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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 6 mai 2015

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Mon histoire d'amour avec un non-charlie

Depuis ma rencontre avec lui, je me levais de bonne humeur pour aller au collège. Mes parents étaient très étonnés.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis ma rencontre avec lui, je me levais de bonne humeur pour aller au collège. Mes parents étaient très étonnés. Le matin, j'étais plutôt du genre pitbull devant son bol de céréales. Fallait surtout pas me parler sinon je mordais. Ceux qui me connaissaient le savaient et me parlaient pas au petit déje Tout avait changé avec lui. « Je crois qu’elle est amoureuse. C’est super pour elle ! ». Ma mère parlait à voix très basse au téléphone mais j’ai tout entendu. Amoureuse? Non. Beaucoup plus que ça.

 Moi j’étais en cinquième, lui en troisième. De l'autre côté de la frontière. Deux mondes trop loin pour se rapprocher. Avec les copines, on arrêtait pas de parler de lui. Certaines avaient décrété qu'il était le plus canon du collège. Mais pas pour nous. J'avais presque 13 ans. Et lui 15 ans. Sans doute un redoublant. On savait tout sur lui. Pourtant il était pas pas pour nous.C’était pour les filles  plus vieilles que nous. Obligées de se rabattre sur ceux de notre âge. On les trouvait pas top. Encotre trop gamins.

Il prenait tous les jours le même bus que moi. Je faisais que le regarder. Vraiment super beau ! Un jour, il était assis sur le banc de l’arrêt du bus. Pour une fois, sans ses copains. Je sais pas ce qui m'a pris mais j’ai couru  comme une folle. Le coeur qui battait très fort, heureuse et inquiète en même temps. Je m'étais plantée devant lui. Il avait même pas levé la tête. J’avais bredouillé une phrase pour faire genre celle sûre d'elle. En sortant de ma bouche, ma phrase était comme une bouillie. Impossible à comprendre. Il avait continué à envoyer des textos. Je m'étais assise à côté de lui. Il m’avait regardée. J’avais baissé les yeux. Morte de honte, je matai mes chaussures. Il m’avait demandé si j’avais un ticket de bus. Je lui avais donné le mien. Et j'étais montée sans payer.

 Le lendemain, c’ était lui qui est venu me voir. Pour me rendre mon ticket. Puis il m’avait tendu sa cigarette. Fais pas comme moi. Commence pas ma chérie. La voix de mon père faisait pas le poids. J’ai tiré une grande bouffée. Ma tête s'était mise à tourner, mon ventre au bord de l'implosion. Et j’avais  gerbé tout mon petit déje devant lui. Tous ses potes avaient éclaté de rire et se sont dirigés vers la grille. Lui aussi s’était marré en me voyant à quatre pattes sur l’herbe. Sauf qu’il était resté. Sa main s'était posée sur mon bras. Faut que t’ailles à l’infirmerie. Notre histoire venait de commencer. Grâce à un ticket un dégueulis.

Mes parents l’aimaient beaucoup. Il venait souvent à la maison. Je sentais bien que mon père aurait préféré un garçon de mon âge. Ma mère, ça la faisait marrer. Elle, aussi, était amoureuse d’un troisième.  Elle m’a quand même passé discrétos des bouquins sur les relations sexuelles. Et même mis des capotes dans l’armoire de la salle de bains. Au début, j’ai même cru que mon père la trompait. Je lui ai fait la gueule pendant une semaine avant de me rendre compte que c’était ma mère. Elle faisait ce que sa mère avait jamais fait avec elle. Ses parents parlaient jamais de ça. Ni de rien d'autre d'ailleurs. Elle avait appris toute seule à devenir une femme.

Alors que moi à la maison, fallait être aveugle pour croire que les bébés venaient du ciel. Quelquefois, j'avais un peu honte quand mes et copains et copines tombaient sur les BD de mes parents, ou la collection de Siné.  Quand ils venaient à la maison, j'essayais de les planquer. Mais je ne pouvais pas décoller les affiches de Siné. Mon père adorait ce caricaruturiste. .Il avait tous ses bouquins. Mon amoureux était pas très à l'aise non plus. Il regardait pas les affiches. Je le voyais baisser les yeux dans le couloir. Faut dire que certains dessins choquaient même des adultes. Pas moi. J'étais habituée.

 Ses capotes ont servi, mais pas à la maison. J'avais pas envie de le faire chez moi. Pas par peur de mes parents; ils rentraient pas dans ma chambre sans ma permission. Je sais pas pourquoi mais ça me gênait. Et on a fait ça ailleurs. Chez une copine dont les parents sont toujours sur les routes. Avec les capotes de mes parents. Pas aussi génial que tout ce qu’on raconte. Mais lui avait l’air très heureux. Sûr de lui. Maintenant, en y repensant, je pense que c’était aussi la première fois pour lui. Les autres fois c’était mieux. De mieux en mieux.  Jusqu’à les cons viennent s’en mêler. Et tout bousiller.

 Les premiers cons qui ont tué notre histoire c’étaient ses parents. Dpuis le début, ils ne voulaient pas qu’on se voit. Son père ça allait. Son frère et sa sœur aussi, même si c’était un peu des bourrins qui pensaient qu’aux jeux vidéo. Son frère était en fac, sa soeur travaillait  comme coiffeuse. Pas à cause d'eux. C'était sa mère qui décidait de tout chez eux. Elle était vraiment conne. Qu’elle crève ! Je la détesterai jusqu’à la fin de mes jours. Jamais une femme aussi ignoble.

 Un soir, elle était venue le chercher. Lui et moi comme d’habitude, on était allongés sur la pelouse derrière l’abribus. Elle était sortie comme une folle de sa bagnole. Tout les autres nous mataient.  Elle l’a engueulé et secoué. La honte pour nous deux. Surtout pour lui. Moi, j'étais morte de trouille. Son regard, je m'en souviendrai toute ma vie. Je croyais qu'elle allait me sauter dessus. Elle pointait son doigt sur moi sans rien dire. Puis elle l'a pris par le bras et l'a tiré vers sa bagnole. Il marchait, tête baissée. Quelques secondes qui avaient duré une éternité. Il m’avait  fait un clin d’œil derrière la vitre. Sans doute pour me rassurer.

 Sa mère voulait plus qu’on se voit. Il avait l’air en colère. Mais je sentais que sa mère c’était très important pour lui. Pour tout le monde, les parents c’est important. Même si on les tuerait bien de temps en temps pour se sentir peinards. Pas être arrivés au monde après eux et leurs putains de conseils. En tout cas, on a continué de se voir chez moi. On faisait juste gaffe à la sortie du collège. Elle arrêtait pas de venir le chercher. Mais on avait trouvé un coin où on pouvait la voir venir sans qu'elle nous voit. Je les voyais partir en bagnole. Cette femme a été la première personne que je voulais cogner. Je la hais encore.

Une fois, j’étais allée chez lui à l’improviste. Son père m’avait ouvert. Sans hésiter, il m’avait fait rentrer. Un petit homme très souriant. Il m’a demandé d’attendre dans le salon. Il était allé le chercher dans sa chambre. Mais j’ai vu revenir que sa mère. J'ai eu la trouille. Elle m’a pris le bras et foutu à la porte. J’avais chialé dans l’ascenseur. Il m’avait demandé de plus revenir chez lui. Pas si grave, on se voyait chez moi. Mes parents l’aimaient beaucoup. Ils voulaient l’emmener en vacances avec nous. Lui refusait toujours. Je savais bien qu’il inventait des trucs pour pas venir. Et jamais il avait dormi à la maison.

Pourquoi elle voulait plus que son fils sorte avec moi ? Impossible de le faire parler. Chaque fois, il passait à autre chose. Je le sentais  vraiment très mal à l’aise. Comme s'il sentait coupable. Je savais pas quoi faire. J'avais peur de mal faire. Mais je voulais comprendre. C’est une fille de sa classe, elle vivait dans son quartier,  qui m’avait tout expliqué. Elle était très copine avec sa sœur à lui. Un jour, elle était venue me voir et m’a tout balancé ce que disait la mère. J’avais tout  écouté mais je me méfiais d'elle. Je avais bien qu’elle aussi avait envie qu’on arrête tous les deux. Jalouse de la cinquième qui avait piqué le canon du collège. Avec cette histoire, j’ai fréquenté très tôt la connerie en accéléré. Pas que les adultes qui sont cons.

 C’est une p’tit pute. T’as vu comment elle s’habille. Ses jupes courtes, ses collants, ses talons… Et son maquillage. Vraiment vulgaire. Déjà  une p’tite pute à son âge. Elle couchera avec tous tes copains. Elle te foutra la honte. Tu mérites mieux mon fils. Si tu m’aimes, tu la vois plus.

 J’avais reçu tout ça en pleine tête. Elle était super heureuse de me voir effondrée. Sûr qu'elle en rajoutait pour m’enfoncer.  Une vraie salope. J’avais les larmes aux yeux. Elle me disait qu'il laisserait jamais tomber sa mère et sa famille pour moi. En plus, elle m’avait  dit que j’étais pas la seule avec qui il sortait. Là, j’ai vu tout de suite dans ses yeux qu’elle mentait. Et si elle mentait aussi pour l’histoire de la mère ? Peut-être que cette femme m'aimait pas mais qu'elle disait pas tout ça sur moi. Plus tard, quelqu’un d’autre de sa classe, pas une jalouse cette, m’avait dit la même chose. La sonnerie de la récré avait sonné. J'étais plus rien. Vidée. Elle avait souri  et vite rejoint les troisième de l’autre côté de la cour. Moi j’ai couru aux chiottes pour chialer.

 Fallait que je trouve très vite une solution. J’ai changé de vêtements. Chaque fois que sa mère venait le chercher, je faisais exprès de passer devant sa voiture pour qu’elle voit mon changement. Fallait que je l’apprivoise. Elle me regardait et secouait la tête. Jamais elle me disait bonjour. Dire que je faisais ça pour elle. Lui, je le savais, préférais comment j’étais habillée avant. Au collège, on était pas mal de filles habillées comme ça.  Comme dans les clips. Mon père aimait pas trop non plus mais me disait rien.  Ma mère regardait mes jambes en souriant: « Quand on est belle, pourquoi se cacher ? ». Elle aussi se cachait pas à mon âge. En tout cas quand je me suis rhabillée comme avant, j’ai senti qu’il était content. Et moi aussi. Pas changer de look pour une conne !

 Les cons étaient pas que dehors. D’un seul coup, mes parents sont devenus aussi très cons. Ca a commencé un peu après après la manif du 11 janvier. Surtout mon père qui allait très mal. On venait d'assassiner ses idoles d'enfance. Tu sais, il est… disons… pas tout à fait comme tout. Sa famille non plus. Faut se rendre à l’évidence ma chérie… Tu fais comme tu veux, c’est ton histoire. Mais quand même… C’est pour toi qu’on dit ça.  Quand il m'avait sorti ça, j'ai cru qu'il faisait de l'humour comme d'habitude. Mon père aimait bien faire l'humour, surtout très noir et aussi gras. Un clone de Siné à la maison. Parfois des gens se fâchaient avec lui à cause de ça. Ce jour là, il avait perdu le sens de l'humour.

Ils me parlaient comme si on était en guerre. Faut plus leur faire de cadeaux !  Il donnait pas le noms de nos ennemis. Mais je savais bien de qui elle parlait. Moi aussi, je les détestais les tueurs de Charlie. Mais pas comme lui. Il me faisait peur à s'énerver comme ça. Je l'avais jamais vu dans cet état. Ma mère essayait de le raisonner. Rien à faire. Puis elle a laissé tomber. Il s'est calmé et on est passé à autre chose. Puis ma mère a fini par penser et dire les même choses que lui. Fallait plus que je le fréquente. Il pouvait m'embrigader.  Pas eux qui pensait ça ? Si, eux aussi. J'étais moins triste que déçue. 

 Après sa mère à lui, certains copains et copines ne comprenant pas ce que je foutais avec ce troisième, pas comme mes meilleurs amis du collège, une enseignante qui m’avait dit me méfier, c’était au tour de mes parents. Eux aussi devenus cons. Faut dire que, avec l'horreur de ce mois de janvier, c'était pas facile de réfléchir calmement. Normal que mes parents soient très inquiets pour moi. Tout le monde était devenus comme dingues. Nos trouilles pensaient à notre place. On arrivait pas à parler d'autre choses. Mon père qui détestait la télé passait son temps devant à regarder les images en boucle. Il avait la haine. Moi, naïve, je croyais que l’intelligence serait quand même la plus forte. Et que la connerie serait battue.

 Mon père l'avait appelé pour lui dire qu’il préférait pas qu’il revienne. Bien sûr pas de la même manière que sa mère avec moi. Avec des mots choisis. Je viens d'un milieu où les gens savent choisir leurs mots. Mais ce jour là, j’avais juste envie de leur balancer à la gueule toute leur belle bibliothèque. Balancer leur collection de disques de jazz, de slam, par la fenêtre. Déchiré leurs affiches et lacérés tous leurs tableaux aux murs. Brulé toute ces merdes. Des merdes qui, soi-disant, ouvrent sur le monde. Quel baratin ! Ca les a pas empêchés d’être aussi bêtes que ceux qu’ils dénonçaient. Je m'étais enfermée dans ma piaule. En larmes  sur mon lit, je compris pour la première fois que la connerie humaine était chez elle partout. Pas que  chee ceux qu'on croit idiots et bornés. Même sous son propre crâne.

 Dans la nuit je m'étais levée pour aller à la salle de bains. Mes yeux rouges de larmes dans étaient pas beaux à voir dans le miroir. Je me suis mis devant le tableau noir peint sur l'armoire pour écrire ce qui nous passait par la tête. Souvent mon père y mettait des blagues. J'avais balancé la craie contre le mur et éclatai en sanglots. Tous des cons autant les uns que les autres ! Je lui avais laissé un texto pour lui expliquer que mes parents étaient pas, que ça allait passer. Il m'avait pas répondu. J'avais très peur. Et s'il voulait plus me revoir? Tout ça à cause de mes parents qui mélangeaient tout. J'avais écrit: " C'est dur d'aimer des cons ! "

 Heureusement que lui a pas baissé les bras. Il regrettait de plus voir mes parents qu’il aimait bien. Mais on a continué de se voir. Contre sa mère. Contre mes parents. Contre les gens qui passaient à la télé pour nous dire que c’était pas possible. Contre tous les cons qui veulent parler et décider à notre place. Plus forts qu’eux tous. Indestructibles.

 A la fin de l’année, je passais en quatrième. Et lui dans un lycée pro. Mais lui et moi on savait que notre histoire était pas finie. Son lycée était dans une autre ville mais se reverrait. Peut-être moins souvent, mais  on pouvait pas se quitter.  On continuerait de s’envoyer des textos du réveil au coucher. Même dans la nuit, on se disait qu’on s’aimait. Pressés de sortir du radar de nos parents et vivre ensemble. Pas s’occuper de leurs histoires d’adultes qui croyaient tout savoir. Des grandes personne avec un cœur et un cerveau tout petit. Minuscules. Ces parents qu’on aime mais parfois si cons. En tout cas, lui et mot c’était à vie.

 Ce matin d’été, mon père avait allumé une clope. Je regardais la pendule. Pas son genre à fumer si tôt. Ma mère était mal à l’aise. Elle souriait sans cesse, un sourire crispé. Il a fini par tout balancer. Tous deux avaient obtenu une mutation pour trois ans en Nouvelle Calédonie. Le déménagement était prévu pour l’été. Au début, j’ai cru qu’il blaguait. Ma mère a sorti son I-Pad pour me montrer notre nouvelle maison. Je suis sortie en trombe de la cuisine. Non, ils réussiront pas à nous séparer. Jamais. Même avec la distance, on continuera nous deux. Je lui ai envoyé un texto. Lui aussi pensait la même chose. A ma majorité, on se mettra ensemble. Parce qu’on peut pas faire autrement. Pas un truc qui s’explique. On tiendra.

 Aujourd’hui, je sais qu’ils ont gagné. Les cons de sa famille et de la mienne. Plus tous les autres. Ils ont réussi à casser notre rêve. Lui dans son lycée près de Lyon, moi dans mon collège de Nouméa. On s’envoie presque plus de textos. Lui et moi, en voyant nos pages Facebook, on sait bien que notre histoire se finit. Elle se dillue. Chacun sa route. Quelqu'un d'autre lui donnera un ticket. Et moi je dégueulerai devant quelqu'un d'autre. J'ai beau frimer comme ça, jouer la désinvolte, mais qu'est-ce que je suis triste. Hier, on a fêté mes 16 ans. Et j'ai l'impression d'être déjà très vieille. Fatiguée du monde.

 Même sans la pression de nos familles, peut-être que notre histoire n’aurait pas duré toute la vie. On peut jamais savoir comment les choses se passent. Mais c’était nous qui aurions décidé. Pas d’autres. Ceux qui ont  raison sur tout parce qu'ils sont sûrs d'être du bon côté. Ils savent ce qui est bon et mauvais pour vous. Et mieux que vous.

Pour sa mère, c’était pas possible nous deux parce que j’étais trop différente d’eux. Pas les mêmes mœurs, surtout pas la même religion. Elle voulait une femme qui lui ressemble et qu'elle aurait pu dominer. La seule patronne chez elle. Une haine bête et profonde. Pour mes parents, j’ai mis plus de temps à comprendre. Leur justification de l'interdiction de le fréquenter était enrobée de belle paroles. Leurs raisons sans doute plus subtiles que celles de de sa mère. Mais aussi connes. Pourquoi c'était un garçon pas fait pour moi ? Ils ont jamais répondu à ma question. Je sais maintenant pourquoi ils m'avait éloignée de lui.

Parce qu’il était pas Charlie.

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