Zemmour envisageait une possible déportation des musulmans de France. Tandis que son ami Ménard crée le tri sélectif des vrais et faux français. Un délit de sale prénom vous met dans le camp des faux français? Origines suspectes? Robert, Eric, Marine et tous les prénoms du calendrier de la Poste, seraient, eux, de vrais français. Ecrit dessus comme le Port Salut. Centre de tri et déportation pour ce duo de choc. Sans doute qu'ils espérent mettre leurs idées en commun et les expérimenter sur le terrain. Et peut-être même, pour varier les plaisirs, jouer ensemble dans une série intitulée « Haineusement votre ». Un carton assuré en ce moment. Au fait, pour ce voyage de retour au bled, j'ai une petite question. Peut-on choisir côté vitre ou couloir ?
"La prochaine Shoah est pour nous,les musulmans !" Cette affirmation d’un inconnu, un soir dans un bar, m'agaça profondément. Quelle bêtise de tout mélanger! Je n’étais pas du tout d’accord avec lui. Pour corser le tout, il rajouta : « Notre étoile sera la main jaune portée sur nos blousons. ». Harlem Désir a dû avoir les oreilles qui sifflaient ce soir là. Bien que très anti "Touche pas à mon pote", la comparaison me semblait vraiment très ridicule. Rien à voir. En sortant du bistrot, je m'étais dit «quel con ce mec». Une brève de comptoir pas drôle. Et complètement à côté de la plaque.
En écoutant hier la matinale de France Inter, j’ai repensé aux propos de cet homme. Pourquoi ce brusque écho du passé? A plusieurs reprises, Emmanuel Todd, très inquiet à juste titre, évoqua l’antisémitisme. Lui,d’origine « judéo-bolchévique » comme il se définit, a raison de penser que l’islamophobie ( certes un terme instrumentalisé par les ennemis de la liberté de rire de tout) actuelle est sous-tendue par une sorte de vague "Maréchal nous revoilà "; pas un hasard si le bouquin d’Eric Zemmour cartonne autant. Le SO du FN attaquant des femmes dans leur chambre plus proche des méthodes de la Cagoule ou des Poppys? Les morts ou les blessés de l'école juive à Toulouse, de l'Hyper Cacher, les crachats antisémites sur le net, les insultes... Une réalité indéniable. L’inquiétude du sociologue est donc très légitime. Après les trente glorieuses, le retour des années 30?
Au bistrot et sur les antennes de France Inter, deux trouilles s'exprimant. Peur de l'avenir et, pour paraphraser le très grand poète Thierry Metz, de la France qui penche dangereusement. Du côté de sa face la plus obscure. Entraînée entre autre dans sa chute par un parti de plus en plus puissant; malgré les ravalements de sa façade, il accueille dans son arrière-cour des skins et autres chasseurs de Femens. Pas un parti faschiste, un parti du peuple français avec la devise: La France aux Français, les lingots d'or en Suisse !
Quel rapport entre la parole publique et médiatisée du sociologue avec celle d'un anonyme ? D'aucuns penseront qu'elles n'ont pas la même valeur. L'une pensée avant, fouillée, et l'autre brute de décoffrage. Peut-être mais avec au fond la même appréhension: le retour de la bête immonde. Une bête à plusieurs déguisements. Cette peur, malgré sa sincérité, me paraît disproportionnée. Certes, si le fond de l'air est nauséabond, mais nous ne sommes pas dans la même configuration que durant les années sombres de notre Histoire. Pour l'instant, les digues de la démocratie tiennent bon.
A moins qu'un jour, Caroline Fourest, Robert Ménard, Philippe Val, Marine Le Pen, Eric Zemmour, et d’autres, remisant leur différences notoires, s’allient pour bouter les intrus – pas assez laïques et saucisson pinard – hors du pays. Puis, peu à peu, les porteurs de djellabas seront invités à prendre un aller sans retour offert par la ministère de l’Intérieur et de la Laïcité Française(Ménard ou Zemmour Place Beauvau ?). Le rap et toute la world music interdits par Philippe Val,nouveau ministre de la Culture et des Excommunications.Bref, un gouvernement d’unité NationaLaïc avec Charlie comme organe officiel. A ce propos, toujours pouvoir présenter sa carte " Je suis Charlie" à tout contrôle de la Brigade de Laïcité. Jupes longues interdites à l'école, voile autorisé les jours de carnaval. Interdiction de la viande hallal et cacher. Tout le monde au même menu. Un régime autoritaire guère appétissant.
Dans le train du retour contraint à ma souche ( loin de mon 93 natal), le regard perdu dans la campagne de feue Douce France, je repenserai aux bons moments du passé. Plus d'un demi-siècle défilant sur la vitre. L’école primaire, le collège, le lycée, la bibliothèque de Montreuil, le premier et derner amour, les claques, les rires, les conneries d'ados, les années Punk Rock, le bon pinard, les longues promenades en ville, les mousses à rallonges dans des rades, le poirier de mon jardin de gosse…Belles et moins belles choses. A chacun son " Je me souviens." ou " Mes amis, mes amours, mes emmerdes.". Sans oublier la littérature.
Ces bouquins qui m’ont aidé à avoir un minimum d’esprit critique pour interroger le monde, la complexité des rapports humains, et la beauté de la poésie. La magie des mots imprimés. Grâce à eux, j'essaye, autant que possible, de réfléchir plus loin que ma petite personne. Depuis, l’école primaire, pas un jour sans lire ou écrire un mot en français – la seule langue que je connaisse. Lecture et écriture à mon menu quotidien. De temps en temps, une rencontre dans un lycée ou une médiathèque, ainsi que des ateliers d'écriture. Une existence souvent à découvert mais fort sympa. Fini tout ça. Plus de festivals de romans noirs où le rouge et la bonne humeur coulent à flots. C'était bien Libé ou Charlie à une terrasse ensoleillée,... Et tout le reste.
La liste est longue des plaisirs que le «grand retour » offert par Zemmour et ses amis vont me faire perdre. J’allais oublier cette interrogation d'adolescence non élucidée: si les poteaux avaient été carrés ? On ne refait pas le match. Où avec que des Robert et Eric sur le terrain ?
Tous les métèques athées, laïcs, agnostiques, croyants, lecteurs de Siné, amateurs de la Dive Bouteille et ne crachant pas sur un bon sauciflard, vont avoir du mal à retrouver un pays comme la France. Une telle ambiance. Surtout la France d’avant les cons de toutes origines. Certes, on ne vivait pas dans un Eden. Surtout les plus pauvres dont les seuls paradis se nomment PMU et Loto. Avant que des obscurantismes viennent y coller leur Dieu qui rapporte visiblement plus d’emmerdes que de très bonnes choses.Comme si les pauvres n’avaient pas déjà assez du chômage et de tout le reste. Plus de chance de gagner au Loto que de déjeuner avec Dieu ?
Mais, contrairement à nos jours, la connerie et la haine ne se trouvaient pas à tous les étages. En tout cas, jamais en permanence. On pouvait respirer, lire ou écrire de la poésie, taper dans un ballon,ou faire autre chose, sans cette impression de chape de plomb. Une chape de communautarisme et de manipulation des rancoeurs. Toujours les invités les plus extrémistes en boucle ( buzz oblige) à la télé et à la radio. Et notre entourage qui, parfois, sombre - avec de bons sentiments- dans des dérives réacs. Depuis la mort des regrettés Charlie,les blocages se sont accentués. Les idées péremptoires ont envahi l'espace public et privé. Même dans son miroir. Comment arrêter cette spirale ? Difficile de croire que c'est encore possible. Seuls les pollueurs mentaux ont-ils de l’espoir ?
Fort heureusement cette France totalitaire n'est qu'une politique fiction. Le conte d'un présent brun et très confus. Quasiment impossible la réunion des personnalitées citées plus haut dans une même équipe. Trop d'égos au mètre carré. Ils finiraient tous par s'étriper. Improbable. Qui aurait pu imaginer Philippe Val bosser un jour pour Sarkozy ? Ou Robert Ménard, ancien gauchiste, passer de Reporter Sans Frontières au camp de Marine Le Pen ? Des membres du NPA, du PC ou PS ont bien basculé dans les rangs FN. Ne jamais dire « Boue, je ne boirai pas de ta haine ». D’ici 2017, nous aurons d’autres surprises. La Douce France perdra-t-elle son F de fratenité ? La liberté et l'égalité en danger aussi ? Affaire à suivre...
En attendant la fin de la connerie ( pas demain la veille) permanente, tous, vrais ou faux français, continuons de vaquer à nos chères occupations. Aucune raison d'abandonner notre chantier personnel et quotidien. Aimer, détester, boire des coups avec les potes ( les vrais, pas ceux inventés par Harlem), râler, mentir, blasphémer - même le nouveau Dieu Charlie, écrire, lire… Bref de vivre dans cette Douce France. Parce qu'elle est à nous tous. Pas uniquement aux commerciaux de la bêtise. Et surtout parce que nous y sommes bien.