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Billet de blog 5 décembre 2024

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La graphomane

En colère tendance graphomane.Comme ça que que se présentait sa mère. Vous trois, vous pouvez lire tout ce que j’écris. Mais personne d’autre. Sa mère ne dérogea pas à son entêtement. Jamais ces cahiers ne sont sortis du domicile. Sauf un. Celui que son mari a glissé dans le cercueil. Un cahier à petits carreaux comme elle les aimait. Il lui a ajouté les quatre couleurs de son dernier stylo.

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          Solitude 1

      Ne pas se fier aux apparences.  Ce n'est pas une femme résignée. Sa colère juste moins visible. N'affichant pas non plus un masque sombre. Au contraire. Comme sa mère, elle a décidé d’être belle et joyeuse. Dedans et dehors. D’abord pour elle. Refusant de s’enlaidir par ce qu’elle est une petite main du pays et du monde. Rien dans une gare et ailleurs. Ne traversant pas la rue, mais faisant plusieurs dizaines de bornes pour aller travailler. Avant de rentrer courir chercher sa petite dernière à la crèche. Sauf les jours où elle est de nuit. Ce sont ses deux aînés (un garçon de 15 ans et une fille venant de souffler ses treize bougies) qui vont chercher leur petite sœur, lui donne à manger, la couche, et l’emmène le matin à la crèche. Pas la seule dans son cas.

        Plusieurs de ses collègues rament au quotidien. Embarquées dans leur course du réveil au coucher. Avec peu de répit. Certaines disent qu'elles se sentent débordées. Leur désarroi visible sur le visage tendu. Tandis que d’autres le camouflent. Comme elle. Ne montrant jamais qu’elle se trouve au bord de la noyade. Arborant le masque du tout va bien. Avec toujours un grand sourire. En toute occasion. Sourire décuplé face à ses enfants. Son large sourire est un combat. Pour elle et ses proches. Refusant de promener un visage de perdante. Même si au fond, elle pense qu’elle l’ est. Fondue dans la masse des millions des écrasés ici. Et des milliards d’autres sur la planète.

        Ma fille, le mépris ce ne sont que les méprisés qui le sentent. Personne d'autre.  Les mépriseurs ne peuvent le sentir. Nous, c’est de famille. On pourrait être des docteurs es mépris. Je le sens tout de suite dans un regard, un mot, un silence, un haussement d’épaules… Double peine quand le mépris est jumelé avec la condescendance de celles et ceux qui te tendent la main. Peut-être pour t’aider à te relever. Mais surtout pour ne pas tomber. Et avoir bonne conscience. Avant de reprendre leur place dans le système qui t’a fait tomber. Et les nourrit.

          Préserve tes oreilles. Elles méritent mieux que leurs baratins.Ne crois, ni les uns, ni les autres. Et non plus, ceux qui voudront te protéger de tes mépriseurs, et en sont les clones. On a tous besoin de croire. Ne serait-ce que pour espérer. Mais jamais croire aveuglément. Toujours rester critique. Dans tous les cas, ne vote jamais pour ceux qui veulent te rendre haineuse. Même si tu es bouffée par la colère. Et que tu as raison de l’être. Mais abstiens-toi, plutôt que tomber dans le vote de la haine. Jamais ça. Notre colère mérite mieux que la haine. Je dis ça, mais parfois… Au moins deux fois. J’ai choisi la haine. Et je n'en suis pas fière.  Une troisième fois ? Je ne pense pas. Mais diffcile de l'affirmer. Quand la colère est plus forte que le reste...

      Dans tous les cas, tu n’as qu’une solution ma fille. Pas d'autres moyens pour te sauver. Et protéger ton histoire de femme. Il faut t’aimer plus que le monde ne t’aime. Chaque matin, te redonner ta p’tite dose d’amour. Son p’tit coup de brosse à se séduire sous la peau. Et aimer qui tu as envie d’aimer. Toujours belle dedans et digne. Tu ne seras jamais la meilleure. Mais peu importe. Le but est d’être ta meilleure. Pas celle des autres. Ta seule solution, c’est de revenir toujours à toi. En toutes circonstances. Être ton histoire.

         Votre mère est une écrivain, une vraie, répétait le beau-père. Très admiratif de sa facilité d’écriture. Contrairement à lui suant dès qu’il s’agissait d’aligner des mots sur du papier ou un clavier. Il ne cessait de la pousser à ce qu’elle envoie ces textes chez des éditeurs. Ce n’est pas à mon âge qu’on se met à ce genre de truc. Et puis je ne crois pas que ça intéresserait qui que ce soit. Les histoires de femme comme moi, tout le monde s’en fout. Sauf si ça fait pleurer dans les chaumières. Et je ne suis pas du genre à jouer la pleureuse. Ni une caution pour qu’au final rien ne change. Hors de question de faire lire ce que j’écris. À part sous notre toit. Vous trois, vous pouvez lire tout ce que j’écris. Mais personne d’autre. Sa mère ne dérogea pas à son entêtement. Jamais ces cahiers ne sont sortis du domicile. Sauf un. Celui que son mari a glissé dans le cercueil. Un cahier à petits carreaux comme elle les aimait. Il lui a ajouté les quatre couleurs de son dernier stylo. 

          Bien sûr, naître dans ce quartier, ne m’a pas aidé. Mais certains et certaines ont réussi à s’approcher au moins un minimum de leurs rêves. Autrement dit, il y a une part de moi qui n’a pas voulu briser le mur invisible et aller voir de l’autre côté. Pourquoi ? Par trouille ? Lâcheté ? Loyauté envers mes origines écrasées ? Sans doute plusieurs raisons à mon immobilisme. Pas que la faute des autres et de la société. Même si elle y est pour quelque chose. Pas moi qui ai inventé le monde où je suis née. Et où je vais finir mon voyage. 

       Perdre n’est pas le plus dur pour moi. Le cuir est tanné. Les promesses passent, nous, on reste. Rien que du banal ordinaire par chez nous. Mais perdre ne me pose plus de problème. C’est dommage à dire, mais je vis avec. Prête à tout accepter. Sauf une chose.   Je ne supporterai que toi et ton frère, vous lisiez la perte dans mon regard. Maman est une perdante gravée entre ses paupières. Ça, jamais de la vie. Belle et puissante dans mes yeux. C’est ça que je veux que vous lisiez entre mes paupières. Pour que vous puissiez vous en nourrir. Et ne jamais accepter de perdre. Faire valoir votre histoire. Ne jamais vous laisser brader. Toujours privilégier la beauté et poésie en vous. Elles existent. Comme dans le monde. Conjuguer au présent l'intime et l'universel. Pas facile mais vital.

            Je suis en colère tendance graphomane, disait sa mère avec un petit sourire en coin. Que de cahiers remplis. De la petite anecdote à des réflexions sur la vie, la mort, le monde. Quelques poèmes. Un grand besoin de ce miroir d’encre, disait-elle à ses deux enfants. Votre mère est folle, répétait leur père. Avant de la plaquer. Sans jamais régler une pension alimentaire. Entre temps, un homme a posé ses bagages sous leur toit. Votre mère n’est pas folle, c’est le monde qui est fou. Un homme simple, aimant, et qui les a élevés. Présent même après le suicide de leur mère. Un homme jamais absent d’un Noël. Malgré son refus d’être appelé Papa, il y a eu droit. Et désormais nommé Pépé. Deux mâles, deux histoires. Une ordure. Et un mâle bien. Le beau-père n’aimait pas quand leur mère dénigrait leur père biologique devant nous. Bien qu’l pensait la même chose. Sans jamais le dire. Même en l’ayant jeté de chez eux manu militari. Depuis, jamais plus il n’est revenu. À la grande satisfaction de son ex. Et de ses enfants.

            Aujourd’hui, elle a repris le flambeau de perdante. Celui que sa mère ne voulait surtout pas lui transmettre. La déshériter d’un patrimoine écrasant depuis des générations. Sa mère était femme de ménage dans un Ehpad. Et elle aide soignante dans un hôpital. Divorcée de son mari. Un homme qui joue dans la catégorie mâle bien. Mais, bouffé par un crabe violent, il ne peut assurer que sa survie. Malgré la souffrance, les difficultés financières, il fait tout pour conserver le lien avec ses trois enfants. Elle a beaucoup d’admiration pour son ex. Même s’ il était invivable au quotidien. Entre deux images d’hommes de ton enfance, tu as choisi celle de ton beau-père. Et tu as eu raison. C'est vraiment un mec bien. Pas un lâche comme nombre de mecs. J'en sais quelque chose. Mais on a pas besoin d'eux. Les propos de sa plus vieille copine. Elles se sont connues au collège. Une femme aux antipodes d’elle. Une gagnante. Mais sans le sourire.

          Relativiser. C’est l’héritage de son beau-père. Il lui a toujours appris à relativiser. Au grand dam de sa mère qui disait que c’était le début de la soumission. Pourtant, ça a été son quotidien. Mais pas dans sa parole, orale ou écrite. Ne relativise pas ma fille, c’est comme ça qu’ils te tiendront et t’écraserons. Bien sûr, il y a pire que toi. Au coin de la rue ou à l’autre bout du monde. Mais pas une raison pour accepter l’inacceptable ici pour toi. Son beau-père haussait les épaules et levait les yeux au plafond. Relativiser, c’est ce que tu fais tout le temps, ma chérie. Sinon tu ne nous offrirais pas tous les jours ce si beau sourire. Et ton beau rouge à rêves, comme disait ton fils quand il était tout petit. Tu es la reine de la relativisation. En colère. Mais jamais à te plaindre de ton sort. On t’aime pour ça. Et pour beaucoup d’autres choses. Arrête de faire la gueule. Puis il la prenait dans ses bras. La berçant comme une petite fille. Le seul à réussir à apaiser le volcan en elle. Contenir la lave d’une femme en colère. Et très lucide.

                Elle se redresse dans le lit. Et dresse l'oreille. Pour écouter la femme présentatrice de la première tranche d'infos de la journée. Elle aime bien sa voix. Ainsi que sa manière d'informer et de faire circuler la parole - sans abuser de sa position centrale. Sans doute une des dernières voix de journalistes à qui elle prête encore une oreille attentive. Et  sans à priori. Parfois, elle a l’espoir fugitif d’avoir à nouveau confiance aux médias et retrouver le goût de l’info au quotidien. Elle ne croit plus au Père Noël depuis l’âge de sept ans. Dé-croire du reste lui a mis plus de temps. Mais elle y est parvenue. Capable de ne plus croire aux promesses de saisons électorales. Et de prendre du recul par rapport à ses ondes habituelles. Citoyenne méfiante. Toutefois, perdure une illusion. Irréductible.

               Espérer à nouveau en l’espoir.

          NB : Une fiction inspirée de plusieurs conversations. La colère revient souvent. Et dans des milieux très différents. Vers quoi-qui débouchera cette colère légitime?

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