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Même s’il fait nuit ce matin. Sous des millions de peaux. Dehors, rien n’aura changé. Même décor que la veille. Chaque être se réveillera avec son irréductible solitude. Avec juste un jour de plus. Une minorité se réveillera sans grande inquiétude. Très peu de changements pour elle. Et s’il y a une réelle inquiétude, notamment en termes d' intégrité physique, la planète entière est abordable d’un clic. La CB bien fournie reste le meilleur des passeports. Avec une issue de secours internationale. Contrairement à la majorité confinée ici. Quoi qui se passera... À moins de remplir un sac et fuir « à l’arrache ». Certes avec plus de moyens que les migrants. Mais sans le moindre filet de protection. Demander l’asile politique comme français ? Cette question est un luxe. Celle d’un pays démocratique. Depuis longtemps, une terre d’asile. Une lumière pour des êtres fuyant la mort. Combien de temps encore un phare du monde ?
C'est aujourd’hui, dimanche de France. Moins de vingt-quatre heures avant la réponse des isoloirs. Mes mots sont postés de ce dimanche. Sans savoir si les urnes ont basculé ou non dans l'extrême nuit. Optimisme ? Pessimisme ? Je ne sais plus quoi penser. Des amis sont persuadés que ce ne sera pas la « nuit absolue ». D’autres affirment le contraire. Chacun ses pronostics dans une course où la « douce France » a déjà perdu. Dans tous les cas, nous sommes tous désormais porteurs désormais d'une part de cette inquiétude de tout un pays. Elle nous habite. Quels que soient les résultats de demain. Le poison brun a pollué les veines de la France. Des mains dans l’ombre remplissaient la seringue. En espérant conserver leurs privilèges. Les apprentis sorciers, débordés par leur marionnette, sont aussi inquiets. Demain, ils seront peut-être moins. Jamais rien. Moins, mais avec le passeport CB. Alors que, si l’extrême nuit gagne, la majorité va payer le prix lourd. Et cash. Même ceux ayant misé sur le brun. Ont-ils confondu la démocratie avec une roulette russe ?
Que retenir de ces dernières semaines ? Elles se sont dissoutes dans la haine et dans la peur. Partout dans le pays. Du sud au nord, un déferlement de racisme et d’ antisémitisme. En France du moment, fait pas bon être noir, arabe, juif, musulman, homo (certains affirmant être pressés du changement pour casser du PD), transgenre. Pourtant, un certain nombre d’entre eux continuent de se déchirer. Prêts même à s’offrir à un ennemi s’il les protège d’un autre ennemi (mettant dans le même sac de vrais ennemis dangereux et des adversaires en désaccord). Confusion et division règnent sous l’œil goguenard d’un gendre idéal et de sa marraine qui comptent les points. Tous deux sont assis derrière la caisse. Capable de comptabiliser toutes les sortes de colères, même opposées. Sans la moindre discrimination. Du moment que ça rapporte à leur fonds de commerce. Large sourire en vitrine. Et les armes prêtes dans l’arrière-salle ?
Demain, il fera jour. Comme hier et après-demain. Parce que personne ne peut empêcher l’aube de percer la nuit. Même la plus épiasse nuit. À d’autres époques, certains êtres espéraient le retour de l'aube ; leurs yeux se sont refermés sans jamais la voir revenir. Mais le jour a fini par se relever entre les paupières restées ouvertes. Irréductible aube. Elle redira toujours son premier mot, après le dernier de la nuit. Résistante même à un cataclysme thermonucléaire. À un moment, l’espèce humaine pourrait ne plus se relever. Contrairement au jour. Rien ne l’empêchera de se lever. Même si c’est sur des ruines. Ce qui ne sera pas le cas dans notre pays. Si ce ne sont les ruines de deux belles constructions. Lesquelles ? La république et la démocratie. Leur grande importance va nous apparaître si on les voit détruites. Un pays né sous le signe de belles jumelles. Toutes deux en suspens ce dimanche. Comme les lumières de tout un pays.
Que faire lundi matin ? Certains ne vont rien changer à leurs habitudes. Quels que soient les résultats des élections. Imperméable à l’agitation dans les urnes. Continuant comme si de rien n’était. Sans doute que d’autres, impliqués, leur jetteront la pierre. Avec la culpabilisation qui va avec. Et il y a celles et ceux en colère qui vont vouloir résister. Parfois avec des postures guerrières, et le « même pas peur » frisant le pathétique ; au regard des « résistantes et résistants du passé » et des contemporains, comme les femmes iraniennes. Chacune et chacun réagissant comme il veut ou peut. Ici ou là, des sourires satisfaits sur des visages. La face des gagnants. Semblable à celle des perdants d’aujourd’hui quand ils gagnaient au jeu de la démocratie, ou perdaient moins. Plus loin, une grosse inquiétude dans des regards. Lucides. Conscient que leur corps est au cœur de la cible. Parmi eux, des français de papier et-ou- de cœur vont préparer leurs bagages. Quitter un pays de naissance ou y vivant depuis plusieurs décennies. Sous un ciel qu'il aimait voir au réveil. Dans tous les cas, c'est une journée chargée d’anxiété. Surtout les porteurs de visages devenus indésirables. Déchus de leur droit du sol. Juste celui des chantiers de France. Des ennemis au sang impur ; pas la sueur si elle rapporte. Un avant et après 7 juillet 2024.
Et toi, tu vas faire quoi demain, me demande une de mes voix. Je dois avouer y avoir pensé en écrivant le titre de ce billet. Puis au fur et à mesure de l’écriture, avoir complètement occulté la poésie. Pensé à du plus concret. Comme ma situation de « relatif nanti ». Pas un migrant, pas un jeune de banlieue populaire détesté désormais par principe, pas une femme voilée, pas de kippa sur la tête, pas homo, pas LGBT, pas... Tous les pointés du doigt depuis plusieurs décennies. Parmi eux, la même proportion d’ordures et ignobles personnages que dans les populations non montrés du doigt. Mais avec une différence. L’index pointé sur une population entière. Sans distinction. On sait ce que ça a donné. D’abord l’index, puis les mots libérés, avant les actes. Aucun pays n’est à l’abri d’une purification sur son territoire. D’abord les sangs impurs. Puis les autres. Qui ? La liste déjà dans certains logiciels bruns. Avec d'autres cibles. Tous les impurs au nouvel ordre.
Revenons à demain. Guère un hasard si ma première projection sur le lundi post-élection a été la poésie. Sûrement un des lieux que les « extrême nuit » ne peuvent empêcher de vivre. Même en pourchassant les poètes. Bien sûr, ils pourront leur mettre des bâtons dans leur roue poétique. Avec plus ou moins de violence. Ou en tentant de les acculer au silence avec toute sorte d’intimidations et humiliations. Sans pourtant jamais y parvenir. La poésie trouve toujours une sortie. Même à travers les murs invisibles. Quoi qu’il se passera aujourd’hui, ne jamais négliger la poésie. Et d’autres arts. Car, comme on dit, c’est ce qui reste quand il n’y a plus rien. Pas tout à fait vrai. La culture c'est ce qui reste tout le temps. Dernière lumière avant la nuit. Et la première avec le retour de l'aube.
De la naïveté hors-sol de nanti relatif ? Sans doute. Mais à chacun, chacune, son lundi. Et son issue de secours. Soixante-huit millions de lendemains. Tous uniques. N’en déplaise à certains frileux du cœur et du cerveau, l’humanité ne se réduit pas à une comptabilité. Ni à une identité de papier et numérique. Chaque être est plus complexe que des slogans de tout bord. La complexe solitude de l’humanité se lit dans chaque regard. Certains font l’effort de la lecture. Voyager à travers le récit de l’autre. Des histoires différentes de la sienne. Un dépaysement de soi. D’autres se contenteront de la lecture de leur miroir : toujours la même histoire, sans suspens ni surprise. Stop digression. Une question est posée. Elle attend sa réponse. Dans un dimanche au bord du vide. Soixante-huit millions d’histoires en suspens. Que faire demain après ouverture des paupières ?
Laisser entrer la poésie, etc.