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Billet de blog 4 mai 2025

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L'élégance du désaccord

De plus en plus rares dans les échanges. Que ce soit dans les débats publics où a table en famille, avec des copains. Souvent, le désaccord monte très vite en sonorité. Jusqu’à parfois finir en insulte ou «  En fait, tu es un ou une... ». Ces dernières années, grosse affluence de noms d’oiseaux. Souvent des volatiles numériques. Retrouver l’élégance du désaccord ?

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Illustration 1
© Caran D'ache

                 De plus en plus rares dans les échanges. Que ce soit dans les débats publics où a table en famille, avec des copains. Souvent, le désaccord monte très vite en sonorité. Jusqu’à parfois finir en insulte ou «  En fait, tu es un ou une... ». Ces dernières années, grosse affluence de noms d’oiseaux. Souvent des volatiles numériques. Des attaques proportionnelles à sa prise de parole publique. Grande ou petite. Sûrement, que la plupart des internautes de Mediapart et d’ailleurs ont dû y avoir droit. Certains sont blindés. D’autres ont le cuir beaucoup moins solides. Et sont touchés-coulés. Encore plus par les fausses accusations.

          Balayons justement devant nos contradictions. Je n’ai pas toujours été élégant verbalement. Même de très mauvaise foi. Pas très joli tout ça. Juste pour avoir le dernier mot. Mais quelle perte pour nos échanges. Le frottement des idées qui nous élèvent. Une bouche capable d’argumenter, des oreilles aptes à changer d’avis. Ce moment où même dans un « grand combat  verbal », nous restons face à un adversaire. Jamais à un ennemi. Toutefois, nombre de domaines où c’est difficile d’être dans cet état d’esprit. Comme la politique et la finance. Partout où il y a des enjeux de pouvoir et de fric. Et d'autres domaines ...

         Avec la volonté de diriger un échange. Suffit d’un mot ou d'une formule bien placée pour rester seul maître ou maîtresse à bord de la conversation. Bien sûr, on peut ramer et réussir à revenir à la nage. Et à bout de justifications, pouvoir reprendre place dans le débat. Mais le mal est fait. Quoi que vous direz, un doute planera plus ou moins. Surtout, depuis que la toile conserve tout en mémoire. Bravo à celles et ceux ne lâchant pas le morceau. Accusés à tort, vous continuez de défendre vos idées. Et pour certains, les plus forts mentalement, vous ne sortez jamais des clous de la colère. Rien de plus naturel quand on vient de s’essuyer une fausse accusation. Très en colère contre la manipulation. Mais sans haine. Ni désir d’imiter le ou la manipulatrice. Rester droit dans ses idées. Au risque de perdre dans le soi-disant débat. Sauf l’essentiel. La bonne relation avec son miroir.

          Plusieurs copains et copines fuient le désaccord. Même certains appréciant les débats contradictoires. Mais, surtout les plus vieillissants, ils s’éloignent de plus en plus des frottements d’idées. Quasiment plus jamais avec des inconnus. Et de moins en moins avec ses proches. Sauf avec celles et ceux équipés aussi d’oreilles. Et donc capable d’écoute. Même de reconnaître s’être trompé. Des spécimens de plus en plus rares. Pour ma part, j’en ai dans mon entourage. Avec qui je peux échanger sans me faire traiter de ceci ou de cela. Et il y a d’autres proches, grands amis aussi, mais avec qui je préfère être prudent. Refusant d’entre dans des débats stériles. Ou souvent chacun et chacune parle avec les mots de ses médias préférés et son entre-soi. Autant botter en touche de table. Vraiment excellent ce pinard.

        Certains évitent peut-être de parler de tel ou tel sujet avec nous. Sans même que nous soyons au courant de leur auto-censure en notre présence. Parce qu’un jour, nous sommes montés sur nos grands chevaux sur un ou plusieurs sujets précis. Une fois ça va, deux fois aussi. Et au-delà, ça s’appelle de l’obsession. Plus ou moins envahissante pour soi et les autres. Nos interlocuteurs le voient, pas nous avec le nez dans notre obsession. Élégance aussi de leur part d’en tenir compte. Ne pas chercher la contradiction à tout prix est aussi une grande classe. Quand on sait que l’autre peut être énormément touché. Toutefois attristant de devoir avec certains ne pas être libre d’évoquer librement tous les sujets. Mais il n’y a pas mort de mots.

         Pour ma part, il m’arrive donc de me censurer. Éviter de parler de ça, d’employer tel terme. Contrairement à d’autres, j’ai eu la chance de ne jamais avoir été censuré. Ni pour ce blog, ni le précédent sur Rue 89. Pas non plus dans mes bouquins. Comment aurais-je réagi en cas de censure? Je ne sais pas. Mais celles et ceux censurés doivent être dans une profonde colère. Surtout dans des pays se targuant de la liberté d’expression. En dictature, la question ne se pose même pas. Quand on est en désaccord, l’anathème et les fausses accusations ne sont-ils pas une forme de censure camouflée ? Une question à se poser. Quand beaucoup évitent de plus en plus les sujets qui fâchent. Le début de la fin des échanges ?

        Sale période pour l’élégance de la contradiction. Sans doute que ça passera. Et d’ailleurs, elle continue de se pratiquer ici ou là. Dans quelques débats. Mais aussi au bistrot, sous son toit, dans les transports en commun… Les noms d’oiseaux et accusations-raccourcis n’ont pas tout envahi. En tout cas, chaque fois un régal pour les oreilles d’écouter de la « belle contradiction ». Et rassurant. Encore des êtres capables de ne pas être d’accord. Sans basculer dans la haine. Ni le ressentiment. Juste échanger des idées différentes.

            En un échange élégant.

NB : Le  dessin de presse en illustration du billet peut générer des désaccords. En effet, Caran D’ache était un antidreyfusard et d’extrême droite. Ce qui n’empêche que sa caricature était très pertinente. Et toujours d’actualité.

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