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Billet de blog 6 juin 2015

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Plus belle ma fin de vie

Quel plaisir de vous entendre ! Mes oreilles sont les seuls organes de mon corps qui me servent réellement. Elles sont mon dernier vrai lien avec vous deux et les autres qui passent dans ma chambre. Dire que, gamine, j’avais un peu honte de mes oreilles. Trop décollées à mon goût. Chaque jour, j’essayais de les aplatir. Tout ça à cause de la Julie qui m’avait traité un jour de Dumbo l’éléphant.

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    Mes chers parents,

          Quel plaisir de vous entendre ! Mes oreilles sont les seuls organes de mon corps qui me servent réellement. Elles sont mon dernier vrai lien avec vous deux et les autres qui passent dans ma chambre. Dire que, gamine, j’avais un peu honte de mes oreilles. Trop décollées à mon goût. Chaque jour, j’essayais de les aplatir. Tout ça à cause de la Julie qui m’avait traité un jour de Dumbo l’éléphant. Ca avait fait marrer toute la classe. Pas moi. Mais bon, décollées ou pas, je suis bien contente de les avoir depuis presque neuf années. Sans elles, je serai encore plus enfermée en moi. Parfois j’aimerais quand même pouvoir les boucher.

Surtout quand je vous entends vous déchirer à cause de moi. J’ai l’impression de revenir en arrière. Quand vous vous êtes séparés. Qui avait tort ? Qui avait raison ? Garde alternée ou pas ? Bref, dans la tête d’une gosse de 5 ans, c’était juste l’implosion. Mais vous avez su m’entendre et, mieux, écouter ma petite voix. Tenir compte de mon avis de gamine. Aujourd’hui, à 28 ans, ça risque d’être plus dur. Même si une bonne partie de ma tête est encore là, les mots resteront à jamais enfouis au fond de moi. Impossible de vous expliquer comment je veux mourir. Choisir ma fin de vie.

Papa, toi, tu veux que je continue de vivre.  T'acharner à garder la chair de ta chair près de toi. Même si c'est plus qu'une enveloppe avec un semblant de vie. Moins belle qu'en tenue moulante, jambes musclées et bronzées. C'est ma fille !Je veux qu’elle vive ! Ma fille s’en sortira ! Ta grosse voix résonne dans la chambre. Chaque jour, tu es à côté de moi. Ta main sur la mienne me fait beaucoup de bien.  J’aime  quand tu caresses mes mains et mes bras. Ca me détend. D’autres mains passent mais aucune n’a ta douceur, ni la magie de tes doigts qui jouent avec les miens. C’est… Comment dire ? Papa, je te reconnais à travers tes doigts. Si fort et si fragile. Au moindre de mes bobos, tes yeux étaient embués de larmes. J’avais l’impression que tu allais t’écrouler. Mais, très vite, tu prenais les choses en mains. Et, après m’avoir soignée, tu me proposais toujours des trucs sucrés. Maman gueulait mais j’avais droit à un p’tit bonbon en cachette. Encore notre secret à nous deux. Le seul truc que j’aime pas, c’est quand tu mets ta joue sur mes lèvres. Si, j’aime bien mais… Tu piques. Essaye de te raser plus souvent. Même dans mon état, je continue de râler. Et puis j’aime bien l’odeur de ton après-rasage.

Maman, tu viens aussi tous les jours. Tu me prends la main. Jamais très longtemps. Tes doigts sont nerveux, très inquiets. Toujours pressée, déjà partie avant d’arriver. Comme papa, t’as pas changé non plus. Toi, tu préfères me caresser le front et la tête. Et surtout souffler sur mes yeux. J’ai l’impression d’être au bord de l’océan, sur des vagues… Ton souffle comme quand j’étais gosse. Dès que je criais dans la nuit, tu t’asseyais sur mon lit et soufflais sur mon visage pour éloigner les cauchemars. Une vraie tueuse de cauchemars. La plus forte des mamans. Tu me connaissais comme si tu m’avait fait, comme tu me rigolait souvent. M’avais fait ou m’avais faite ? Pour une fois, toi, si à cheval sur la langue française, tu me reprendras pas. J’en étais où déjà ? Que tu me connaissais par cœur. Parfois, ça me gênait d’avoir l’impression que tu me voyais de dedans, tes yeux sous ma peau.  Des bêtises de gamins ; personne ne ( j'ai mis la négation, Maman) peut tout connaître de l’autre. Et tant mieux pour tous. Cela dit, je crois que tu es la personne qui me connaît le mieux. Pas parce que tu m’as mise au monde. Juste que tu es la seule qui sait lire mes silences.  Et sans me tanner sur mes fautes d’orthographe.

Depuis des années, je suis très triste de savoir que vous vous déchirez à cause de moi. Pas que vous d’ailleurs. D’autres de la famille, des amis, des avocats, des médecins, des politiciens, des inconnus, plein de gens du pays, s’engueulent à mon sujet. A plusieurs reprises, quand quelqu’un met les infos, j’entends des journalistes parler de moi.   Y a plein de trucs que je comprends pas. En tout cas, je sais qu’on parle de moi et de tous ceux qui sont dans le même cas. Pas la seule clouée depuis des années sur un lit. D’autres absents, des fantômes avec plein de tuyaux, sont eux aussi comme dans une salle d’attente.  Le départ sans cesse repoussé. Les seuls à pas pouvoir décider de leur dernier voyage.

Vous deux aussi, je vous ai entendu à la télé. Ca m’a pas fait plaisir de savoir que tout le monde avaient vu que vous étiez pas d’accord. Ca regarde pas les autres. Mais bon, comme tu dis toujours papa, on va pas refaire le match. Maman, toi, tu veux tout arrêter. Alors que toi Papa, tu tiens à ce que ma respiration continue d’habiter mon corps. L’un et l’autre pas du tout d’accord. Jamais je vous ai entendu autant vous engueuler.  Pire qu’à votre séparation. Quand vous êtes aussi cons, à pas vous écouter, j’ai juste envie de gueuler «  Fermez là ! ». Pas envie de vous entendre vous haïr devant moi. Déjà que pour moi, qui a toujours eu la bougeotte, c’est très dur de rester allongée 24h sur 24. Pas en plus subir vos cris. Moi, je veux juste être avec vous deux. Que nous respirions le même silence, laisser les belles images du passé se promener dans la chambre. Nous trois ensemble.

Malgré tout ça, vos engueulades et tout le merdier autour de moi, je sais que vous m’aimez. C'est le principal. Et chacun, à sa manière, m’aime vivante. Pour toi Papa, le plus important est mon corps en face de toi, rassuré par le souffle qui continue de circuler en moi. Le même souffle que le tien et celui de milliards de poitrines. Alors que toi Maman, tu supportes plus de me voir comme une espèce d’être mi humain mi machine. Moi je veux pas terminer comme un légume. Euthanasie, moi,ce mot là me fait pas peur. Tu disais souvent ça quand on parlait de la mort. Contrairement à Papa, t'as jamais eu peur d’en parler. Je l’ai pas lu mais je sais que t’aimais beaucoup « Le livre de la pauvreté et de la mort ».  Rien que le titre, ça me foutait la trouille. En plus, même si ça t’énervait, j’ai jamais aimé  lire. Un comble pour la fille d’une prof de littérature.Toi, tu as pas besoin de mon corps, de mon souffle, pour m’aimer. Mon cœur continuera de battre dans ta mémoire. Deux amours complètement différents. Aussi fort l’un que l’autre. Et que le mien pour vous deux.

Concernant la polémique sur mon cas, je dois vous avouer que je m’en fous un peu. La politique et tous les trucs du même genre, ça m’a toujours gonflé. Tout est politique ma chérie. Tu arrêtais pas de me dire ça, Maman. Peut-être que tu avais raison. Moi, le truc qui m’emmerde quand même dans cette histoire, est l’arrivée de Dieu. Sans doute à cause de vous deux qui m’avaient inoculé le sérum de vie qu'est  l'athéisme. Pas plus bouffeurs de curés, imams, rabbins, que vous deux. J’ai entendu un religieux parler de moi à la télé. Son Dieu, je l’ai jamais vu rentrer dans ma chambre. Pas une seule fois, il m’a lavée ou donné un antidouleur. Ni tenu la main ou souffler sur les yeux. Dieu m’a pas visité une seule fois, les infirmières sont présentes tous les jours. Bref, Dieu, occupe-toi de tes affaires et de ceux qui croient en toi. Ma douleur et ma souffrance sont sur le territoire de Mon Corps. Elles appartiennent d’abord à moi et après à ceux qui m’aiment. A personne d’autre.Encore moins à un quelconque dieu.

Je parle qu’en mon nom. Chaque corps a sa manière de penser et de réagir. Des plaisirs et des douleurs uniques. Je me vois pas parler à la place des autres individus. Si quelqu'un a envie de souffrir pour son dieu ou pour autre chose, ça le regarde. Pas moi qui vais lui reprocher quoi que ce soit. Libre à chacun de considérer son dernier souffle comme la 7ème merveille du monde. Moi ce que je veux, c'est partir quand je le veux. Partir d'abord parce que je m'aime beaucoup. Et que j'aime mes proches. Auncune envie de leur infliger une fin de vie à rallonges, les rendre esclave de ma chair muette. Ils ont déja assez joué les baby-sitter avec moi.Chacun son choix.

Quand même, j’aimerais donner un peu mon avis sur ce sujet que je connais de l’intérieur depuis si longtemps. Un avis qui engage évidemment que moi. Je crois qu’on devrait tous pouvoir laisser un mot, un truc du genre officiel comme les papiers d’héritage, en expliquant comment on voudrait terminer sa vie. On laisse bien des testaments pour les maisons et les objets. Pourquoi pas pour son corps ? Quand on vient au monde, on peut pas envoyer un mail du ventre de sa mère pour dire qu’on est très content d’arriver sur la planète ou, au contraire, qu’on veut surtout pas débarquer dans ce monde de barges. C’est aux parents de décider quand ils veulent nous inviter à la grande fiesta humaine. J’arrête pas de parler et je perds le fil. Bref, chacun, croyant ou pas, devrait pouvoir choisir la manière de faire son dernier voyage. Pas un choix imposé par d'autres.

Et pour moi ? Faut que j’arrête de noyer le poisson dans des généralités pour pas vous dire à vous deux ce que je veux. Bon, je… Désolé Papa, je sais que tu vas faire la gueule. Pourtant, sur plein de discussions, j’ai souvent été plus d’accord avec toi qu'avec  maman. Un truc de fille avec leur papa tant adoré ?  Ne contredire que leurs mères. Cette fois, je suis en fait plus d’accord avec Maman. Je suis sûre que tu vas me comprendre. Ecoute au moins cet argument.

Tu as toujours été contre le gâchis et l’injustice. Que penses-tu alors de toutes ces infirmières et médecins que pour moi, ces instruments qui tournent en boucle, tout ce fric, etc, qui pourraient servir ailleurs ? Combien de vie  sauvées en moins, juste pour conserver la mienne que je veux absolument quitter. Quel gâchis surtout quand on sait comment l’hôpital va mal en ce moment. Pas toi, le militant syndicaliste, qui va me contredire là-dessus. Pour une fois, moi qui m'exprime pas très bien, mon argument est meilleur que le tien. Dis pas le contraire. Dommage que tu puisses pas répondre. Et Maman de rajouter son grain de sel. Une p’tite engueulade comme dans la cuisine en écoutant les infos. Sûr que ça va manquer. Et tout le reste. Nos beaux moments.

Si vous m’aimez, laissez-moi vous quitter. Bien sûr que c'est loin d'être une décision simple à prendre. Pas sûre qu'à votre place, j'en sois capable. En tout cas, j’aimerais que vous jetiez mes cendres dans l’océan. Sur cette plage ou j’ai appris à surfer. Cette plage de mes plus jolies premières fois. Après vous, je crois que ce qui va me manquer le plus c'est le surf. Jetez-moi sur une super vague. Plus jamais, je tomberai de ma planche. Pour toujours la plus belle championne du monde de surf.

Bon, faut que j'arrête de parler comme ça toute seule. Tellement de choses sur le coeur à dire. Le silence fera le reste du boulot. Et faites moi plaisir; oubliez pas de vivre mes parents que j'aime. La vie, ça vaut vraiment le coup. Et je sais de quoi je parle. Moi, je me suis bien amusée. Bientôt, je vais partir pour de bon. Mon dernier voyage. Pas d'inquiétude si vous recevez pas le texto "bien arrivée".

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