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Billet de blog 7 janvier 2017

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Des sacs de billets

7000 euros en billets dans mon sac. Faut surtout pas que je me fasse repérer. C'est pas la première fois que je le fais. Pourtant toujours le ventre noué quand je trimballe ces sommes en liquide...

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Le Banquier Anarchiste © CINEDRIC

           7000 euros en billets dans mon sac. Faut surtout pas que je me fasse repérer. C'est pas la première fois que je le fais. Pourtant toujours le ventre noué quand je trimballe ces sommes en liquide. Impossible de me calmer. « Qu’est-ce que vous avez dans ce sac ? ». J'ai l’impression qu’à tout moment une main va me taper sur l’épaule. Un flic ? Un voisin ? Quelqu’un de ma famille ? Je marche vite, le plus vite possible, les yeux sur le trottoir. Comme si mon acte pouvait se lire dans mon regard. J’ai jamais su mentir. Même toute gosse, mes yeux avouaient avant ma bouche. Au moindre baratin, je me mets à suer et bredouiller. On se refait pas à 77 ans. Mais qui pourrait soupçonner une dame de mon âge ?

 La retraitée du 23 rue du Stade. Celle qui parle plus qu’avec son chien. C’est ce qu’il croit tous. Que j’ai perdu la boule. Même mes gosses, sont persuadés que je parle à mon chien comme à un humain. Pas que moi dans ce cas là. Mes jeunes voisins font la même chose avaec leurs chats. Et puis certains attendent pas le vieil âge pour parler tout seul. Moi je parle peut-être tout seule, je radote, mais ça fait de mal à personne. Que moi que ça concerne. Pas comme beaucoup qui passent à la radio et à la télé. Eux-aussi y radotent leurs promesses. Et rien change.

 Sûr que si on me trouve avec une telle somme sur moi ça va jaser. J’ai dû trimballer au moins 40 000  euros comme ça en quelques années. Normal qu’on puisse se poser des questions. Surtout avec ma minable retraite de 1100 euros. Pas me plaindre quand même. Y en a qui sont vraiment pires que moi.  « Pays de merde où des gens crèvent en hiver la nuit et où des immeubles de bureaux sont inoccupés. Et toutes ces résidences secondaires de nos donneurs de leçons qui vivent que quelques semaines en été. ». Mon Jojo a dû naître en colère. Il avait foutu la télé à la cave et arrêté de voter. Chaque fois qu’un politique lui tendant la main, Jojo faisait mine de la serrer et lever le poing en s’éloignant. Déçu, Jojo était déçu. Lui y croyait vraiment à la gauche. Inconsolable de ses espoirs volés.

 Ses coups de gueule me manquent. Le reste aussi. Nos rigolades et nos petits jeux sous la couette. Souvent elle est aux abonnées absentes entre ses jambes mais on peu s’amuser autrement. Et on s’en est pas privés. Deux vrais ados dans notre chambre. Les rides que sur la peau.  Pas tous les jours très rose. Mais plus de bons moments que de merde au compteur de notre histoire. On a bien vécu. Rien à regretter. A part qu’il soit plus à côté de moi. L’impression qu’il fait plus froid sous ma peau depuis qu’il est parti. Parti, disparu… Il détestait ce genre d’expression. Pour lui, on part pas, on disparaît pas ; on meurt. Il aimait pas ce qu’il appelait les faux mots. « Leurs putains d’éléments de langage c’est pour mieux nous enfumer. Et nous, comme de grands gosses, on écoute nos maîtres nous faire la leçon. Tu leur donnes n’importe quel chiffre et ils te font la soirée dessus. Un ancien banquier devenu président restera un banquier. Compte le nombre de mecs et de nanas bien au chaud dans les palais républicains qui sont passés par une banque ou les finances.  Et en plus, après un p’tit portefeuille de la République,  ils retournent souvent dans une banque privée ou dans un haut poste dans l’industrie. Que le pognon qui les intéresse. Pas le tien. Sauf s’il leur rapporte. Je sais, je sais… je suis qu’un poujadiste qui joue le jeu du FN. En plus, on culpabilise de les critiquer. Comme si en les critiquant on remettait en cause toutes les luttes de la révolution, du Front populaire, de la résistance, etc. Dire du mal d’eux c’est être du côté des anti-républicains. Même nos convictions et nos révoltes, ils se les sont appropriées. Ils sont vraiment très forts. Ou nous très cons de se faire avoir à chaque fois. ». Sa longue tirade m’avait fait honte ce jour là au marché. Plein de gens autour de nous. Il avait assaisonné notre député-maire en public. Le pauvre élu avec sa pile de tracts avait pas pu en placer une. Jo en avait gros sur la patate. Déçu et surtout très triste. Mais pas du genre à fermer sa gueule. Encore moins devant un offciel.

Moi j’ai jamais été comme Jo. Pas aussi radicale et antisystème que lui. Même si je pense comme Jo que nous, en bas de l'échelle ou au milieu, on se fait toujours avoir au bout du compte. Juste bons à trimer, applaudir  des gens au micro, et aller comme des moutons leur donner notre voix. En fait, on vote plus du tout pour eux. C’est contre les pires qu’eux qu’on vote. On est coincés. Mais c’est sûr, pas envie que mon Jo se retourne dans son cercueil ; je vais pas voter pour un banquier ni pour un énarque ou un avocat. Ni pour un ancien ministre. On a déjà donné. Sûr que je vais pas avoir beaucoup de choix.  Peut-être mettre un bulletin blanc. Jamais je l’ai fait depuis que je vote. Je sais bien que ça sert à rien. Mais au moins je serai pas rester à râler toute seule dans mon petit coin. Les jours d’élection, Jo qui votait plus du tout était très mal. Bouffé de culpabilité. Il me regardait par la fenêtre partir vers le collège du quartier. Cette école où nos gosses ont été. Une école de la République mixte sur tous les plans à l’époque. Aujourd’hui,  c’est triste à dire mais y a quasiment plus que des arabes et des noirs. Les blancs, pas que les bobos, même ceux qui on pas beaucoup de pognon, foutent plus leur gosses dans cette école. Chaque fois que je revenais d’avoir voté, Jo m’attendait avec l’apéro. Et il me posait plein de questions. Savoir si untel ou untel était venu. Il avait les larmes aux yeux. Voter était l’une des ses dernières illusions; perdue elle aussi. «  L’isoloir était un vrai espoir. Aujourd’hui, on y va qu'en désespoir de cause. ». J’avais toujours le droit à sa petite phrase. Mais jamais Jo m’avait demandé pour qui je votais. Mais savait que notre colère a la même couleur. Une couleur trop cher pour être vendue.

Déjà quatre ans que mon Jo est mort. Contrairement à moi, il n’avait pas de CB et ne laissait jamais d’argent sur son compte postal. Dès que sa paye et après sa retraite était virée, il prenait tout en liquide. Payant au maximum comme ça. Mais heureusement que j’étais pas comme lui ; pas facile de vivre sans CB. Pas dépensier du tout, il a réussi à économiser 80 OOO euros. « T’en fais ce que tu veux mais fous pas ça à la banque. Ne le file pas non plus aux gosses. Ils ont une bonne situation et pas besoin de ce pognon pour vivre. En plus, j'en ai marre de les entendre sans cesse qu'ils payent trop d'impôts. Moi je suis fier d'en payer, même si c'est peu c'est ma participation à la vie de ce pays. En plus, ils seraient capables de foutre ça à la bourse ou de prendre une assurance vie. Comme si la vie était comme une bagnole qu’on assurait. Mais libre à toi de leur donner. Fais en ce que tu veux ma chérie mais… Mais pas du tout envie que ça engraisse un mec ou une nana qu’a pas du tout besoin de ce pognon. Je préfère que ça serve à des gens vraiment dans la dèche et… Bon, j’arrête de te faire chier avec mes radotages. Je serai plus là pour vérifier ce que t’en fais. Peut-être que tu t’offriras des gigolos ou des restos de luxe. ». Il avait souri puis repris sa respiration. Chaque mot lui coutait. Je posais souvent ma bouche sur ses lèvres pour le faire taire. Ma décision fut prise ce jour là. Je lui ai pas dit. Mais il serait fier de mon placement.

Un coup d’œil à droite et à gauche. Personne dans la rue. Je glisse l’enveloppe avec 4000 euros dans la boîte aux lettres. C’est celle du Secours Populaire. «  Cet argent est le fruit du labeur d’un homme. L’homme de ma vie. Faites-en bonne usage. ». Chaque fin d’année, je prends le bus et le métro pour distribuer mes petites enveloppes. Pas qu’au Secours populaire. J’ai choisi plusieurs associations caritatives. En espérant que personne se foutera le pognon dans la poche comme ça arrive parfois. Mais ça je peux pas le vérifier.  Bénévole dans une association de ma ville, je sais quelle famille et personne vivant seul se trouve dans la merde. Je vais aller leur rendre une visite discrète.Eux aussi ont le droit à des billets dans la boîte. Souvent, je rentre dans des immeubles délabrés inconnus et fais ma petite distribution. Ça change des factures et des déclarations d’amour des huissiers. Tout doit disparaître avant ma mort. Et je suis pressé d’aller rejoindre mon Jo.

« Des fables de religions tout ça. Moi je crois pas à leurs contes. Et aujourd’hui y a même des gosses qui se font sauter et massacrent des gens pour ces conneries de l’au-delà. C’est clair qu’on se retrouvera nulle part après son dernier souffle.  Déjà pas simple de se trouver ici. ». Comme pour le vote, on était pas d’accord. Même si je suis athée, j’ai envie de croire que je vais le retrouver. Au moins pour lui filer les résultats des élections 2017. Mon vote blanc m’évitera de culpabiliser mais servira à rien du tout. Comme tous les autres votes d’ailleurs. Jo avait-il raison : les élections ne sont plus qu’une mascarade et un show entre gens du même monde ? Je persiste à avoir envie d’espérer encore. Plutôt finir naïve qu’aigrie. Mais, même si j’ai envie de pas trop décroire; ce sont évidemment les mêmes qui perdront aux présidentielles : les sans dents et pas grand-chose. Je vois déjà la tête de Jo quand je lui donnerai le nom du président ou de la présidente. Sa colère ressuscitera d'un seul coup. Il les traitera de «pourris d'escropublicains » et dézinguera les politiques et les journalistes; surtout ceux qui l’ont déçu. Comme d'habitude, je serai pas d’accord avec sa vision «  tous à foutre dans le même panier ». Il haussera le ton. Moi aussi. Notre première engueulade post mortem. Et réconciliation sur l’oreiller. Mais pas toute de suite : encore des milliers d'euros à distribuer.

Des billets au parfum de colère.

NB) Une fiction inspirée de cet article de Laurence Mauriaucourt. L'histoire -sobrement racontée - d'un geste anonyme dans la boîte aux lettres d'un membre du «Secours populaire ». L’élégance humaniste qui n’a pas besoin d’être likée ou followée. Pas de caméras ou micros pour faire buzzer son grand coeur. Un geste sans rien attendre en retour. À part de son miroir.

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