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Billet de blog 7 février 2025

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Étrangères de marque

Un parcours sans faute. Je vais leur concocter un voyage parfait à nos étrangères de marque, avait assuré le chargé de l’opération. Un habile négociateur qui a tout planifié depuis le début. Déroulant son carnet d’adresses à rallonges d’un pays l’autre. Pour éviter toute difficulté au départ et à l’arrivée. À Paris, elles étaient attendues Aussitôt prises en charge.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

            Un voyage sans encombre. Elles ont voyagé en avion. Loin sous les ailes, des petits points fixes ou mobiles, sur les flots de la Méditerranée. Un vol de ligne internationale, avec des passagers de tout âge, sexe, genre, couleur. Des riches, des moins riches, et des pauvres, installés à des places distinctes ; comme à terre. Beaucoup de touristes, des hommes et femmes d’affaires, une poétesse, un pédophile sans frontières, des immigrés revenant à leur autre rive, etc. Tous et toutes entre quelques mains en uniforme de leur compagnie. Quelle que soit la place assise, la même inquiétude - visible ou invisible - en descente sur l’aéroport. Au-dessus de la ville lumière. 

       Atterrissage parfait. Comme la suite des événements. Un parcours sans faute. Je vais leur concocter un voyage parfait à nos étrangères de marque, avait assuré le chargé de l’opération. Un habile négociateur qui a tout planifié depuis le début. Déroulant son carnet d’adresses à rallonges d’un pays l’autre. Quelques coups de fils à deux ou trois hauts placés ayant facilité le travail en amont. Pour éviter toute difficulté au départ et à l’arrivée. Les passages de frontières étant devenus très complexes. Avec de plus en plus de contrôles. À Paris, elles étaient attendues Aussitôt prises en charge.

       Tout avait commencé aux portes du désert. C’est là où tout avait germé. Sous le crâne d’un homme et d’une femme. Elle native du désert, lui venu d’une grande ville de France. Un jour d’été, un groupe de 4X4 s’arrêta près de chez elle. Lui et sa compagne de l’époque étaient allés frapper à une porte. Pour savoir s’il pouvait bivouaquer. C’était sa maison : une jeune veuve vivant seule. Son « ventre infertile » lui avait donné une place à part. Tour à tour méprisé et crainte. Certains persuadés qu'elle avait des dons de sorcière et pouvait jeter des sorts. Elle s’occupait d’un orphelinat de jeunes filles à une dizaine de km. En guise de bienvenue, elle leur apporta des dattes et des beignets. Il lui demanda de manger avec eux. Elle avait refusé d’un sourire. Avant de s’éloigner dans le crépuscule. Suivie par plusieurs regards. Dont un qu’elle habita toute la nuit.

          Deux mois plus tard, il déposait ses bagages dans ce village; Une poignée d'habitations au cœur  de dunes de sable à l'infini. Pas facile au début pour l'étranger. Les villageois ne comprenant pas pourquoi il venait s'installer. Ils lui mirent des bâtons dans les roues. Mais comme c'était chez « l'infertile », la population finit par accepter sa présence. D'autant plus qu'il adopta le mode de vie local. Rien en tout cas ne prédisposait à leur rencontre. Si ce n’est un coup de foudre, sans papiers. Liés en plus désormais par un projet fou, entre leur deux pays. Le couple déterminé à aller jusqu’au bout de leur entreprise.

      Un travail de longue haleine. L’un et l’autre n’ont pas ménagé leurs efforts. Souvent à vouloir abandonner. Les rares dans la confidence leur ont déconseillé de se lancer dans une telle opération. Pas sûr du tout que ça plaise aux autorités, les avait prévenus un ami. Mais ils ont tenu bon. Avec ce voyage en point d’orgue. Un moment très important pour la réussite ou l’échec de leur pari. D’une contrée désertique à une des capitales du monde.

      Bord de l’aube. C’est le surnom donné au village où le couple vit. Certains Bédouins pensent que la nuit y fait demi-tour. Un lieu où des femmes, des enfants, des hommes, sont aussi partis. Mais dans des conditions très différentes. Même trajet, pas le même voyage. Des jours et des nuits pour un voyage de quelques heures en avion. Certains n’atteindront jamais leur rive rêvée, ou flottant sans vie sur des plages. Tandis que nombre de rescapés erreront sous le ciel d’Europe. Pour échouer souvent dans des rues. Loin d’un soleil brûlant ou de la guerre. Souvent les deux. Et toujours fuir la mort. Sans certitude d’atteindre leur but.

      Contrairement à elles : sûres de pouvoir aller jusqu’au bout. Sans exil ni errance. Aucun douanier ne les refoulera. Personne ne les pointera du doigt. Elles ne seront pas contraindre de tendre la main, le regard voilé de honte. Pas non plus de camp de rétention. Rien de tout ça pour elles. J’ai fait en sorte que nos étrangères de marque n’aient aucun souci, expliqua l’organisateur. Le couple s’en était remis à lui pour s’occuper de toute la logistique. Un très grand professionnel. En effet, elles sont arrivée le plus tranquillement du monde dans la patrie des Lumières. Dès leur arrivée, elles avaient des lieux de chute prévus. Dispatchées dans plusieurs endroits de la capitale.

       Où finiront-elles ? Aucune n’arrivera en banlieue populaire. Ni dans la quasi-majorité des villages de France. Pas n’importe qui nos étrangères de luxe, aurait pu dire l’organisateur. Elles arriveront uniquement dans des quartiers huppés ou bobos de Paris. Certaines dans quelques centres-villes de métropole. Partout, elles seront très bien accueillies. Attendues avec impatience. Une arrivée avec un air de fête. Pas une ne fera l’objet d’une reconduite à la frontière. Un sort différent de certains êtres issus aussi du désert.

      Pourquoi deux poids deux mesures. Tout simplement parce qu’elles ne sont pas les mêmes chairs. L’une ne pèse pas grand-chose. Poids plume partout sur la planète. Ne pesant rien ici, ni ailleurs. Si ce n’est le poids de l’angoisse et de la fuite. Jamais de répit. Tandis que l’autre chair pèse plus lourd sur le plan économique. On ne le traite pas comme des vulgaires poids plume ne valant et rapportant rien. Qu’est-ce qui fait qu’elles ont une telle importance ?

  Leur chair. Pas n’importe laquelle. Une chair très prisée dans les beaux quartiers du globe. Notamment lors des grandes réceptions officielles. Elles se négocient à prix d’or. Un produit de luxe pas à la portée de toutes les bourses. Guère un hasard si elles ont été baptisées: le caviar du désert. Nouvelle marque sur le marché. Une source de ressources  à vie pour le couple ?

     Des dattes rares.

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