Agrandissement : Illustration 1
L’horreur en tartine. Chaque jour trempée dans son café. Une habitude qui blinde ? Non. Chaque fois traversé par une profonde tristesse. Celle que la majorité des êtres doués d’humanité ressentent. Quel gâchis humain. Puis la colère prend le relais. Comment se fait-il que tout ça continue ? Pourquoi notre espèce ne réagit pas pour empêcher l’horreur au pluriel ? Toujours à ressasser les mêmes questions réponse. Avant d’être envahi par un sentiment d’impuissance. Conscient de ne pouvoir servir à rien. Si ce n’est à essayer d'encaisser les horreurs servies par le radio réveil. Comme aujourd'hui la noyade de douze migrants. Dont six enfants et une femme enceinte. Leur avis de décès entre météo et prestation d’humoriste.
Pas la première info de ce genre au réveil. Ni la dernière. Mais ce matin, le dégoût. En plus de l’impuissance récurrente. Tu penses aux gosses de Gaza ? Et aux écrasés en Ukraine ? Et les morts sous les bombes au Yémen depuis des années ? Les massacrés du 7 octobre en Israël ? Le féminicide tous les trois jours ? Les incestes ? Le gosse assassiné pour un regard de trop ? La Rom enceinte brûlée dans sa caravane ? Le flic mort assassiné sur la route ? La gamine écrasée par un motard ? Une liste alimentée à chaque réveil.
Hiérarchiser son empathie ? Certains individus y parviennent. Capables de donner des bons points à telle ou telle souffrance. Dont des manipulateurs (politiques, animateurs de télé Haine, etc.) sélectionnant les victimes selon ce qu’elles peuvent rapporter à leur cause et audimat. Prêts même à différencier un gosse mort d’un coup de couteau ou écrasé par un missile. Faut demander à chacune des mères, le cadavre de sa chair entre les mains. Bien sûr, on peut difficilement échapper à la hiérarchisation de l’empathie. Tous et toutes nous la pratiquons plus ou moins. Avec nos larmes sélectives. La mort d’un être cher passera avant même la destruction de toute une population. Rien de plus naturel d’être plus touchés par une victime issue de sa proximité. Pour autant, est-ce une raison pour minimiser les autres souffrances ? La frontière se trouve là.
L’indifférence à une souffrance à la face différente de la sienne. Qu’il s’agisse de visage, de couleur de peau, de culte, de culture, d’origines sociales, etc. La victime est noire comme moi, blanche comme moi, caucasienne comme moi, juive comme moi, musulmane comme moi, Chrétienne comme moi, Israélienne comme moi, Palestinienne comme moi, pauvre comme moi, lesbienne comme moi, trans comme moi, SDF comme moi… Se projeter dans une douleur jumelle peut-être un réflexe. Mais quand on en oublie, et même occulter le reste de la souffrance du monde, ça devient extrêmement inquiétant. Rien de pire que de dénier toute douleur à un être différent de soi et de ses proches. Autrement dit, le début de l’inhumanité. Les racines de la négation de l’autre.
On sait où nous a conduit cette négation. Pourtant, la même avenue s’ouvre à nouveau devant notre époque. Pour retourner inexorablement dans les mêmes impasses déjà fréquentées au siècle précédent. Racisme, antisémitisme, LGBTphobie, et autres saloperies, nous y mènent tout droit. Exagération de ma part ? Tout n’est pas aussi sombre ? Le ventre d’où est sorti la bête immonde ne sera plus jamais fécond ? La beauté et l’humanité continuent de se conjuguer partout sur la surface du globe ? C’est tout à fait possible que je ne voie que le sombre contemporain. Aimanté beaucoup plus par les ombres que les lumières. Une facilité de se focaliser sur ce qui est négatif ? Sans doute. Plus difficile d’extraire les perles de la boue quotidienne. Comment faire pour voir la belle part de notre époque ?
Ne plus écouter France Inter le matin. C’est la réponse d’un copain à la noirceur planétaire. Il n’écoute plus que FIP ou France Musique. Jamais de télé. Et le moins possible de réseaux sociaux. Se mettant en apnée mentale quand une conversation tourne autour d’une actualité violente et dure. En quelques mois, j'ai senti un réel changement chez lui. De moins en moins tendu. Et de plus en plus près de lui. Avec une plus grande attention à ses proches. Depuis que j’ai arrêté ma dose de France Inter du matin, je ne me lève plus avec le putain de poids du malheur du monde sur les épaules. Ça te change vraiment ta journée. Et je ne me couche plus non plus avec le poids de ce malheur. Ça te change une nuit. Tu te portes nettement mieux. Et à quoi ça sert d’écouter les mauvaises nouvelles. Sans pouvoir apporter assistance à siècle en danger. Je préfère me débrancher la tête. Profiter de mon temps qui passe. Ses propos pour expliquer son changement.
L’imiter ? Je me pose la question. Mettre le monde sur off. Ne plus me réveiller avec des morts violentes sans frontières ? Sûr que mon quotidien serait délesté d’un poids. Finis les féminicides, les viols, les incestes, et toutes les autres horreurs chroniques perpétrées par notre espèce. La fin aussi du spectacle pathétique d’une partie de la classe politique dénuée de classe, des penseurs ayant dépensé toute leur pensée, des agitateurs cathodiques, et de tous les manipulateurs et manipulatrices. Sûr que mon monde deviendrait plus ou moins différent. Moins anxiogène. Mais rien n’aura changé. Juste un pas de côté. Au bord du gouffre. Se voiler la face ne change pas la face du monde.
Demain, même radio-réveil.