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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 6 mars 2025

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Finir par débuter

Pieds nus mais dans mes petits souliers. « C’est vraiment dur d’écrire. Moi, j’en chie tout le temps. Ça vient jamais facilement. Chaque fois, je pense ne pas y arriver. Trouvant ce que j’écris très mauvais. J’en balance des phrases à la poubelle. ». J’étais stupéfié par sa sincérité. Et l’humilité de cet homme.Sans dégainer sa bio à rallonges. Ni donner de leçon d’écriture. Élégance humaine.

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Illustration 1
© Pascal Garnier, photo: Marianne A

« Je n'écris pas pour être approuvé. L'écriture est pour moi plus grave qu'un désir, c'est un besoin. J'écrirais même dans une île déserte. »

Jacques Laurent

_ Avec une quarantaine de livres, vous avez acquis un savoir-faire ?
_ Je n'espère pas. Plus j'écris, moins je suis satisfait, plus j'ai peur, rien n’est acquis. (....)

Entretien avec Pascal Garnier, dans Encres Vagabondes

            Pieds nus mais dans mes petits souliers. Ce fut ma réaction en retour à son « Bonjour Monsieur, je suis... ». Pourquoi avoir répondu ça ? Je me sentais nul. Avec dans le silence, la trace de mes gros souliers plombant l’instant. Comment rattraper le coup ? Mon interlocuteur ne m’en laissa pas le temps. Il commença à m’expliquer le but de son appel. D'une voie très enjouée. D’emblée, j’ai su que ce n’était pas une blague. Sa voix fort reconnaissable. Et surtout son rire. Résonnant dans mon oreille. Et sous mon toit.

       À maintes reprises, un copain m’avait tanné. « Tu n’as pas arrêté de me parler de cet auteur. Il est important pour toi. On voit dans ton boulot des petites références à son style. Même si ce n’est pas ce que je préfère. Quoi que j’en pense, indéniable que cet auteur a un univers unique. Mais pas là pour faire un débat littéraire. Envoie-lui ton roman. Je te donne son adresse. ». Chaque fois, je bottais en touche. Mais le copain ne me lâchait pas. Un jour, j’ai fini par me rendre à la poste. Mon seul et unique envoi postal pour la Suisse.

        Incroyable. Aussi intimidé que moi. Si ce n’est plus. Très vite, le travail de l’écriture s’est glissé dans la conversation. Comme un dialogue entre deux collègues. « C’est vraiment dur d’écrire. Moi, j’en chie tout le temps. Ça vient jamais facilement. Chaque fois, je pense ne pas y arriver. Trouvant ce que j’écris très mauvais. J’en balance des phrases à la poubelle. Pour moi, écrire ce n'est pas simple du tout. ». Une conversation retranscrite de mémoire et sans doute en partie fictionnée. Néanmoins, le « j’en chie tout le temps » est resté inscrit. J’étais stupéfié par sa sincérité. Et la très grande humilité - presque inquiétante - de cet homme. Très connu dans le monde littéraire et au-delà. Jamais je me serai attendu à un coup de fil de sa part. Un auteur à 250 millions de livres vendus dans le monde.

        Sans que le poids de sa notoriété ne pèse dans notre échange. Aucun étalage de son CV. Ce qui me troubla était son manque d’assurance. Toujours à rappeler que ce n’était que son avis et qu’il pouvait se tromper. Pas la moindre vérité assénée. Et un grand talent d’écoute. Ça va le remplissage de frigo ? M’interrogeant sur mon existence et mon travail. Visiblement conscient des difficultés économiques de la majorité des auteurs. Après son appel, je m’étais rendu compte qu’il avait très peu parlé de lui. Si ce n’était de ses difficultés à écrire. Jamais il n’ a essayé d’écraser de son succès le jeune auteur que j’étais. Au contraire. Il me parlait d’égal à égal. Sans dégainer sa bio à rallonges. Ni donner de leçon d’écriture.

       Un silence au bout du fil. Puis un soupir.  « Comment vous dire ? Ce n’est pas parce qu’on en chie qu’il faut arrêter. Important aussi de voir les bons moments. Après tout, personne ne nous oblige à écrire. C’est qu’on y trouve son compte. Bosser durement ne veut pas dire ne pas avoir ressenti de joie. Déjà se réjouir d’être publié. Beaucoup ne le sont pas. Et sûrement quelques bons, meilleurs que des auteurs publiés. On a de la chance que notre boulot soit passée sous une couverture et lu. Pour vous, c’est très bien dans la Série noire. Y a du beau monde sous cette couverture. Bon, je ne vais pas vous déranger plus.  Et finir de siroter votre Série noire dans mon fauteuil.  Juste finir en vous disant de continuez d’écrire. Et comme on dit en France, je vous en sers cinq. ». Envie de dire quelque chose en conclusion. Sans balancer une formule aussi nulle qu’en ouverture de conversation téléphonique. Rien ne sort. Si ce n’est « Merci de votre appel. Bonne journée. » Sans doute le plus simple et essentiel. Raccord avec le profil de mon interlocuteur. D'une grande simplicité.

         Qui était ce homme-auteur ? Un romancier que j'ai beaucoup lu dans ma jeunesse. Avec parfois des pointes de honte. Surtout à mon arrivée au lycée, dans une classe littéraire. Avec quelques hellénistes et latinistes. Certaines élèves ( le seul garçon dans la classe) de seconde visant déjà l'hypokhâgne ; la première fois que j’entendais ce mot. Ne me dis pas que tu aimes ce genre de livre. C'est du... du roman de gare. En plus écrit d'une façon très vulgaire.  C'est pas  de la littérature. La réponse d’une élève de ma classe à qui j’avais parlé de l’auteur « qui en chie ». Jamais plus, je l’ai évoqué. Comme de mon inclination pour la musique d’Eddy Mitchell. Apprécier  le foot à cette époque-là ( Les Verts, de St Étienne)  était aussi souvent mal vu dans les milieux dits intello; trente années avant l'engouement  de la coupe du monde de 1998. Certains élèves et profs étaient intéressants et vivants. On prenait du plaisir à les écouter et parler avec eux. Contrairement aux momies érudites et souvent méprisantes. Sans doute en partie pour cette raison que j’ai délaissé les salles d’étude pour les pelouses, les rues et les bars. Changer de rive. Sans passer le Bac.

       Pour intégrer une université populaire. Sans amphi, mais avec des comptoirs. Et toutes sortes d'enseignants. Je me sentais nettement plus à l’aise dans ces lieux où la parole me semblait plus libre. Nulle obligation de faire assaut de références culturelles et comparer la taille de sa lecture en cours. Un leurre, car aucun espace n’échappe à une forme de codification des rapports. Chaque milieu a ses us et coutumes, ses mesquineries, ses trahisons, etc. En tout cas au bistrot, j’ai pu partager ma passion de lecteur pour cet auteur. Un romancier populaire souvent taxé de vulgaire.  Indéniable que sa langue pouvait choquer. Comme pour la fille du lycée. Compréhensible que cette langue puisse être très rugueuse à certaines oreilles. Un parlé populaire. Toutefois, une langue pas plus ni moins respectable que les autres. Et digne aussi d'avoir sa place dans la littérature. Rabelais, Albert Simonin, Céline,  Bukowski, Bernard-Marie Koltés, Virginie Despentes ... Des auteurs et des autrices utilisent plus ou moins la langue populaire. Fort heureusement, il n'y a pas une «  langue officielle de la littérature » incontournable. Dans quel catégorie pouvoir le classer ? La sienne. Un romancier qu’on qualifierait aujourd’hui de Vieux monde ?

        Désormais plus ma tasse de littérature. Longtemps que je ne me suis pas plongé dans un de ses livres. Cependant nullement l’intention de renier ce qu’il m’a apporté. Ses personnages, certes bourrés de clichés ( comme dans d’autres formes de littérature), étaient porteurs d’une certaine tendresse. Malgré leurs blessures et petites et grandes saloperies, des bourrus empathiques à la souffrance de l'autre. Sans doute, une part de l’auteur qui débordait d’humanité. Dans ses mots, sa voix, son rire. Et surtout un regard de vieux gosse planquant ses larmes derrière un voile d’humour. J’ai photographié un tas de stars sur la planète. La séance finie, merci et ciao. Je retournais à l’hôtel ou à l’aéroport. Un seul de ses people dont je faisais le portrait m’a invité à manger. Vous n'allez quand même pas repartir comme ça le ventre vide. Il m’a concocté un repas dans sa cuisine.  Nous avons passé un moment vraiment délicieux.   Une conversation entre rire et gravité. Un homme sachant accueillir. Et d’une grande chaleur. ». Les propos d’une photographe à qui je racontais son coup de fil. Sans doute aussi un  homme doué d’imperfections. Comme tout être vivant.

          Aujourd’hui, l’homme qui en chiait revient me secouer. Guère un hasard. En général, notre conversation remonte à la surface dans des périodes où j’en chie. Comme en ce moment. Certes pas le seul en difficulté. Les temps sont durs pour la plupart des auteurs et des autrices non-bancables - surtout sans « métier de secours ». Pareille situation pour d’autres artistes. En réalité aussi le cas de la majorité de la population – sacrifiée sur l’autel des dieux Fric et Algorithme. Sans doute, sommes-nous les moins à plaindre ; chaque jour dans le chantier de notre passion. Bien que ce soit souvent en équilibre précaire. Certes, une précarité choisie. Mais parfois plus pesante. Notamment en cette période d’ouverture de la « chasse à la culture ». Si tout va mal dans le pays et le monde, c’est évidemment à cause de peintres, de poètes, de poétesses, de comédiens, de comédiennes, de chanteurs, de chanteuses… Surtout le petit gibier accusé de tous les maux. Et beaucoup plus facilement dégommables. Contrairement au gros gibier pour l’instant encore catalogué comme espèce protégée. Sortons du bois pour rejoindre l’auteur à succès qui doutait ; son fantôme vient me pousser à ne pas lâcher l’affaire. Persister malgré notamment les difficultés d’ordre matérielles.

        Même avec quelques concessions au principe de réalité. Comme de me recentrer. Et donc de bientôt m’éloigner de ce blog - non-rémunérateur (la règle du jeu accepté dès le début) et chronophage. Un éloignement nécessaire pour concentrer mon énergie - de moins en moins inépuisable - sur la littérature. Revenir à une écriture beaucoup plus ou long cours. Celle entre autres du roman. Sans pour autant négliger les nouvelles, la  poésie, et les fragments. Plus d’autres formes littéraires pas encore explorées ... Ce blog ne va pas fermer. Profitant de ce billet pour dire que je me sens nanti de bénéficier de cette « fenêtre d’écriture » ouverte sur le monde. Avec la joie de rencontres virtuelles de toute sorte. Même si à trop écrire, la qualité n’est sûrement pas toujours au rendez-vous. Mais aux lecteurs et lectrices du blog d’en juger... Cette fenêtre va donc être de moins en moins «habitée». Pour cause d’autres écritures.

        Grand plaisir d’écrire un billet sur un bel échange téléphonique. Certes pas la première fois que je l’évoque. Ce coup de fil remonte à une trentaine d’années. Quelques minutes avec l’homme qui en chiait. Ses mots m’accompagnent encore. Rien de plus fort que des encouragements d’un auteur avec un immense succès dévoilant sa fragilité. Capable d’évoquer sa difficulté face à la page ou au clavier. Dans le même bain de doute que nombre d’auteurs et d’autrices dans l’ombre. Chaque fois recommencer. Et finir toujours par débuter. De temps à autre, les mots de son humilité joviale reviennent me visiter. Que dire à ce fantôme bienveillant ? Le frigo est rempli. Et le clavier toujours au bout des doigts. On en chie mais le chantier continue. Contre vent et monnaie(plus rare). Et avec la joie de finir et débuter.

       Merci encore Frédéric Dard.

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