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Billet de blog 4 août 2016

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Correction

L’enfance est le moment le plus court de son existence. Pourtant celui qui dure le plus longtemps. Revenant en boucle, jusqu'à son dernier souffle. Pourquoi ces pensées sombres,trempées dans mon café ? Guère mon habitude de mélancoliser au réveil. Sans doute parce que je suis en fin de course. Dégraissé.

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L’enfance est le moment le plus court de son existence. Pourtant celui qui dure le plus longtemps.Revenant en boucle, jusqu'à son dernier souffle.Pourquoi ces pensées sombres, trempées dans mon café? Guère mon habitude de mélancoliser au réveil. Sans doute parce que je suis en fin de course. Dégraissé. Une de mes tâches habituelles. Aujourd’hui, c’est moi qui suis en quelque sorte dégraissé. Remercié, licencié, vidé, lourdé, foutu à la porte… Pas les mots ni les formules qui manquent. À mon tour de recevoir ma lettre de licenciement. Je m’y attendais. Des années que je sens que mon boulot devient de plus en plus inutile. L’époque a changé très vite, les us et coutumes se sont transformés en si peu de temps. La lecture du monde est beaucoup plus rapide. Le présent s’écrit à très grande vitesse, sur des rails virtuels. Et avec une nouvelle langue.

Progrès ou régression ? Des questions que je me pose. Parfois même avec une irrépressible tendance au «c’était mieux avant». Posture de vieux bougon. Tout ça est bien sûr lié à l’abattement généré par mon licenciement. Mais pas uniquement. Sans doute que notre début de siècle, plutôt sombre, plus couleur sang que sens, accentue cette idée que le meilleur ne peut-être que derrière. Se levant le matin avec la radio, déjà comme enfermé dans une nasse planétaire, avec son lot d’horreurs et de connerie humaine. Une vision due à mon pessimisme coutumier ? Vivant à une autre période, je n’en aurais vu  aussi que les aspects négatifs. Changer mon regard sur le monde?

Contrairement à celles d’autres secteurs d’activités, la disparition programmée de ma corporation passera totalement inaperçue. On ne peut pas barrer les routes ou empêcher les transports publics. Pourtant la fin de notre activité n’est pas anodine; elle est en fait le reflet de notre société actuelle. Une disparition qui me semble même apporter, ne serait-ce qu’un minimum,  de l’eau à la boue des obscurantistes, très actifs de nos jours. D’une part, les décérébrés qui se font exploser ou ne jouissent qu’avec leurs kalaches. D’autre part, les pollueurs de cerveaux et de planète, prêts à tout pour engranger plus d’actions et de bénéfices. Quel est leur point commun? Réduire entre autres la pensée et la langue. Tout synthétiser dans la religion ou le fric. Prier ou payer. Parfois les deux. Nous transformer en grands gosses pour mieux nous manipuler. Une infantilisation à laquelle nous collaborons activement. La main en permanence sur nos egomobiles.

J’ai l’impression que, tous autant que nous sommes,  nous réagissons comme des gosses. Récemment, sur mon compte tweeter, j’ai bloqué l’auteur d’un article. Il avait assassiné un bouquin que j’avais corrigé, en listant les coquilles et les imperfections de langage. Son papier à charge m’avait blessé, même si d’autres avaient participé à la correction de l’ouvrage. Je n’étais donc pas le seul mis en cause. Pourtant, à bientôt 62 balais, j’ai réagi tel un enfant triste disant à un autre: «Je te cause plus!». Quelle stupidité. Surtout quand, comme moi, on agite sans cesse le droit à l’expression et la polémique nécessaire des débats démocratiques. Que du blabla. Vexé, je lui ai interdit l’accès à mes tweets, comme un videur refusant l’entrée d’une boîte. Pathétique. Et en plus, pour me venger de cet auteur, j’ai écrit un article en relevant les erreurs de certains de ses bouquins et de ses papiers. Mon billet a pas mal tourné sur le Net. Scud contre scud. Voulant connaître sa réaction, je suis allé sur son compte tweeter. Il m’avait bloqué.

Après 25 ans de bons et de loyaux services comme lecteur-correcteur, me voilà donc foutu à la porte. Ma maison d’édition dégraisse. Ils ont licencié la moitié des préparateurs de copies. Évident que celles et ceux qui restent, avec le surplus de boulot, laisseront passer nettement plus de coquilles, et prendront moins de temps avec les auteurs. Les épreuves expédiées au plus vite pour le Bon À Tirer. De l’abattage de texte, sans travail sur le fond. Le même phénomène existe déjà dans nombre de journaux papier ou en ligne. La correction n’est plus du tout une priorité. Autre temps, autres mots.

Je suis persuadé que la langue, qui structure la pensée, va obligatoirement en pâtir. Une perte de sens que ce soit dans le domaine de la fiction, des essais, du journalisme. Et sur de nombreux autres plans. Les réflexions aigris d’un vieux correcteur sur le carreau? Passé dans le camp des néo-réacs ? Plus rien à inventer pour soi et les autres? Sans doute plusieurs raisons mêlées. Je suis comme recroquevillé sur cette impression de participer à un déraillement collectif. Que faire? Couper mes comptes tweeter et Facebook? Cesser d’aller sur le Net? Ne plus apporter de l’eau au moulin à vanités de notre époque? Une époque dont je suis coresponsable.

Mon premier jour de chômage commence mal. Déjà à broyer du noir. À vrai dire, je me sens un peu comme un con, devant mon clavier. Assis face à cet écran qui m’a nourri depuis tant d’années. De la préhistoire de la correction, jusqu’aux outils numériques ultramodernes d’aujourd’hui. Plusieurs décennies à traquer la moindre erreur dans un texte. Que de colères en découvrant une coquille passée à travers les mailles du filet. Beaucoup de joie et de fierté aussi d’avoir accompagné de très bons articles et bouquins. Heureux de mon métier. Un travailleur de l’ombre comblé.

Retrouver un boulot de correcteur ? Trop vieux. En plus, c’est une espèce en voie de disparition. Me recycler ? Secouer mes rêves de gosse ensommeillés pour essayer de les réaliser? Astronaute ou pompier ce n’est plus de mon âge. En profiter pour partir en voyage ? Je ne suis pas un grand voyageur. La seule chose qui m’intéresse dans un voyage est de bavarder avec des gens eux aussi en partance. Ce moment précis où, , entre deux lieux, chacun lâche plus ou moins une part de lui. Parfois jamais partagée avec ses proches. Une intimité express, sans jugement. Ni lendemain.

Depuis quelque temps, j’ai une idée qui me trotte dans la tête; sans doute un projet complètement barge. Il est inspiré de mes gosses et petits-enfants qui utilisent beaucoup Blablacar et d’autres moyens de covoiturage.  Ils me racontent souvent leurs anecdotes. Des rencontres avec des êtres totalement différents.  J’ai envie de partir un an, sans but. Voyager au gré des covoiturages. Me glisser d’un parcours à l’autre.

Commencer par quelle destination ?

NB ) Une fiction inspirée de cet article sur la disparition programmée des lecteurs-correcteurs dans la presse et l’édition. À mon avis, c’est regrettable. Contrairement à certains, je crois que les correcteurs ( ainsi que les éditeurs ) sont indispensables aux auteurs. Mais aussi aux lecteurs, qui seront les premiers à pâtir de leur disparition. A ce propos, n’hésitez pas à me signaler les coquilles de ce billet. Mon détecteur de «fôtes» n’est pas infaillible.

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