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Billet de blog 4 avril 2025

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Pensée en pantoufles

Essayer de s’extraire de soi. Pour détecter sa présence.Un exercice pas facile ; elle sait bien se camoufler. Marchant en soi sans le moindre bruit.Très difficile de la localiser: sa pensée en pantoufles.Elle peut loger sous toute sorte de crânes. Et anesthésier le meilleur allié de l'esprit: le doute. L'un des signes précurseurs est une perte de la capacité d’écoute. Sauf de soi et son entre-soi.

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

          Essayer de s’extraire de soi. Dans quel but ? Détecter sa présence. Un exercice pas facile du tout ; elle sait fort bien se camoufler. Marchant en soi sans le moindre bruit. Très difficile de la localiser : sa pensée en pantoufles. Elle peut loger sous toute sorte de crânes. Qu’ils soient bien remplis ou non. Avec beaucoup de références ou très peu. Des cerveaux d'origines diverses. Je suis aussi porteur de cette pensée en pantoufles. Surtout quand mes certitudes prennent tout le pouvoir et anesthésient l'un des meilleurs alliés de l’esprit : le doute. Me voilà alors persuadé de me trouver bien sûr dans le bon camp et porteur de la seule vérité universelle. L'un des signes précurseurs est une perte de la capacité d’écoute. Sauf de soi et son entre-soi.

       Toute voix extérieure est mise à distance. Surtout si je sens une potentialité critique de mon pantouflage. Les oreilles tournées vers l'intérieur pour n'écouter que ma voix et celles de mon entre-soi. Ne pas entendre l’autre, encore moins l’écouter, est une pathologie très en vogue de nos jours de chacun chacune chez soi. Un virus très courant chez certains politiques, journalistes, artistes, et autres figures médiatiques. Des êtres brillants, mais à l’intelligence engluée dans une ou plusieurs blessures narcissiques. Et pas que des personnalités publiques. Nul n’est à l’abri du pantouflage mental. Refusant de mettre le nez hors de ces certitudes. Fermer portes et fenêtres. Pour rester dans son intérieur douillet. En en pensée connue.

        Prendre conscience de ce doux enfermement est déjà un très grand pas. Même si notre pensée en pantoufles peut s’en accommoder. Prête à tout pour rester dans son confortable immobilisme. Même le silence comme dans la formule classique : Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles. Tant que rien ne bouge, une pensée rassurée. Que faire pour sortir de notre pantouflage ? Pas de règle, ni de recette. À chaque histoire, sa méthode. Dans tous les cas, il est important de sortir sa pensée de ses pantoufles. Un acte nécessaire si on veut s'en débarrasser. Et ce n’est jamais simple de réussir à l’en déloger. Elle s’y sent si bien. Soi aussi. Quelques fois, la pensée est même soudée aux pantoufles. Mais impératif - en tout cas pour moi - de l’en extraire. Quitte à la secouer. Pour qu’elle aille faire un tour. Respirer un autre air. Trouver un souffle différent. En changeant son angle de vue. Sur soi et le monde. Et balancer ses pantoufles.  

           Plus facile de désobéir à soi et son entre-soi quand on n'a pas de comptes à rendre. Ou très peu. Libre de faire ses « valises mentales « à tout moment. Sans doute pour ça que je n’ai pas versé dans la religion. En plus du fait que j’aie toujours pensé que ce n’était qu’ une fiction inventée pour peupler les longues nuits sous le ciel du désert. Libres à d’autres de vouloir y croire, s’ils ne contraignent personne à intérioriser ce «  Conte de sable ». Impossible donc de m’encarter dans un culte, ni un mouvement politique - un « Conte d'Isme » ? Et pas le moindre talent d’obéissance.

          Ni à faire obéir. Aucune capacité donc pour  pouvoir intégrer une équipe avec une hiérarchie et des règles à respecter, une ligne à suivre. Pas non plus doué pour ingurgiter - sans aucune critique- l’info de ma radio et de mes autres médias préférés. Rien contre celles et ceux qui sont dans ce genre de rythmique de vie. Mais pas ma musique. Préférant celle de l’à-côté. Même si c’est la musique des inadaptés et ingérables pour un groupe constitué. Sur le bord, sans être à la marge. Comme d’autres. Et pas uniquement des artistes.

         Une population beaucoup plus nombreuse qu’on ne croit. Évoluant sur le bord, sans être à la marge. Ni aimantés par la « course au centre ». La plupart du temps, des êtres qui sont tout à fait capables de se fondre dans la masse et porter un masque social. Qu’il soit proche de leurs rêves de gosse ou imposé par la nécessité. Un masque porté pour être raccord à la mise en scène du bureau, de la salle des profs, du supermarché, du commissariat, de l’Assemblée nationale, derrière un comptoir, au volant d’un camion, dans son cabinet de médecin, sur son siège de chauffeur de taxi, etc. Donner le change. Avant de reprendre sa place dans un espace réellement choisi. Sans volonté de pouvoir sur qui que ce soit. Et refusant tout assujettissement. Ni écrasant, ni écrasé. Des êtres en quelque sorte libres.

         Quel est leur nombre ? Impossible à comptabiliser, car il échappe au catalogage. Et en plus, des êtres qui sont très discret. Nul besoin de faire du bruit ou s’agiter sur un fil Instagram ou une chaîne YouTube pour se sentir vivant. Où vivent ces « Ni écrasé, Ni écrasant » ? Dans toute sorte de lieux. Au cœur de la ville ou au fin fond d’une campagne. De quelle origine ethnique et sociale ? De toutes. Comment peut-on les reconnaître ? C’est très difficile, voire impossible. Pourquoi ? Parce que ce sont des êtres sans profil type. Avec une très grande partie de leur être ne rentrant pas dans les cases habituelles. Quoi que si ; on peut les reconnaître à quelque chose. Quoi ? Leur incapacité à obéir entièrement à la machine à formater nos histoires. Incapable aussi de penser ou marcher droit. Sans bruyante rébellion. Des chairs réfractaires. Souvent des locataires de solitudes très riches.

       L’un des premiers « réfractaires » que j’ai rencontré se prénommait Adam. J’avais 15 ans. Cet homme, vivant au bord d’une plage, m’avait semblé si libre. Débarrassé de tout ce que je pressentais qu’on allait me coller sur le dos. Comme à tous les gosses de mon âge. Quel que soit le quartier des premiers pas. Une prise de conscience soudaine à ne pas obéir, ni prendre pour agent comptant toute parole d’autorité. Je l’avais déjà fait à neuf ans en refusant Dieu et ses commerciaux. Mais cette rencontre conforta ma volonté d’être ni écrasé ni écrasant. Avec la complicité d’une rencontre de papier. Celle d'Adam Polo. Le personnage du Procès Verbal de JMG Le Clézio.

         Une rencontre qui me conforta aussi dans mon désir d’écrire. En réalité, pas un désir. Une impossibilité de faire autrement. Rien d’autre m’intéressait. Écrivain ou rien. À l'époque, je ne connaissais pas le terme auteur. C’est avec le recul que je me rends compte de cette nécessité. Avec à l’adolescence, une autre éventualité. Écrivain ou banditisme ? Trop couard et bavard (faut savoir tenir sa langue) pour la seconde voie. Pourquoi le banditisme ? Ceux que je voyais dans mon quartier n’avait ni patron ni horaires. Circulant dans des DS comme à bord de vaisseau hors de la réalité. Partant à la mer - je n’y étais pas encore allé - quand ils le voulaient. Il me semblait être les maîtres de leur histoire. Sans courber l'échine et les yeux devant un patron. Le contraire de tous les prolos, dont leurs parents qui marchaient tête basse. En plus, ils aimaient la compagnie de mon paternel (ancien bagnard) et me payaient des diabolo-menthe. Mes oreilles grandes ouvertes pour capter leurs aventures. En vain. Pas le moindre mot sur leurs « affaires en cours ». Aussi discret que le grand banditisme en col blanc.

    J’ai jamais volé de ma vie et toujours réglé mes ardoises, me disait parfois mon père. Ce qui était vrai : pas un seul loyer de retard ni la moindre dette. Comme d’autres prolos, mes parents étaient d’une honnêteté quasi-pathologique. Devoir le moindre centime les mettait sous tension. Je les trouvais ridicules de s'en faire pour si peu. Avant d’hériter de la même pathologie du « jamais en dette de quoi que ce soit ». Une exhortation paternelle à ne pas basculer dans le braquage et dans le vol ? Une question qui restera sans réponse. Très vite, j’ai compris que mes idoles sans horaires avaient en réalité un « agenda de l’ombre ». Et avec une direction pénitentiaire sur le dos. Fin de mon romantisme ado lecteur de Rimbaud et de récit de pirates. Ne restait donc que l’écriture. Une autre forme de banditisme ?

        Avec parfois l’ombre de la page blanche. Il y a largement pire sur la planète. Les problèmes d’écriture ne sont que des soucis de nanti. Surtout quand les bombes et missiles ne tombent pas sur son clavier. Écrire et s’exprimer en général est beaucoup moins dangereux sous les cieux de la démocratie. Néanmoins, comme dans toute corporation, il y a des périodes de difficultés, plus ou moins grandes. Nombre d’auteurs et autrices peuvent en témoigner. Mais comme disait le très grand Simenon ; personne ne nous contraint à écrire. Un choix de vie que je ne regrette pas du tout. Si c'était à refaire, je signe des trois mains. Un choix qui continue de m’apporter les insatisfactions classiques vécus par la majorité des auteurs et autrices. Plus tout le reste. Un chantier de fictions, de fragments, de poésies, encore ouvert. Et avec toujours beaucoup de plaisir.

      En bonus d'écriture, il a ce blog. Plus d'une décennie. Une ouverture deux jours après le massacre des Charlie ; ils s’en seraient donné à plume joie et cruelle avec l’actualité contemporaine. Radotage ? Tourner en rond? Trop de digressions ? Fermer cette fenêtre numérique avant le billet de trop ? Finir sans m’en rendre compte dans la peau des «  sans oreilles » recroquevillées sur leur voix unique ?  Écrire moins ?  Apprendre à raturer ardemment ? Ces interrogations et d’autres revenant à intervalles réguliers. Même si j’éprouve du plaisir - très différent de celui de la fiction - à cette écriture quasi au quotidien. En espérant que les internautes fréquentant ce blog n’hésiteront pas à me signaler si je verse dans le pathétique et sentencieux. Comme on dit, qui aime bien, châtie bien. Mais peut-être que j’arriverai à m’extraire de moi. Et réussir à me remettre en cause.

     Pour balancer mes « pantoufles de blog » ?

          En guise de conclusion, un extrait du « Procès Verbal » , de JMG Le Clézio

      « On me reprochera certainement des quantités de choses.

          D'avoir dormi là, par terre, pendant des jours ; d'avoir sali la maison, dessiné des calmars sur les murs, d'avoir joué au billard. On m'accusera d'avoir coupé des roses dans le jardin, d'avoir bu de la bière en cassant le goulot des bouteilles contre l'appui de la fenêtre : il ne reste presque plus de peinture jaune sur le rebord en bois. J'imagine qu'il va falloir passer sous peu devant un tribunal d'hommes ; je leur laisse ces ordures en guise de testament ; sans orgueil, j'espère qu'on me condamnera à quelque chose, afin que je paye de tout mon corps la faute de vivre… »

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