« Il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l'entreprise, je voudrais ne jamais être infidèle ni à l'une ni aux autres » Albert Camus
Une avoinée numérique. C’est ce que je me suis pris dans l'un de mes précédents billets. Force est de reconnaître que le billet en question était en effet, trop long, verbeux, etc. À force de vouloir dire toujours plus, on finit par étouffer le sens de la parole. Trop de digression tue la digression. Une lettre à un personnage politique mal ficelée. Avec indéniablement un certain nombre d’erreurs de ma part. Dont la principale est en effet d'avoir voulu faire porter le chapeau de la perte d’espoir de plusieurs millions d’individus à un seul homme. Et moi ; quid de ma responsabilité ? La vôtre ? Et de tous les autres Yakafaukon en distanciel ? Sans jamais oublier que tout individu, personnalité publique ou non, même très forte sur le plan mental et dialectique, reste faillible, avec ses zones d’ombres et ses fêlures. On peut apprécier une figure charismatique porteuse d'idées. Et même pour certains la soutenir bec et ongles. Sans pour autant transformer un individu en un saint incritiquable et à vénérer aveuglément. Dont acte.
Réaction en direct. Les commentateurs et commentatrices ne se sont pas privé de critiquer les erreurs du billet. Avec des mots plus ou moins rugueux. Mais c’est le jeu de l'interaction. Quand on écrit dans un blog avec des commentaires ouverts. L’exercice est une forme de démocratie numérique directe. Rien a objecter de ce côté-là. J’assume donc la rédaction du billet de guingois lié à la politique. Pouvant même rajouter que ces critiques -en accord ou en désaccord avec tel ou tel commentaire- m’ont permis de gamberger. De me remettre en cause. Et de pouvoir dire que ma réaction aurait mérité plus de recul. Faut prendre plus de temps pour se relire et peser chaque mot. Encore plus dans une période où la moindre virgule, interprétée dans ou tel sens, peut entraîner dans son sillage des tombereaux d'insultes. Un climat délétère dans lequel baignent nombre d’individus sous une extrême pression. Tous et toutes dans le même bain électrique. Mais trop tard pour refaire le match. Errare numericus est ?
Le commentaire en direct permet de prendre la température ambiante. Ça brûle. Très mauvaise période sur la toile. Mais aussi sur le plan hors-virtuel. La différence est qu’on ne peut pas se passer de déplacement physique pour aller bosser, se promener, boire un coup au bar, voir un film…. La vie sociale qui existait avant les réseaux sociaux et qui n’a pas cessé pour une grande majorité. Le vrai lien entre être de chair et d’os n’est pas virtuel. Suffit de repenser à toutes ces sorties dans les rues, au bar, au cinéma, au théâtre, en librairie, à la salle de sport, sur les terrains de foot, qui ont beaucoup manqué pendant le Covid. Tout ce mouvement des corps à ciel ouvert est très différent des réseaux sociaux. D’ailleurs, on ne parle pas de vie. Mais de réseaux. La vie est-elle uniquement hors des écrans ? Non. Un grand fourmillement sur la toile. Et de belles choses au quotidien. La toile est nécessaire. Et désormais incontournable dans nos existences.
Pourtant de plus en plus d’internautes commencent à quitter la toile. En fait, surtout les réseaux sociaux. Pas uniquement un départ de telle ou telle personnalité médiatique. Pourquoi ce désir d’éloignement ? Sans doute l’usure. À force de traverser des territoires de combats de mots sans écoute, d’empathie que pour les victimes de son camp, la tête se fatigue. Le cœur aussi s'use. Important la polémique dans tout débat ? Entièrement d’accord. Mais la haine et débat ne sont pas du tout compatibles. À ce propos, les internautes mécontents de mon billet-lettre se sont exprimés sans agressivité. Même si certains et certaines étaient en colère contre mon texte en ligne. Ce qui est tout à fait leur droit. Une colère restée élégante.
Ce blog se déroule dans de très bonnes conditions. Je n’ai pas du tout à m’en plaindre. Même que bien souvent en désaccord avec la ligne éditoriale. Notamment sur le fait que la rédaction accorde beaucoup trop de place au sociétal; certes nécessaire mais pas plus important que le social. Toutefois, les deux genres de sujets ne sont pas incompatibles. Jamais un de mes billets n’a été censuré. Ni subi une quelconque pression de la rédaction ; peut-être pas le cas de tous les autres blogueurs. En ce qui me concerne, un voisinage avec des journalistes- pas mon métier -en bonne intelligence. Des espaces, comme sur ce site et quelques autres, sont de plus en plus rares. Avec la possibilité d’une vraie interaction permettant d'enrichir l'autre et de s'enrichir. Un frottement d’idées certes parfois dures, mais sans insultes. Contrairement à de très nombreux autres territoires numériques. Globalement, l’élégance et l’écoute ne sont pas, pour l’instant, la marque de fabrique de la toile. Notamment sur Twitter.
Un vrai ring où tous les coups sont permis. Une sorte de « free fight » de mots et d'images ? On assiste souvent à des bagarres entre internautes. Comme dans une cour de collège. Mais ça dure plus longtemps. Sans profs pour séparer les « ados du numérique ». En plus, ça afflue de partout. Une multiplication de nouveaux arrivants pour donner le coup-de-poing virtuel. Une foire d’empoigne mêlant tous les milieux sociaux. Jusqu’à ne donner qu’une bouillie de pensées réduites à pour, contre, et je t’emmerde. Même chez des têtes soi-disant bien pleines et éduquées. Bien loin de ce qu’on nomme échange. Certes pas un scoop. Toutefois, on peut se poser une question. Qu’est-ce qui nous oblige à assister au spectacle de la haine et connerie récurrente ? Rien. Pourtant, il y a une foule de mateurs à la fenêtre de l'écran. Que faire ? Chaque internaute libre de sa décision.
Pour ma part, j’ai encore eu envie de jeter l’éponge. Fermer ce blog et aussi twitter. Couper avec les réseaux sociaux. Désir de tout plaquer à cause de l’avoinée ? En partie. Certes pas très agréable une avalanche de critiques. Mais y a pire sur la planète-surtout en ce moment. Avec une grande auto déception de ne pas avoir réussi à transmettre le fond de sa pensée. Et une trouille. Sans doute partagée par nombre de personnes. La trouille que ce si bel espoir, notamment de la jeunesse, cet espoir déçu, ne nous revienne comme un boomerang résigné et aigre qui sera attrapé au vol par les pires manipulateurs. Aujourd’hui encore, j’ai entendu des gens évoquer leurs inquiétudes. Et en l’occurrence, pas des militants. Juste des êtres inquiets. Comme nombre d'entre nous. Comment tout ça va finir ?
Ce n’est donc pas le moment de quitter la galère. Ce serait trop facile de se défiler parce qu’on a été égratigné sur son blog. Ou de se recroqueviller dans la grotte bien chauffée et confortable de son ego et nombril à ratiociner que que ce putain de monde est pourri et que la connerie-la notre y compris- a gagné. Au contraire, c’est maintenant qu’il faut persister. Même si la voix de ce blog ne porte pas loin. Même si d’autres billets seront boiteux, trop longs etc. Même s’il peut y aura d’autres avoinées de lecteurs et lectrices . Que faire concrètement avant de retomber dans le verbiage et la longueur ?
Pas de solution miracle. Ni homme ou femme providentielle. Toutefois possible de tenter avec les moyens du bord d’apporter de l’eau à un nouvel espoir, notamment pour la jeunesse qui a droit à un petit coup de main des plus anciens. Une tâche ne serait-ce que pour améliorer l'ordinaire de nos histoires passagères. Sans pour autant verser dans le prêchi-prêcha, la sentence, et la certitude de détenir la vérité. Capable de douter, se contredire, repérer ses angles de fermeture, travailler sur notre propre connerie et intolérance évoquées par Romain Gary dans la vidéo. Un grand chantier. Dans quel but ? Tout simplement faire ce qu’on sait faire à son petit ou grand niveau. Du mieux possible. Avec quel objectif ? Au moins sortir la tête du désespoir et de la confusion actuelle. Agir avec ses outils dans un monde déchiré.
Essayer de tisser un nouvel espoir.