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« Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé‚ d'être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former. » Stendhal
Pas un jour sans une nouvelle femme dans mon sillage. Parfois plusieurs en une journée. Pourtant pas un beau gosse. Ni un séducteur. Sans le moindre humour. Pas non plus de belle situation, comme on disait dans le vieux monde à bout de souffle. Et en plus, je suis infidèle non-pratiquant. Rien donc qui puisse générer un quelconque intérêt pour des suiveuses. Pourtant plusieurs à chercher le contact. La plupart sont fort peu vêtues. Mais il ne fait pas froid sur la toile. Et qui sommes-nous pour imposer un vêtement sur le corps d’une femme ? Elles s'habillent et se déshabillent comme bon leur semble. Même sur un écran. Libre aussi de porter des noms et prénoms rarement usités. Depuis quand ces demandes de contact de femmes ?
Dès que j’ai changé de compte tweeter. Après une courte absence, le retour sur les branches numérique de feu l'oiseau. Quelle surprise en me retrouvant à nouveau sur Twitter. La page d’accueil est très sombre. Comme si toute la toile était en deuil. Un accueil très mortifère. Déjà que les échanges sur ce réseau n'y sont pas très souvent gais. Surtout à certaines périodes. Comme celles de pandémies, d’élections, de guerres, tournant en boucle sur toutes les chaînes d’infos. Rares les nouvelles joyeuses. Désormais, mêmes les conversations entre internautes sont drapées de noir. Que se passe-t-il ?
La mort annoncée de Twitter ? Si tel est le cas, beaucoup applaudiront des deux mains. Satisfaits de la disparition de ce réseau. Tandis que seraient fort attristés. Comme les internautes ayant tissé depuis plusieurs années des liens de sympathie avec des êtres jamais rencontrés en chair et en os. Mais peut-être croisés sans le savoir. Des amitiés comme à l’apéro à rallonges au « Bar des sports ». Pour parler de la pluie, du beau temps, rire, chialer, s’engueuler, se réconcilier, etc. Avec d’autres us et coutumes. Mais avec le même esprit que les bars de quartier ou de village. Sans les cacahuètes et les postillons chargés d’alcool. De joyeux moments. Avec en plus nombre d’informations intéressantes. Sur toute sorte de sujets.
Beaucoup de critiques contre les réseaux sociaux. Et à juste titre. Sans doute un grand vecteur de haine et de divisions. Certains apprentis sorciers et sorcières numérique sont très forts pour rajouter de l’huile sur le feu au quotidien. Des rapaces numériques très dangereux. La bête immonde, ressortira-t-elle du ventre fécond du Web ? Je n’ai pas la réponse. Néanmoins indéniable que le pire (racisme, antisémitisme, sexisme, LGBTphobie, etc.) circule très vite sur les routes de la toile. Important donc de ne pas se voiler la face sur la boue virtuelle déversée au quotidien sur toute la planète. Et les effets pervers d’un réseau où le pire circule à grande vitesse. Sans pour autant ne réduire ce nouvel outil qu’à sa part négative.
La poésie y circule aussi à grande vitesse. Comme nombre d’autres belles choses. Que ce soit à travers des mots ou des images. Souvent les deux ensemble. Internet reste donc un très bel outil. Comme l’a été et l’ai toujours Gutenberg. Bien sûr, il devra y avoir des évolutions pour le numérique. Comme il y en a eu pour le papier imprimé de nos livres, nos journaux, nos revues, etc. Ne pas oublier non plus que nous avons nombre d’exemples de dérives de l’imprimé ; tels Mein Kamp et autres horreurs et abominations sur papier. Internet n'a pas inventé le pire de notre espèce. Revenons au web : un instrument encore très jeune. Comme notre siècle. Laissons-leur un peu de temps. L’un et l’autre ayant un point en commun. Lequel ? Leur évolution se trouve entre nos mains. Réussirons-nous à les améliorer ?
Que faire avec toutes ces femmes qui suivent dans le noir ? Espérons qu’elles ne rencontreront pas un joueur de flûte numérique en quête de vengeance. Tenter un dialogue avec elles ? À mon avis, elles ne sont pas du tout en manque de dialogue. Ni en quête d'échanges d'ordre métaphysique sur la fuite du temps et notre éphémère de chair mortelle. Pas non plus pour tisser des poèmes. En plus, elles postent quasiment tout le temps en anglais. Et je ne connais que la langue française. Comment réagir avec elles ? Accélérer le pas pour les semer ? Non. Elles ne sont pas dangereuses. Les supprimer ? Elles reviendront avec une autre identité. Après tout, que des images épinglées sur la toile. Elles y ont aussi leur place. La toile est assez grande pour accueillir tout le monde. Même les faux comptes ?
Chaque internaute devant son miroir. Avec des milliards de story-reflets. Tous à se regarder vivre dans nos écrans. Rares celles et ceux qui échappent à cette course à « soi toujours plus ». Certains internautes très inquiets à l’idée de ne plus rien peser. Sans cesse à prendre le poids de leur histoire sur la toile. Combien d’amis ? Combien de followers ? Combien de pouces levés ? Les médias n'échappent pas à cette fébrilité de sa visibilité sur la toile. Même les journaux critiquant cette course à plus plus. Sur Médiapart, il y a la rubrique: les plus recommandés, les plus lus. Même compta dans la plupart des médias. Telles nos radios et autres organes de presse préférés. La course à l'audimat n'est pas le monopole des médias qualifiés de populistes.
Difficile d’échapper à notre ère de domination des chiffres. La visibilité ou la mort sociale ? Une injonction à « être vu » qui est de plus en plus pesante au quotidien. Notamment dans les univers artistiques. Mais aussi dans d’autres domaines très divers de nos activités humaines. Pas vu, pas vendu. La communication est devenue incontournable, intériorisée même dans nos intimités. Toutefois être le « plus lu ou recommandé » n’est pas du tout incompatible avec la qualité et le sens. La visibilité et le succès ( rares celles et ceux rêvant d’échec ) n’empêchent pas le talent et la transmission du sens. Nous avons nombre d'exemples comme ici en direct. Et l'invisibilité n'est pas non plus synonyme de talent. Un vaste sujet pas prêt d’être refermé.
Dans tous les cas, chacun a son libre-arbitre numérique. Personne n’est contraint de s’exposer sur Internet. Ni d’étaler son impudeur. Toutefois, chaque internaute est libre de transmettre de la beauté, de la culture, de la joie, et des infos intéressante pour alimenter le débat contemporain. Tandis que d’autres peuvent opter pour proposer de la boue et de la haine. Chaque internaute est responsable de sa trace d’écran. Celle visible du monde entier et de ses proches. Le problème ce n’est pas l’outil. Mais nous les utilisateurs. Comme pour les conducteurs et conductrices d’automobile. Respectueux ou non des autres empruntant les mêmes routes que soi. Le même souci de respect de l'autre et l'empathie depuis la nuit des temps. Rien de nouveau avec l'arrivée du virtuel.
Cela dit, cet outil, très perfectionné et retors, peut manipuler une part de notre être, voire accentuer notre duo individuel : nombril et ego. Nos pires défauts caressés dans le sens du like et du toujours plus de je. Mais contrairement à la citation de Stendhal, je ne pense pas que, nous porteur de miroirs numériques, soyons à dédouaner de nos propos et actions sur la toile. Nous ne sommes pas des romans sur deux pattes cheminant sur les rives de la réalité. Responsables de nos propos et même éventuellement condamnables aux yeux de l’éthique et de la loi. Comme dans ce qu’on appelle la « vraie vie ». Guère de différence entre nos deux mondes. Si ce n'est la vitesse de nos échanges sur le Web. Pour le meilleur et le pire de soi virtuel.
Des milliards de solitudes aimantées à leur psyché numérique ? La circulation planétaire du vide et de la connerie humaine érigée en nouvelle religion dominante ? Certains sont très critiques des réseaux sociaux. Ce qui – chacun-chacune nos contradictions ne les empêchent pas d’y participer. Tandis que d’autres pensent que c’est une grande avancée, notamment en termes de liberté d’expression et de démocratie directe. Un nouvel outil générant en tout cas de nombreuses polémiques. Un bon sujet pour nourrir l'estomac de l'Intelligence artificielle ? Affaire à suivre...
Le siècle des @miroirmobile ?