le monde. Notre espèce, la plus vaniteuse et bardée de sa soi-disant supériorité, a décidé depuis longtemps de brader notre monde et humanité. Ce qui est réussi. La poésie et d’autres disciplines n’empêcheront pas la catastrophe programmée (l’IA a-t-elle une idée de la date de fin ? ) de l’humanité. Toutefois, pas parce que le monde est foutu qu’il ne faut pas essayer de le sauver. Au moins tenter pour rester ami avec son miroir. Dans cette tentative ; à quoi servirait un poème sans effet sur le réel ?

         S’extraire du chaos réel et fantasmé. Ne serait-ce qu’avec une lecture de quelques minutes. Ou à travers l’écriture d’un poème. Ce court instant, hors-rumeur, est une victoire du monde. Lequel ? Le monde qui respecte autant le passage d’un oiseau que celui d’un avion officiel d’un quelconque puissant. Quand l’humain se sort les doigts du nombril et ego pour essayer de se mettre à la hauteur du cadeau offert au quotidien. Que ce soit le regard d’un proche (souvent éloigné pour cause de proximuité), le ciel de passage ce matin, le café chaud trempé dans France Musique, le beau corps auréolé de printemps traversant entre nos paupières, la bière bien fraîche en terrasse, la pause en bord de rivière… Sans oublier qu' une grande partie de la planète n’a pas accès à ces cadeaux. Avec un quotidien plongé dans un enfer. Mais, s’ils y avaient accès, sans doute que ces êtres blessés en profiteraient. Ne les oublions pas. Quelle que soit la population en souffrance. Sans hiérarchiser les corps, ni en occulter certains de notre compassion et des médias. Chaque souffrance pèse son poids d’inhumanité.

         Comment conclure après cette lourdeur sentencieuse ?  En plus, une forme de relais de rumeur. Demander à un humoriste de venir tisser la transition ? Sans doute qu’un bon comique (certaines et certains sont de vrais thermomètres de l’époque) saura faire rire pour ne pas déranger les larmes. Mais je n'en ai pas sous le clavier. Convoquer des intellectuels spécialistes de la rumeur ?  Pas non plus à domicile. Et puis à moi de me sortir de cette situation où je me suis mis volontairement. Que dire sans alourdir le ciel déjà chargé en nuages ? À ce propos, levons les yeux. Pour saluer l’autre ciel. Celui qui nous suit chaque jour. Ce matin , un ciel en bleu de printemps. Ne pas le bradons pas. Ni notre chance de vivre du bon côté du siècle.

         Profitons du temps passager.

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