« Une milice bien régulière étant nécessaire pour assurer la sécurité d'un état libre, personne ne pourra interdire le droit de posséder une arme et de la porter.» Deuxième amendement de la constitution américaine.
Pourquoi le shérif me regarde comme ça ? Il a pas l’air content. Pourtant j’ai rien fait de mal. Au contraire. J’ai fait que me défendre. Papa et Maman m’ont dit de laisser entrer personne à la maison quand y sont pas là. Je les avais prévenus de pas monter sur le grillage pour aller sur notre cerisier. Un garçon et une fille que je connaissais pas. Peut-être des nouveaux au collège. Y ont pas voulu m’écouter. Pourtant je leur ai répété plusieurs fois. Y m’ont fait un doigt et y sont montés sur le grillage. Tant pis pour eux deux. Fallait pas se croire les plus forts. C’est eux qui ont fait quelque chose d’interdit. J’ai tiré de ma fenêtre. Y a eu un de ces boucans dans la chambre. J’ai visé la tête du garçon puis celle de la fille. Comme avec la famille quand on tire sur les cibles. Les points qui comptent double c’est sur le front. Y sont tombés tous les deux.
Bob, mon grand frère de 11 ans, a aussi un pistolet. Mais, d’après Papa, je suis meilleur tireur que lui. C’est Maman qui m’a offert mon arme à Noël. Un super beau pistolet. Elle l’a choisi avec la crosse un peu rose. Normal puisque je suis une fille. C’est un cadeau parce qu’on t’aime ma Suzanne. Faut se défendre avec tout ce qu’on voit en ce moment. T’es même plus à l’abri dans une fac. Mais faut du boulot pour que t'apprenne à bien t’en servir. J’étais très fière de leur cadeau. Papa et Maman me font confiance maintenant. Moi aussi j’étais devenue une grande. Capable aussi de me défendre toute seule.
Avec Bob, Papa et Maman, on va souvent en forêt. Loin, dans des coins où Papa va à la chasse. Si tu connais, obligé de te perdre. Et là, tous les trois on s’entraîne à tirer. Moi, j’adore ça. Bob fait un peu la tête car Papa et Maman me félicite plus moi. Comme j’aime beaucoup mon grand frère, je fais parfois exprès de rater la cible pour pas trop lui mettre de points d’écart. Parce que Papa note tout. On fait ça sérieusement comme si on était à l’école. Je sais tirer mais je sais aussi nettoyer mon pistolet. Si je le fais pas pas, Maman m’engueule. Elle veut que mon arme soit nickel. Aussi propre que ma chambre.
Même quand on va à la messe, Papa et Maman ont chacun leur pistolet. Depuis que des fous tuent des chrétiens, faut être prêt à se défendre à l’église. Le curé, un ami des parents, le sait et dit qu’il comprend. Lui aussi nous a dit qu’il voulait acheter une arme. Pas que notre famille qui a des armes. En plus, on est dans notre droit. C’est écrit dans la constitution. Maman et Papa ont essayé de m’expliquer mais c’était trop compliqué et j’ai pas tout compris. Bob, lui, fait semblant de comprendre. Mais je sais bien qu’il a rien compris mais il veut avoir la honte. Dans notre famille, c’est important de pas avoir la honte. Faut être fort. Nous, personne peut nous attaquer. On s’aime et on est armés.
Quand est-ce qu’ils vont me rendre mon pistolet ? Je suis triste parce qu’ils me l’ont piqué. C’est à moi. Je veux pas qu’on me l’abîme. C’est pas un jouet. Quand j’ai dit ça à l’un des hommes du shérif, il a rigolé et caressé la tête en me disant que j’étais une bonne fille. Si je suis une bonne fille, pourquoi ils m’ont enlevé mon arme. Et pourquoi je suis coincé ici depuis plus d’une heure. Le sheriff m’a dit que Papa et Maman allaient arriver. Tous les deux travaillent loin. Ils partent tôt le matin et reviennent très tard. Mais, Bob et moi, on sait bien se débrouiller. Moi, je suis plus une p’tite fille. J’ai grandi. Tout le quartier va savoir que je suis grande. Et que je sais me défendre toute seule.
Qu’une chose qui me fait plaisir : j’ai raté l’heure de ma dictée. On a une nouvelle maîtresse qui arrête pas de nous faire écrire. Elle veut aussi qu’on lise. Des histoires dans des livres de gamins. Des trucs nuls. Moi, j’aime pas ça. C’est des trucs de pédé, ça ma fille. Ma mère dit pas souvent des gros mots mais je sais qu’elle aime pas les pédés et les gouines. Papa aussi. Un jour, il a mis une balle dans le front de la cible et a gueulé je t’ai eu sale PD ! Maman a applaudi. Puis Papa à dit à Bob qui lui laissait le PD à lui. Bob a vidé son chargeur dessus. Mais il est pas aussi bon que Papa et moi. Depuis ce jour là, on donne des noms aux ciblex. Y a la cible muslim, nègre, juif, PD, gouine… Tous ceux qu’on aime pas. Moi, je mets les noms de mes ennemis d’école. Bob qui dessine bien fait des visages sur les cibles. On rigole bien tous les quatre. Quand on a bien travaillé, on pique nique. Pendant qu’on mange, Papa et Maman nous racontent des histoires d’avant. Quand ça allait bien pour nous.
J’espère que je vais sortir avant ce soir. Ce soir, on a un jeu en réseau sur le net. Un jeu de guerre. Moi, je suis la meilleure. Y veulent tous se mettre avec moi. J’ai triché sur mon âge. Ils croivent tous que j’ai 17 ans et que je m’appelle Bob. Moi, ça me plaît bien ces jeux. Mais je crois que plus tard, je vais m’engager dans l’armée. Un jour, Papa et Maman seront trop vieux pour se défendre. Faudra que ce soit moi qui les défende. Normal que ce soit à mon tour. Je me suis déjà renseignée là-dessus. Mais j’en ai parlé à personne pour l’instant. Mais je sais pas si Papa et Maman voudraient que je fasse l’armée. Pour Bob, c’est sûr qu’ils veulent qu’ils rentrent dans les Marines. Moi, Papa m’a dit qu’il aimerait bien qu’on vive tous encore dans la même maison avec mon futur mari, et que moi je reste avec Maman et mes enfants sous le même toit qu’eux. C’est vrai que ce serait aussi super. Mais tout ça c’est loin de mes 9 ans. Faut pas que je rate mon jeu de ce soir.
Le shérif est sorti. Je suis toute seule avec une femme qui arrête pas de taper sur son ordi. Ca m’embête que Papa et Maman soient obligés de prendre une journée de travail. Y m’en parlent pas mais je sais bien qu’on a des problèmes d’argent. Pourtant y arrêtent pas de travailler. L’autre fois, Papa a écrit nègre sur la cible et il a pas arrêté de tirer dessus. Rarement vu Papa aussi nerveux que ça. Maman m’a expliqué que la nouvelle fille qui s’occupait de notre compte à la banque est noire. On aurait pas dû les amener travailler dans nos champs de coton ces putains de nègres. Maintenant y nous disent ce qu’on doit faire et nous donnent des ordres à la banque. Quand Papa a dit ça, j’ai senti qu’il avait envie de chialer. J’ai tourné la tête. Quand c’était à moi de tirer, j’ai demandé à Bob de me dessiner une tête de nègre sur ma cible. Et j’ai fait le meilleur score de la famille.
Ca y est : ils sont là ! Je les ai vus passer dans le couloir. Je me lève. La femme me demande m’assoir. Je veux voir Papa et Maman. Elle me dit que je les verrai plus tard. Je reste assise. Mais, sans faire de bruit, je fais rouler mon fauteuil vers la porte vitrée. De là, je vois tous ceux qui passent dans le couloir. La femme continue de taper. Moi, j’aimerais pas faire un boulot comme ça. Je préfère un travail dehors. Etre comme ont est tous les quatre dans la forêt. Libres et bien entre nous.
Qu’est-ce qui peuvent bien se dire ? C’est long, très long. Le téléphone sonne. La femme répond. Comment elle peut faire pour parler et continuer de taper. Je souris. Papa et Maman sont avec le shérif dans le couloir. Ils arrivent devant la porte. Pourquoi y rentrent pas ? Ils parlent à voix basse. Je comprends rien de ce qu’y disent. Mais ça a l’air sérieux. Papa à l’air un peu triste, la tête enfoncée dans ses épaules. Y regarde le sol. J’aime pas le voir comme ça. C’est triste. Faut pas que Papa soit triste. Maman m’a vu. Elle me fait un clin d’œil et lève le pouce. Je sais qu’elle est contente de moi. J’ai fait comme y fallait faire. Le shérif pousse la porte. Il entre le premier. Papa et Maman le suivent. Super !
Je serai à l’heure pour mon jeu.
NB) Une fiction inspirée de la mort tragique d'une gamine de 8 ans.