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Billet de blog 7 septembre 2016

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Lettre à ma haine

Incapable de vivre sans ennemi. Morte de trouille à l’idée de ne plus avoir de haine sur le feu. Fort heureusement l'actualité me fournit chaque jour nombre de sujets pour nourrir mes haines et les partager. Mettre mon intelligence et mon micro au service du pire de notre époque. Et du pire de ma personnalité. Comment me sentir vivante sans haïr ?

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Léo Ferré J'adore, je hais © mozartluc

        Pourquoi ce geste stupide ? C’était plus fort que moi. Je n’ai pas réfléchi avant de le faire. Un réflexe comme de se brosser les dents ou regarder à droite et à gauche avant de traverser. À aucun moment, je n’ai eu l’impression de mal agir.  Bien au contraire. «  Comment une femme intelligente et cultivé comme toi à pu réagir de cette manière ?  Un acte en plus complètement contreproductif.». Cette question de l’une des mes amis a déclenché tout un tas de questionnements, pour ne pas dire des remises en question. Sans doute que ce courrier en a découlé indirectement. Un courrier adressée à toi : une part de moi, très enfouie. Cet aspect de ma personnalité, fruit de mon éducation, que tu alimentes en boucle. Une part qui m’a mise dans une très grosse merde. Une part que pourtant, malgré les insultes et une forme de honte, je n’arrive pas à renier. Comment renier ce que je suis au plus profond ?

 Car cette haine, le nouveau nom que je t’attribue,  c’est moi. Elle est intériorisée depuis ma plus tendre enfance. Bien sûr, je ne suis pas née avec. Elle est arrivée de l’extérieur. D’abord de mes parents puis, au fil du temps, des rencontres avec des gens qui me ressemblaient. Toutes mes copines, tous mes copines, tous mes amants, ont le même genre de pensées que moi. Formés aux même amitiés et détestations. Tous ceux hors de notre miroir - chrétien, blanc, hétéro - sont de fait nos ennemis. Même s’ils sont nés dans la même ville que nous, fréquentent nos écoles et espaces publics. Muslim, juifs, noirs, PD, gouine, trans, gauchistes…  Nous avons une liste commune de gens à ne pas fréquenter, voire à combattre et jeter hors de nos frontières. Chacun la connaissant par cœur. Une liste devenue aussi banale que celle des courses. Pourquoi appeler ça de la haine ? Pour mes proches et moins, c’est naturel ; dans l’ordre des choses. Penser ou vivre autrement serait impensable. Pire qu’une amputation.

Ce n’est pas la première fois que je commets ce genre d’acte. Sauf que, les rares fois où j’ai été repérée, ça n’a guère porté conséquence.  Pas même une amende. Au lycée, mes proies étaient surtout les femmes voilées dans la rue. Dès que je pouvais en insulter une, parfois la secouer et m’enfuir, je m’en donnais à cœur joie. En général, elles baissent les yeux et filent sans demander leur reste. Faut juste éviter de les agresser dans les lieux très fréquentés par les muslims. Comme de déchirer l’emballage d’une barquette de porc avant de la déposer devant la caissière voilée de la supérette de notre quartier. Pliée de rire avec les copines en voyant son malaise. Nous mettions aussi des photos de femmes à poil dans les boîtes aux lettres des muslims. Le plus beau coup à été de balancer des strings et des soutiens-gorge dans la cour de la mosquée. La presse en a parlé. J’ai gardé l’article. Comme d’habitude, les « islamocollabos » sont allés manifester leur soutien. Eux aussi sont en bonne position dans la liste. La haine a ses priorités. Le white power finira par gagner. La chrétienté renaître de ses cendres en Europe.

Comment s’est faite mon évolution ? À mon arrivée à la fac, j’ai compris – grâce à un prof - qu’il fallait agir différemment. Employer d’autres méthodes, plus subtiles. Ne plus apparaître comme des brutes xénophobes, antisémites et homophobes. S’adoucir. Occuper peu à peu les médias. Se couler dans le moule sirupeux de la démocratie. Voilà pourquoi j’ai attaqué des études de droit et, après des études Sciences politiques, je suis devenue journaliste. Armée par ceux que je voulais combattre. Au début, dans les médias tenus par nos ennemis. Ils sont beaucoup plus puissants que nous. Surtout ne pas les attaquer de front. J’ai courbé l’échine une année dans une radio entre leurs mains. Jusqu’à la proposition d'une chaîne de télé proche de mes idées.  «Jamais montrer son vrai visage. Sourire même face à des insultes.  Offrir en toutes situations une belle image à l’opinion publique. ». Formée par une spécialiste de la manipulation par les médias. Très brillante, je suis devenue très rapidement une des animatrices vedette. Jamais déstabilisée et appréciée pour sa courtoisie. Une excellente recrue pour la communication de nos idées. Avant ce direct où j’ai perdu mes nerfs. Qu’est-ce qui m’a pris de le cogner ?

Aujourd’hui, je suis complètement seule. Rares, de plus en plus rares, ceux qui me soutiennent. Mon acte, relayé par les télés du monde entier, m’a mise au ban de la société. Même de ceux qui partagent mes opinions. Je ne suis plus fréquentable. Seuls les plus violents de nos militants de base, ceux que nous cachons le plus possible dans nos manifs, jamais filmés par nos caméras, m’apportent leur soutien. La majorité de mes concitoyens me détestent. Je ne cesse de recevoir des lettres d’insultes. À tel point que je suis désormais sous surveillance policière. Plus possible pour moi de me déplacer sans protection dans les rues. Je préfère rester chez moi. Regarder ma ville de derrière les fenêtres de mon duplex. Une reléguée de luxe.

Cette solitude forcée m’oblige à réfléchir, voir plus loin que mon miroir et mon éducation. Tenter d’éclairer les zones sombres de mon être. Comme cette haine chevillée au corps. La barbarie d’une jolie blonde, les yeux bleus, bardée de diplômes. La belle-fille idéale qui sait se tenir à table et à l’église. Difficile de m’imaginer porteuse d’une telle violence. Pas la seule dans mon cas. Nombre de journalistes, avocats, médecins, intellectuels, sont eux-aussi habités par toi : haine du jour ou transmise de génération en génération. Rien à voir avec la haine brutale de rue ou d’autres lieux publics. Trop cultivé et propre sur soi pour se salir les mains dans une ratonnade ou une descente chez des antifas ou islamo collaborateurs. Nous contentant juste de distiller des images choisies et mêmes bidonnés, la formule choc récurrente, pour rajouter de l’huile sur le feu.  Montrer du doigt les ennemis de notre nation aux valeurs chrétiennes, soucieuse de la vraie famille avec un père et une mère. Notre meilleur fonds de commerce ce sont les terroristes. Avant même les roms et les migrants. Chaque massacre terroriste enrichit notre cause.

 Le sang des attentats apporte beaucoup d'eau à notre moulin nationaliste. Comme toutes les incivilités des jeunes musulmans des cités et les provocations des intégristes. Important de mettre tous les musulmans dans le même panier de barbares. Quitte à détourner la laïcité pour en faire une arme de plus. Comme en France avec le Front National et certains intellectuels, journalistes, maires, inoculant la haine des étranger en boucle sur les plateaux télé ou à la radio. Notamment un chroniqueur télé dont les livres sont des bestsellers. « Donner un prénom pas français à son enfant, c'est se détacher de la France....». C’est sa dernière petite phrase qui tourne en boucle. Très fort pour toucher les français les plus fragilisés en quête d’un bouc émissaire pour se sentir moins bas que terre, les rallier à sa cause et celle de ses alliés. Des formules choc touchant les tripes, sans passer par la case cerveau. Même propagande que les islamistes qui, eux-aussi, savent bourrer leur cerveau – déjà vidé par la téléréalité et le fast islam  du Web - de leurs partisans les plus décérébrés.  Une guerre d’occupation des esprits. Quelle conne de m’être laissée ainsi aller. Montrer mon vrai visage a ruiné ma carrière et ma vie. Que vais-je devenir ?

Tout perdre à cause de quelques coups. Nous interrogions un homme politique à la sortie du parlement. Des migrants manifestaient à quelques mètres de mon camerman et moi.  L'un d'entre eux s’était approché de nous. Il se tenait immobile, les bras croisés. Comme de nombreux autres badauds attirés par les caméras. Nos regards se sont croisés. «  Retourne dans ton pays espèce de connard ! Graine de terroriste  et de violeur  ! ». Je ne sais pas ce qui m’a pris de me ruer sur lui, le gifler et le cogner à coups de micro. Les collègues de notre équipe de télé m’ont tout de suite éloignée. Trop tard. La scène avait été filmée par les autres caméras et les Smartphones. Impossible de faire croire à une quelconque agression de sa part. Des années de construction d’une façade parfaite balayés d’un seul coup. Ma haine en boucle sur la toile planétaire. Foutue.

Bien sûr, pas que les nationalistes, fachos, intégristes de tout poil, qui ont des poussées de haine. Pas mieux placée que toi chère haine pour savoir que tu es présente sous sept milliards de peaux. Qui, même le plus humaniste et altruiste, n’a pas eu envie d’étrangler son voisin ou celui qui vient de griller le stop ? Personne n’y échappe. Mais fort heureusement la majorité sans tenir en laisse sa violence, ne pas se laisser entraîner par ses pulsions. Qui aurait tendance à laisser parler ses bas instincts ? La plupart du temps les bas du front, incultes, endoctrinés par certains politiques ou religieux extrémistes. Pour ainsi dire une partie de mes ex-spectateurs. Impossible pour moi de ne pas avoir une forme de mépris pour leur servitude volontaire. Un mépris qui me revient en pleine gueule. Persuadée de ne jamais, comme eux, faire le coup de poing ou lâcher des insultes en public. Sûre que mes années d’étude, mon QI très développé et ma maîtrise de la communication, me préserveraient d’un tel spectacle. L’intelligence et la culture n’empêchent pas la haine. Une haine que je croyais au service d’une idée. Mais aujourd’hui, je sais qu’il n’en est rien.  Je hais parce que je ne suis rien sans cibles à abattre. Incapable de vivre sans ennemi. Morte de trouille à l’idée de ne plus avoir de haine sur le feu. Fort heureusement l'actualité me fournit chaque jour nombre de sujets pour nourrir mes haines et les partager. Mettre mon intelligence et mon micro au service du pire de notre époque. Et du pire de ma personnalité. Comment me sentir vivante sans haïr ?

Voilà pourquoi je t’écris aujourd’hui chère haine. Pour me débarrasser de toi.  Cette idée de vivre, sans ton omniprésence à mes côtés, m’obsède. Facile à penser, dire, écrire ; pas à concrétiser. Comment effacer et remplacer trois décennies d’éducation ?  Inverser toutes les idées lues et intériorisées depuis l’enfance. Au fond,  je doute de pouvoir y parvenir. En tout cas pas entièrement.  Une importante partie de moi reste persuadée encore que tu n’es pas de la haine. Que les bisounours de l’humanisme m’ont manipulée avec leur angélisme mortifère pour notre civilisation. Ils ont réussi à me culpabiliser. Se servant de ma crise de folie pour semer la confusion dans mon esprit. Me faire croire que notre combat contre les muslis et leurs alliés, ceux qui veulent transformer nos familles et le mariage,  n’est pas légitime. Ordres et contre-ordres se télescopent sous mon crâne. À la moindre occasion, je sais que je peux basculerai à nouveau dans ma croisade. Prête à reprendre le flambeau. Retrouver le goût de la haine. Comment sortir de tes griffes ? Ne plus avoir besoin de haïr. Ou juste le minimum vital.

Réussir à me déradicaliser ?

NBCette lettre-fiction est  inspirée d’un croche-pied qui a fait le tour de la planète. Le migrant s’est relevé. L’histoire de ce « tacle médiatique » a ému nombre de personnes dans le monde entier. Un carton rouge international pour la cameraman. Tandis que ce migrant syrien a repris son métier d’entraîneur en Espagne où il a été accueilli comme un héros. Rare que la haine engendre de belles histoires. L’arbre qui cache la forêt obscurantiste de notre début de siècle ?

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