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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 7 juillet 2015

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Encore des nantis qui se plaignent !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

               De la cité à une Ferrari 458 Italia. Pas l’ascenseur  social, carrément la mise en orbite. Un sacré chemin parcouru jusqu'à ce volant. Loin de la vie des autres qui sont tassés dans des bagnoles toutes pareilles. Je me demande comment ils font.  Quand même mieux de pouvoir rouler avec un véhicule ultapuissant et très beau. Regarde le lui avec sa charette qui avance pas. Je vais pas rester derrière ce blaireau. Un p'tit coup d'accélérateur et dans le vent. Pas de temps à perdre.

La misère, on s’en déshabitue vite. Y a pas photo, je suis bien content de pas être resté avec les pauvres. La vie est trop courte, vaut mieux la passer du côté des riches. On est beaucoup moins et y a beaucoup plus de place. Sans oublier qu'on passe du bon temps. Fini la peur du lendemain ou même de la journée. Chaque instant m’appartient. Je suis libre et respecté. La belle vie.

En France, on supporte pas la réussite. Plein de jaloux qui vous critiquent et vous  taclent au moindre faux pas. Sûr que si je demande à n’importe quel mec au Smic d’échanger sa place avec la mienne, il sautera sur l’occasion. Et c’est normal. Le confort ça plaît à tout le monde. A part les bargeots ou les ermites. Beaucoup m’en veulent d’être riche. Très riche. Surtout des aigris de journalistes ou des politiques. Putain de donneurs de leçons qui parlent sans savoir. Facile de critiquer. Mais, moi, je me suis battu. Tout ce que j'ai aujourd'hui est pas tombé tout cuit dans le bec. Très dur pour devenir ce que je suis. Une vraie lutte.

Depuis tout gosse, je mouille le maillot pour ce pays. La plupart de ceux qui me cassent tout le temps  ont pas bossé comme moi. Depuis ado, je chafrave - comme ça qu'on disait dans la cité- comme un fou. Moi, j’ai commencé tôt. A 12 piges, j'aidais déjà au marché de mon quartier. Pas un fainéant. Des heures de boulot. J’en ai chié pour être celui que je suis devenu. On était beaucoup sur la ligne de départ, je suis le seul à ma place. J’ai lutté. Un vrai battant. Je l’ai pas volé ce j'ai. Tout ce que j’ai à moi, je suis allé le cherché. C’était pas facile. Moi tout seul qui me  suis battu comme un lion. Je la mérite cette bagnole.

Et je peux dire que j’ai pas été aidé au départ. La cuillère à la bouche, on était neuf dessus. Et elle était pas en argent. On vivait entassés dans un tout p’tit logement. Mais il était jamais sale. Pas une poussière ou même une mouche qui traînait avec ma mère. Elle se levait même la nuit pour déplacer les meubles et nettoyer en dessous. Si ta maison est propre, ta tête aussi. Elle arrêtait pas de nous dire ça.  Je l'écoute encore; même dans les palaces, je fais mon lit et je laisse ma chambre très propre. Mon père était obligé d’enlever ces chaussures de sécurité pour pas rayer le parquet. Presque si elle l’obligeait pas à se laver les mains comme les gosses. Ses paluches  qui avaient su mettre tous ses enfants dans le droit chemin. Même en frottant au savon de Marseille, l’usine restait incrustée à ses ongles. Il se levait avec l'usine, bouffait avec, et dormait avec. Sa deuxième peau. Lui et ma mère parlaient pas beaucoup. Juste les trucs de la vie de tous les jours. Comme si fallait aussi économiser les mots. Surtout pas les dépenser n’importe comment. Elle passait son temps à la fenêtre, lui devant la télé. Pas d'argent mais une vie honnête. Ils ont jamais rien volé à personne.

Égoïste qui a oublié d’où il vient. Un arriviste qui pense qu’au fric et se fout du reste de la planète. Sûr que ces journalistes, et les autres, tous les autres, qui me critiquent ont pas oublié d’où ils viennent. Pourquoi oublier une belle vie ? Une enfance sans la peur de pouvoir payer le loyer, l’électricité, l’eau, la cantine scolaire… N'être qu'un gamin, sans penser au loyer et à tous ces trucs normalement d'adultes. Ça pétait chez moi qu' au début du mois et à la fin. Mes parents étaient plus du tout les mêmes. C'était les seules fois où j’ai vu mon vieux gifler ma mère. Tout petit, je chialais quand ils gueulaient. Plus âgé, je descendais rejoindre mes potes sur la dalle. Je me vengeais sur un ballon ou sur un abribus. Toute la cité entendait les cris de notre logement. Tout le monde au courant de nos merdes.

Plusieurs fois, j’ai failli faire comme certains potes : aller chercher la caillasse où elle était. Braquer. Je crois que si je l’avais fait, mes vieux seraient morts d’une crise cardiaque. Tuer pour un mot de trop, jamais pour de l’argent. Pour mon daron, le pognon était moins important que l’honneur ou la famille. Un voisin de la cité doit se souvenir de la trempe qu’il lui a mis. Pas un tendre le daron.

Vraiment loin tout ce passé. L'impression que c'est pas moi qui l'ai vécu.  Ça me paraît bizarre maintenant d'avoir peur d'une facture. Mais je sais que j’oublierai jamais leur inquiétude à la moindre lettre avec un cachet officiel. Même un truc banal de la mairie. Ils avaient la trouille de tout.  Raser les murs, pas faire de bruit et tout raquer sans faire d’esclandre. La trouille au ventre de perdre le peu qu’ils avaient. Soumis mais dignes. La dignité de ceux qui n'ont pas autre chose. 

Pourquoi je pense à tout ça ? Surtout que je vais rejoindre ma p’tite famille dans notre villa au bord de la mer. Chaque fois pareil quand je me trouve dans mon p’tit bolide sur deux roues. Pourtant, depuis le temps que je roule avec ce genre d’engins, je devrais avoir l’habitude. Pourquoi cette culpabilité alors ? Comme si j'avais quelque chose à me reprocher. Je suis pas un voleur. Cette bagnole, je la mérite.

       Deux ans que j’exerce ce métier. Malgré la fatigue quasi permanente, je ne le changerai pour rien au mondeMa famille est déçue de mon choix. Surtout mon père qui pense que, compte tenu de mon niveau, j’aurais pu avoir un poste plus important. Et gagner plus dans le privé. Pour le salaire, c’est sûr que j’aurais senti la différence sur la fiche de paye. Des amis avec les mêmes diplômes que moi gagnent le triple.  A 30 ans, ils ont déjà acheté leur appartement, une résidence secondaire, et ne sont pas obligé de compter autant que moi. Même diplôme, pas le même niveau de vie.

Parfois, comme ce soir,  seule dans mon petit appartement à boire une bière devant la télé, je les envie. Peut-être que je me suis mal orientée ? Mes parents, tous deux cadres sup, rêvaient d’une autre vie pour leur fille unique. Ils ont beaucoup misé sur moi. Fiers de mes résultats scolaires qu’ils étalaient devant leurs amis et même certains voisins du lotissement qu’ils détestaient. J’étais comme un p’tit singe savant. Celui qui allait couronner leurs années de sacrifices pour devenir ce qu’ils étaient devenus. Tous deux, issus d’un patelin paumé, avaient intégré la même école d’ingénieur en informatique. Rognant sur tout, les vacances et autres loisirs, ils avaient réussi à acheter un petit terrain et y faire construire  une maison semblable à toutes les autres.  Le moindre  objet dans la maison porte la marque de leur sueur.  Jamais ils ne m’ont culpabilisée en invoquant leurs sacrifices. Mais tout chez eux, de la pelouse aux deux voitures dans le garage en passant par la piscine, sent leur sueur. Et la peur d’avoir moins que le voisin.

 Mon père est très heureux d’être ingénieur. Pas ma mère qui rêvait d’exercer un autre métier. Elle aurait tant aimé être styliste chez un grand couturier.  Sans doute un rêve avorté de sa mère couturière à domicile pour les notables de sa région. Elle s’est rattrapée en achats  compulsifs de vêtements. Tandis que mon père, en termes d’image de réussite, a investi dans la voiture. Son garagiste est devenu un ami de la famille.

Tu as la sécurité de l’emploi mais tu peux gagner beaucoup plus dans le privé ? Pas d’arguments pour répliquer. Leur expliquer que ce n’était pas l’argent qui était mon principal moteur ? Jamais je n’ai osé leur dire. Pour eux, pas des gosses de cadres comme moi, le fric est important. Ils connaissent le prix de l’absence de moyens. Contrairement à moi qui n’ai jamais manqué de moyens.

Sans doute que mon désir d’entrer dans la fonction public vient de mon grand-père paternelle. Il était employé à la voirie des communautés de commune. Ramasser la merde des autres n’est pas joyeux tous les jours. Mais, chaque nuit en me couchant, je sais que j’ai été utile. Et que si on vit pas trop mal dans ce pays c’est parce qu’il y a des gens qui travaillent chaque jour pour que ça aille bien. Nous sommes des petites mains de la République. Ancien syndicaliste, retraité mais toujours avec une révolte sur le feu, il me racontait sa vie et ses luttes. Ils en voulaient à mes parents de ne penser qu’à leur réussite. Cet homme me fascinait. Ni la misère, ni la vieillesse, n’avait réussi à l’aigrir. Souvent en vacances chez lui, il avait façonné une partie de ma manière de penser. Sans doute aussi éloigné un peu de mes parents.

Et légué la notion de service public.

     Pas le seul d’en bas, même du sous-sol de la République, à avoir réussi. J’ai plein de copains chefs d’entreprises, des journalistes, des artistes, des toubibs, qui viennent de chez les pauvres. Je connais un copain, c’est un mec connu mais je donne pas son nom car on va croire que je me la pète…. Ce mec là, faut pas croire, c’est un dingue de boulot. On se ressemble beaucoup lui et moi. Pas le même métier mais on a trimé pour arriver tout en haut. Pas facile tous les jours.  Nous, on s’est pas plaint, on a pas fait de conneries, et on a bossé, bossé, encore  bossé. Y a que le boulot et la volonté qui rapporte. Rien d’autre.

Aujourd’hui, les jeunes veulent que tout leur tombe tout cuit dans le bec. Il s veulent tous faire passer à la télé. Y croit que c'est facile. Tout est du boulot. Même un tout petit truc. Plus le goût de l’effort. Pourtant, c'est la mode de les arroser de subventions. Tu veux faire un disque, tiens un chèque. Combien tu veux pour un documentaire sur les quartiers ? Faut arrêter avec ces conneries de culture qui sert à rien. Faut qu'il se forme et trouve un vrai boulot. Pas des machins de socio-cul hors de la réalité. Veulent plus travailler, juste briller.

Soyons franc: y a beaucoup de feignasse parmi ces jeunes des cités. Y passent leur temps à se plaindre. J’ai pas ci, j’ai pas ça. Ma vie est dure. Ici, on a rien du tout.  C’est de la faute de la société si on  est dans un ghetto. N’importe quoi ! Si c’était que moi, je leur foutrai des coups de pompes au cul à ces branleurs. Qu’est- qu’ils croient ? Qu’ils ont pris tout le malheur du monde dans leur poche ? Moi, aussi, je viens du même endroit qu’eux. Mais, moi, j’ai mouillé le maillot très jeune pour m’en sortir.  Eux y passent leur temps à se plaindre.  En fait, ils veulent rien foutre. Tuer le temps avec des potes à tirer sur le pétard.  Et rêver leur vie. La vie ça se rêve pas, ça se construit. Surtout quand on veut la plus belle des vies.

On a rien sans rien. Suffit de se sortir les doigts du cul, au lieu d’attendre tout des autres. Surtout des aides de la société. Des gens qui pensent qu’à eux et  voient pas qu’on est en pleine crise. Ces pauvres des cités et d’ailleurs en France devraient voyager un peu pour voir l’état du monde. Des égoïstes qui se rendent pas compte qui, même en étant un peu dans la merde, ils font partie des plus nantis de la planète. La crise touche tout le monde. Et eux y restent les deux pieds dans la même Nike à attendre un miracle.  Alors que, partout sur la planète, y a des mecs et des nanas plus dans la merde qu’eux qui se bougent  le cul. Je suis bien placé pour le savoir puisque je parraine des fondations et des associations caritatives. Quand tu veux, tu peux.

Moi, je serai le président de ce pays, je supprimerai toutes les aides sociales. C’est pas un service à leur rendre que de les aider sans cesse. Ils bougeront jamais si le pays les nourrit sans rien leur demander en contrepartie. Faut arrêter d’assister les pauvres ! Sinon jamais ils seront responsables. Les plaindre c’est les conforter dans leur victimisation. Toujours la faute des autres. Faut secouer les pauvres, au lieu de les endormir avec des aides.  On peut plus entretenir des feignasses. C’est eux qui empêchent le pays de se redresser.  Les boulets de la France. Les assistés veulent  plus mouiller le maillot. Comme ces escrocs d'intermittents du spectacle qui veulent conserver leurs privilèges, alors que c'est la crise. Les artistes c'est les feignasses les mieux camouflés. En plus, maintenant on veut s'occuper des migrants. Y ont qu' à jouer à domicile pour transformer leur pays. Réussir chez eux. La France est pas un hôtel gratis. 

Mes gosses, pas parce que j’ai beaucoup de pognon,  qu’ils vont rien foutre.  Je leur fais pas de cadeau.  Ma femme et nos amis trouvent que je suis trop dur avec eux. Intransigeants.  On voit bien que c’est pas eux qui ont reçu les pompes de sécurité dans le cul.  Mon père a eu raison et je l’en remercie. Tout ce que mes gosses, ils devront  l’obtenir avec leur  sueur et leur cerveau.  Pas avec le pognon de papa et maman.  Un homme ça doit se battre. Riche ou pauvre,  faut jamais baisser la tête. Bien sûr, t’as le droit d’avoir un genou à  terre. Jamais deux. Toujours debout. Vivre bien se mérite.

Faut jamais lâcher l’affaire.

     A part une petite réunion, je n’ai pas eu grand-chose à faire aujourd’hui. Une journée tranquille. Assise dans mon bureau, je joue sur mon ordi. Tuer le temps jusqu’à mon retour à la maison.  Plus que deux heures à tirer. Je suis pressée de sortir et aller faire un tour en ville. Profiter du beau temps.  Peut-être me faire un ciné et un restau.

Je me lève et me plante devant la fenêtre. Déjà des bouchons sur la rocade. Quand mes horaires me le permettent, je prends le TER pour venir en ville. Même s’il y a souvent des galères sur ma ligne, je préfère ça à me taper les embouteillages tous les jours. Pas une vie que de jouer les auto-tamponneuses matin et soir. En plus dans le train, j’en profite pour lire. Ou terminer ma nuit.

Etre utile aux autres ça use sa fonctionnaire. Surtout depuis quelques années où tout le monde tire sur le service public. Trop cher, pas assez rentable. Comme si notre salaire de fin de mois était injustifié. Nous seommes devenus les profiteurs de la société. Des charognards qui se gavent sur le dos de la crise. J'ai fini de me mettre en colère contre les gens qui tiennent ce genre de propos. Mauvais signe. Serai-je en train de perdre l'enthousiasme des débuts? 

C'est vrai que epuis quelque temps, j’ai envie de tout plaquer. Envie de mer. . Pas que pour quelques jours de vacances. Vivre à temps complet face à un océan. Je sens que je serai bien dans une île. Un rêve de gosse de pouvoir aller à la plage tous les jours. Peut-être me faire muter à la Réunion ?

Mon téléphone de service sonne.

        La plupart des fonctionnaires sont des feignasses. Ils se rendent pas compte de la chance qu’ils ont.  Y a plein de chômeurs qui aimeraient être à leur place. Y en a trop de ces feignasses égoîstes dans notre pays. Les fonctionnaires: encore des nantis qui se plaignent !Un jour, j’ai osé dire ça dans une émission à la télé. Le lendemain, j’ai reçu des centaines de commentaires d’insultes sur mon site. L’équipe de webmaster eut un mal fou à supprimer toutes ces saloperies. Les journalistes s’y sont mis aussi. On m’en a foutu plein la gueule.  Dans ce pays, on aime pas les gens francs. On préfère les faux culs qui veulent pas faire de vague. Désolé mais moi je suis pas un mec qui se la ferme. Je dis ce que je pense. Et je suis pas le seul à penser qu’il y a trop de fonctionnaires qui foutent rien. Tout le monde sait bien qu'ils sont la plaie du pays. Faudrait tout privatiser.

Une fois, j’étais dans un train. A un moment, il s’est arrêté en pleine campagne. Au bout d’une demi-heure, pas un contrôleur venu nous expliquer ce qui se passait. D’habitude, on a toujours quelqu’un du personnel en 1 ère classe. Je me lève. En général, j’attends que tout le monde soit sorti pour quitter le train. Eviter de rencontrer les gens de la seconde. Chaque fois, c’est pareil. Ça y est, ça commence. Ce genre de truc ça arrive jamais avec les voyageurs de 1 ère. J’aurais du attendre peinard. Les gens de la seconde  classe savent pas se tenir. Prêts à se foute la gueule pour un autographe. Un mot d’un ancien joueurs des bleus victorieux de 98 . Même pas un mot, juste une signature gribouillée.  Je fais ça très vite maintenant. Je râle mais ça me fait plaisir d’être un peu comme un dieu vivant. Un dieu qui a mouillé le maillot pour la ramener cette putain de coupe. Sans des mecs comme moi, pas d’étoile sur le maillot de l’équipe de France. J’emmerde tout ce qui me critique. Moi, j’ai réussi avec mon talent. Pas un fils à papa comme tous ces journaleux qui me taclent par derrière.  Un exemple pour ceux qui viennent du peuple comme moi. Un conseil pour tous ces p’tits jeunes dans les quartiers. Compte que sur toi, mec. Bref, je réussis à choper un contrôleur.

   Des fonctionnaires de la poste bloquent les voies à l’arrivée en gare. Ils occupent aussi l’un des postes d’aiguillage. Nous risquons un très gros retard. J’avais un rendez-vous très important. Je m’étais associé avec un industriel de la téléphonie. En fait, il achetait mon nom. Chacun y gagnait dans cette opération. Et en plus, c’était à la clef des centaines d’emplois. Je peux vous dire que les gens du bled où on s’installait étaient très heureux de notre arrivée.  L’industriel était venu spécialement des Etats-Unis pour la signature et la conférence de presse. Impossible d’être en retard. Je demande au contrôleur de m’ouvrir la porte. Suffisait de traverser la voie pour arriver sur une Nationale. J’aurais appelé un taxi et le tour était joué. Il refuse en me parlant de consignes de sécurité. Y avait rien à craindre. J’insiste. Ce con refuse. Je l’envoie chier et retourne à ma place. Mon agent va écrire au patron de la SNCF et même au ministre des transports. Ils vont s’en souvenir. Me faire ça à moi. Y ont oublié ou quoi ? Moi j'ai mouillé le maillot pour la France. En retard à cause de minables fonctionnaires.

Depuis, je prends plus le train.

       Il ouvre les paupières. Je lui demande d'un geste de ne pas bouger. Il jette des coups d'oeil fébriles autour de lui. Vous avez eu un accident. Vous êtes dans le Samu. Nous vous emmenons à l’hôpital. Il essaye de se redresser sur ses coudes. En vain. Il a eu beaucoup de chance. D’après les témoins, il a dépassé un tracteur en klaxonnant comme un fou et s’est pris de plein fouet un véhicule arrivant dans l’autre sens. La conductrice a été héliportée. Son air bag lui a sauvé la vie.

Faut me ramener sur Paris. L’infirmier avec moi lui explique que ce n’est pas possible. Vous avez bien des hélicos. J’ai de quoi payer. Ou même un avion. Mon assistant, très patient, lui explique que notre équipe dépend du CHU de la région. En plus, son état ne nécessite pas un rapatriement par hélicoptère. Il insiste et le traite de con. L’infirmier, sans doute intimidé de se trouver face à un people, se met à bredouiller. Complètement déstabilisé.

Je prends le relais et répète les mêmes choses que l’infirmier. Vous m’emmenez à Paris immédiatement ! Compris ! Je tente de la calmer. Vous savez qui je suis Madame. Je repense à la femme dans l’autre véhicule. Et à sa gamine qui, elle, n’a absolument rien. La gosse en larmes a été prise en charge par l’autre équipe. Bien sûr que je sais qui c’est. Je l’avais vu à plusieurs reprises à la téléCe beauf de luxe n’est pas du tout ma tasse de thé. Un type qui crache sans cesse sur les plus démunis. J’essaye de me calmer. Sois professionnel et accomplis ta mission de service public comme pour n’importe qui. Il se met à m’insulter en promettant de me faire virer. Ce type commence à me gonfler.

Je me penche sur lui. Mon visage au bord du sien. Et vous cher monsieur, vous savez qui je suis ?  Il me dévisage avec un air méprisant.  Juste une minable médecin du Samu. Je hoche la tête. Pas que ça cher monsieur. Je suis aussi une feignasse de fonctionnaire.  Bienvenu dans un véhicule du service public. Il manque de s’étrangler de rage. 

L’infirmier et moi éclatons de rire.

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