"Quelle est la couleur du vent ? "
Question d'un enfant aveugle.
Chère Nadine Morano, je vous écris de ma cuisine. Une lettre un peu speed car je suis à la bourre. Toutes deux avons un point en commun: notre couleur de peau. Comme d'ailleurs Manuel Valls cherchant désespérément le "blancos". Lui aussi semble inquiet de la " blanchitude nationale". Ni vous, ni Manuel Valls, ni moi, sommes responsables de notre couleur de peau. Pas de fiche de "choix de couleur" à remplir à la sortie du ventre. Vous naissez sans connaître la couleur de votre peau, ni le choix de vos activités futures. Tout reste à faire. Votre premier cri n’a pas été « je suis de race blanche et je veux entrer au LR (seul parti politique dont les journalistes emploient rarement le sigle ? ) pour être candidate en Meurthe-et-Moselle. Le jour de ma naissance, je ne savais pas que j’étais blanche, ni que je deviendrai caissière de supermarché. Juste un p’tit bout de chair fripé. Le début de mon histoire de femme.
Cela dit, je n’ai aucune honte de ma peau blanche. Ni de fierté non plus. Chaque matin, je ne dis pas dans ma salle de bains « Miroir, dis-moi que j’ai la peau la plus blanche de France et du monde.». D’autres choses à penser à ce moment là avant de courir au boulot. Trop concentrée sur mon brossage de dents et mon rouge à rêves comme dit mon plus jeune fils. Puis cavalcade vers l’école maternelle et la crèche. Pas une femme de race blanche. Juste une mère de famille toujours à la bourre. Et inquiète de ses fins de mois.
Quel est la couleur de mes amis ? Pas de temps à perdre avec ce genre de questions. Autre chose de plus intéressant à penser et vivre. L’amitié n’a pas de couleur. Comme la connerie d’ailleurs. La couleur de mon compagnon ? Elle, je la connais bien : couleur colère. Depuis qu’il m’a plaquée avec les gosses. Un vrai lâche. Blanc ou noir, un salaud reste un salaud. Ça y est, je digresse. Mon histoire personnelle ne regarde que mon miroir. Et mes proches.
De quelle race est un AVC ou un cancer ? La douleur n’est pas noire ou blanche. Comme l’amitié et l’amour. Votre quête effrénée de blancheur est sans doute le reflet d’une profonde trouille. Rêvez-vous parfois que vous vous réveillez dans la peau de votre amie noire ? Ou dans celle d’une musulmane voilée ? Une véritable hantise pour Nadine Morano. D'autres rêvent au contraire de vivre dans une autre peau. Ils sont même prêts à repasser leurs cheveux crépus ou frisés pour les rendre raides comme ceux des blancs. Pas que Michael Jackson fantasmant de devenir blanc.
Serait-ce une indicible honte qui motive vos propos et vos actes ? A croire que vous ne vous sentez pas très bien dans votre peau de blanche et de blonde. Pourquoi sinon revendiquer ce qui est incontournable avec autant de force et même de violence ? Auriez-vous un problème important d'identité ? Pas de soucis Nadine, vous êtes vraiment bien blanche. Rendormez-vous, c'était juste un cauchemar. Le réveil ne va pas tarder à sonner. Et le soleil se lever.
Moi aussi, je suis blanche et blonde. Pas la seule sur la planète. Pourquoi en faire une telle histoire ? D’autres, d’une autre couleur de peau que vous, ont le même genre d'obsessions épidermiques. et se revendiquent leucophobes. Toujours plus blanc ! Toujours plus noir ! Toujours plus judéo-chrétien, toujours plus musulman, toujours plus...Toujours plus con ? La couleur de peau, le culte, le compte en banque, la classe sociale... Rien de tout ça n'entre dans les critères de sélection de mes amis. Je suis beaucoup plus exigeante que ça. Et j'espère n'être jamais "l'amie blanche" de qui que ce soit. L'amitié n'impose pas ce genre de couleur.
Désolé chère Nadine, je n’ai pas d’ami noir ou blanc. Juste des êtres que j’aime et qui m’agacent aussi de temps en temps. Pas à une engueulade près. Un ami, sans défauts, s'appelle un robot. J'agace d'ailleurs souvent mes amis. Comment naît l’amitié ? Je ne sais pas. Comme pour l’amour; il n’y pas vraiment de règles. C’est la magie de l’existence. Une magie sans Rolex au poignet, ni cireur de pompes élyséen. Aucun besoin de diplômes, ni de passeport. Un luxe à la portée de tous les cœurs et regards. Même Bolloré ne peut le censurer.
Voilà que je me mets à poétiser de bon matin. Une poésie moins bonne que la confiture «figues-poires » étalée sur ma tartine grillée. Avec une tablette et un bon traitement de textes, on se prend tous pour de grands poètes. Peintre et poète du dimanche toute la semaine avec le numérique ? Je sais plus ce que je voulais.... Merde ! Je suis à la bourre! Pour conclure chère Nadine ; pas de soucis : vous êtes bien blanche et bien blonde. On le voit tous. Aucune inquiétude à vous faire. Quand vous aurez intériorisé cette certitude, sûre que la trouille et la haine ne vous habiteront plus à ce point. Enfin libérée de cet énorme poids. Vous vous sentirez sans doute mieux dans votre peau. Plus besoin de déranger votre "amie noire". Plus amie que noire?
Cette fois, faut que je file pour de bon. Aucune envie d’être une énième fois en retard à l’école des gosses. Le directeur va faire la gueule si j’arrive après la sonnerie. Mais il est sympa et comprend très bien la difficulté de ma situation; pas une raison pour exagérer. A cette heure ci, une seule couleur compte pour moi. Celle des feux tricolores.