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Billet de blog 6 juillet 2016

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Tacle invisible

L'arrivée de l'équipe de foot à l'hôtel était comme une fête. La direction avait même fait appel à une fanfare. Une organisation super nickel pour les accueillir. La ville avait mis le paquet pour la déco de l'avenue. On se serait cru au festival de Cannes ou un truc de ce genre. Un peu comme des fêtes de fin d'année en plein été.

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            L'arrivée de l'équipe de foot à l'hôtel était comme une fête. La direction avait même fait appel à une fanfare. Une organisation super nickel pour les accueillir. La ville avait mis le paquet pour la déco de l'avenue. On se serait cru au festival de Cannes ou un truc de ce genre. Un peu comme des fêtes de fin d'année en plein été. Même si les abords de l'établissement étaient surveillés jour et nuit. Fallait un badge spécial pour venir bosser. Des paparazzis jouaient au chat et à la souris avec les flics. Ainsi que des supporter cherchant à apercevoir leurs idoles. La majorité du personnel était heureux de les recevoir. Tous prêts à se plier en quatre pour que leur séjour se passe le mieux possible. Moi aussi très motivée. Avant que tout bascule.

Un matin, l'un des joueurs me plaqua contre un mur. Il gueula: « Super tacle par derrière ! ». J'avais la poitrine comprimée contre le mur. Le souffle coupée. Derrière moi, les éclats de rires de collègues à lui. J'essayais de me dégager. En vain. « Bouge pas! Je fais un p'tit selfie.». Il éclata de rire, fit la photo et me lâcha. J'étais folle de colère. Ils mataient le selfie en se marrant. Je filais aussitôt dans le bureau de notre chef d'équipe. «T'es pas la seule. Pas grave du tout. C'est des jeux de gosses. Tu vas pas me faire un caca nerveux pour si peu.». Je l'ai fusillée du regard. Pas elle qui avait été humiliée. « Faut en parler au DRH ou à quelqu'un de tout en haut.». Elle avait souri. «Laisse tomber. Si tu en parles, c'est toi qui sera vidée.». Je lui montrais l'écran sur son bureau. « Ce qu'il m'a fait a été filmé.». Elle poussa un soupir. «Ma p'tite, tu fais pas le poids sur le plan juridique. En tant que femme, je sais bien que c'est… Pense à ta gosse. T'es toute seule avec elle.». Que faire? M'écraser et garder mon job? L'ouvrir et prendre la porte ? A moi de décider.

Accepter leurs mains baladeuses. Serrer les mâchoires et rien dire. Continuer le service comme si de rien était. Ces harceleurs étaient une minorité, quelques-uns parmi tous les joueurs et le staff technique. Mais les autres se marraient ou, gênés, détournaient la tête. Seuls deux d'entre eux gueulèrent et prirent la défense des employées. «On peut plus rigoler maintenant ou quoi. Tu vois bien que ça les fait marrer. ». En effet, ce fumier avait raison. Plusieurs de mes collègues se prêtaient à ce jeu qui me foutait en rage, à l'intérieur. Subir en silence pouvait être compréhensible. Mais quand même pas de rire avec ces gros porcs hyper-protégés par leurs thunes. Pourquoi en riaient-elles avec eux? Par peur elles- aussi de se faire vider ? Pour éviter de se prendre la tête? Espoir d'avoir une petite aventure avec l'un de ces milliardaires ? D'autres raisons ? J'ai essayé de savoir. Elles se contentaient d'en rire ou de répondre à côté. J'ai pas insisté. Qui étais-je pour les juger et donner des leçons? Chacune fait comme elle peut dans ce genre de situation.

Vanessa, une nouvelle arrivée dans l'hôtel, réagit différemment. « Touche à ton cul, pas au mien. Je le donne à qui je veux. ». Elle se planta devant le joueur qui venait de lui coller une main au cul. Un silence pesant dans la salle de restauration. Tous les yeux posés sur eux-deux. «Tu te prends pour qui, toi. T'es qu'une serveuse de rien du tout. Tu sais qui je suis, moi.». Vanessa se démonta pas. Elle lui jeta un regard méprisant. Immobile, son plateau à la main. Vexé, il finir par aller se rasseoir. La queue entre les jambes, fou de rage. Et elle, triomphante, reprit son service. Sûrement pas la seule à avoir eu envie de l'applaudir. Des regards de respect sur Vanessa aussi du côté de l'équipe. Grâce à son coup de gueule, les mains baladeuses et les remarques s'étaient arrêtées. Pas les regards. Impossible d'empêcher un regard, même le plus sale. Ils avaient compris la leçon. Sûrement que leurs coachs les avaient briefés et poussés à se calmer. Les obligeant à tenir leur putain de testostérone en laisse. En tout cas, on pouvait rebosser peinardes. Mais Vanessa fut vidée.

Ce boulot était très important pour elle. Condamnée pour violence, elle avait purgé deux ans de taule. Sa bonne conduite lui avait valu une remise de peine. Notamment parce qu'elle avait pu réussir à trouver ce job à l'hôtel. Boulot qu'elle faisait très bien. Ni nous, ses collègues, ni les boss, avaient à se plaindre d'elle. On avait sympathisé toutes les deux. Parfois on se voyait après le boulot. «Tu peux pas savoir ce que c'est d'être clean. De plus toucher à toutes ces merdes.». Sa grande fierté: avoir arrêté la came et l'alcool. Son visage, aux traits durs, gardaient des traces de sa «vie d'avant». Malgré ça, elle était toujours souriante. Un sourire bouclier.

Un jour, on fumait une clope ensemble dans la cour des livraisons. «Moi, je vais bosser quelques années comme une barge. Et je vais m'acheter un bateau. Faire le tour du monde et choisir où je finirai mes jours. Pas rester là, plantée ou j'ai pas demande de naître et vivre.» Rarement rencontrée quelqu'un d'aussi déterminée. Comme si rien pouvait l'arrêter. Elle en voulait. En sortant du bureau du personnel de l'hôtel, elle poussa la porte d'un bar. Pour noyer son vidage dans l'alcool. Ivre morte, elle cogna une passante. Une agression qui la ramena illico en cage.

Aurait-elle replongé sans ce vidage? Peut-être. On la sentait fragile, toujours au bord de l' implosion. Indéniable que son pétage de plombs était lié directement à cette main au cul. Sanctionnée parce qu'elle avait ouvert sa gueule. Pas comme la majorité d'entre nous qui avions opté pour la fermer. Baisser les yeux, accepter d'être des jouets entre les mains de ces gosses habitués à tout posséder. On était comme les bagnoles de luxe et les fringues qu'ils achetaient. Sur le même plan qu'un bout de tissu ou de carrosserie. Un produit à jeter après consommation.

Vanessa était repassée du côté de l'ombre. Pas comme comme son harceleur, en plus délateur, toujours en pleine lumière. Lui et ses collègues ont tous les honneurs de la presse. Le reste du monde semble plus intéresser personne. 200 morts dans un attenta en Irak moins important que le poids ou le sommeil d'un joueur de foot? Chaque matin, quand je le croise, j'ai envie de lui cracher dessus. Griffer jusqu'au sang sa gueule de mec qui se croit intelligent, au-dessus de tous les autres. Ce connard qui a fait vider Vanessa. Y me donne envie de gerber. Demain, peut-être que tout un pays l'applaudira. Qu'il sera accueilli partout avec des cris de joie, des grappes de mains tendues pour obtenir un grigri de la star. Son épouse et ses gosses super fiers aussi de lui. Célébré comme un Dieu. Loin d'une femme retournée en taule. A cause de ce héros de la nation.

Hors de question de pas réagir. Faut qu'il paye sa saloperie. Passer par la justice est impossible pour moi. Trop long et trop cher. Comment faire payer ce connard ? Pas le seul que j'avais envie de dégommer. Aussi tous ces complices de l'équipe, les rieurs et les détourneurs de tête. Sans oublier mes collègues prêtes à tout pour bien se faire voir de ces milliardaires, les patrons de l'hôtel qui ont préféré vider Vanessa, les deux journalistes présents tous les matins qui l'ont fermé… Moi aussi, je suis d'une certaine manière complice. Mon silence est une de leurs armes. Complice passive du vidage de Vanessa. C'est la seule a avoir eu de la classe dans cet hôtel. Une classe de résistante.

Au début, Philippe, l'un de mes ex, a pas voulu. «Fais pas un truc comme ça  !». Lui est médecin. Quelle idiote de lui avoir dit directement ce que je voulais faire. J'aurais dû inventer un baratin. C'était sûr qu'il aurait refusé. « Je comprends que tu sois en colère et que tu veuilles leur donner une leçon. Mais faut pas que tu ailles aussi loin. Que tu prennenes tant de risques pour ces abrutis. Laisse tomber. ». Il avait raison. Une idée complètement folle. En plus, elle pouvait me foutre dans une très grosse merde. Mais c'était plus fort que moi. Je voulais effacer son putain de sourire, le voir plus bas que terre… Personne d'autre que mon ex pouvait m'aider à réaliser ma p'tite vengeance. Je décidais alors de lui raconter l'histoire de Vanessa. Ma dernière cartouche. J'ai senti qu'il avait les boules. C'est un type bourré de défauts, jamais vu un mec aussi radin et avec aucun humour. Mais toujours en guerre contre les injustices.

Philippe finit par accepter. « Normalement, ils ne pourront pas remonter jusqu'à nous. Un produit quasiment indétectable dans le sang. N'importe qui pourrait l'avoir mis dans un des repas de la journée, dans leur eau. Tu mets une pincée de ce médicament dans le café ou jus d'orange. La fatigue viendra peu à peu. Je peux te dire que le soir, au moment du match, y aura plus de jambes. N'en mets pas à toute l' équipe, sinon cette fatigue collective peut donner la puce à l'oreille.». Il bredouilla une phrase incompréhensible et me dévisagea. Visiblement très inquiet. Je sentis qu'il regrettait de m'avoir filé un coup de mains. Complice de mon acte. «T'inquiète pas. Je ferai gaffe.». Il secoua la tête. Pas rassuré du tout. Il revint à l'attaque pour me dissuader. 

Ce matin, je suis arrivée  la première à l'hôtel. Pour être sûre de pouvoir choisir le rang dont j'allais m'occuper. Peu à peu, les joueurs et l'équipe descendent dans la salle du petit déjeuner. Tous ont l'air soucieux. Surtout les coachs. Pas les rires à rallonges et les vannes habituelles du matin. Ils parlaient à voix basse. Tous concentrés sur le match du soir. En plus de celui qui avait fait vider Vanessa, j'ai bien repéré les plus harceleurs. Sans oublier le joueur qui m'avait plaqué contre le mur. Une bonne dose à chacun dans leur thé ou café. «Ils seront très ralentis sur le terrain. Plus de tonus musculaire. C'est plié pour eux.». D'après Philippe, l'équipe pouvait que perdre. Moi, je sais pas quoi en penser. J'y connais rien en foot, ni en médoc. S'il gagne, ce sera en tout cas pas grâce au videur de Vanessa et à mon tacleur. Eux ont eu le droit aux deux plus grosses doses. Bien calmés. Sûre que ça les empêchera pas de continuer de réfléchir avec leurs cerveaux entre les cuisses. Mais y vont se traîner comme des papys sur le terrain. Plus se croire les rois du monde.

En fin de matinée, un car est venu les chercher. Leurs derniers repas prévus sur un autre lieu. Avec deux de mes collègues, nous sommes allées sur le balcon d'une suite vide. Histoire d'avoir une vue plongeante sur leur départ. Pas le droit normalement mais on s'en alluma une. Des supporter et des paparazzis déboulèrent en force. Une vraie émeute devant l'hôtel. Les flics paraissaient débordés. Ça courait dans tous les sens. Y a même des mecs embarqués. Le car des joueurs a réussi bouger et s'éloigner. Le palace va reprendre ses habitudes. Vivre au rythme du silence des riches très discrets des habitués de l'établissement. Les saloperies de quelques-uns de ces clients très fortunés sont moins bruyantes que celles de certains pauvres. Notamment d'une partie de ceux devenus riches en accéléré; à coups de crampons, de télé-réalité, ou d'autres enrichissements express. Je détache les yeux du car pour les poser sur les hauteurs de la ville. Le quartier de la prison de Vanessa.

Fière de mon tacle contre une injustice.

NB) Une fiction inspirée de cet article. Le témoignage d'une journaliste sur le harcèlement dans le milieu du foot. Pour une femme qui parle, combien se taise ? Notamment parmi celles du «p'tit personnel», sans accès aux médias, ni bardées d'avocats. Cela dit, ce texte aurait pu se dérouler dans n'importe quel autre milieu. Pas uniquement certains footeux amateurs de mains baladeuses sur les femmes. A l'Assemblée nationale et ailleurs, d'autres hommes ont ce genre de pratiques. Des pratiques à condamner et punir. Pour autant, les hommes, sportifs milliardaires ou pékin moyen, ne sont pas «tous pourris».

 Jeudi à Marseille, pas de la fiction. Un match contre une équipe allemande toujours très réaliste. Affaire à suivre….

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