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Billet de blog 8 janvier 2017

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Leurs crayons continueront de fleurir

Qui étaient ces êtres, si dangereux et maléfiques, à abattre d'urgence ? Une bande armée uniquement de mots et de dessins. Sans oublier le doute (intelligence suprême) souvent porté en bandoulière par les artistes. Deux barbares venaient de bousiller une part de mon enfance. Et l’enfance de tout un pays. Le grand Duduche et ses collègues noyés dans une mare de sang.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

    Deux enculés! Désolé pour celles et ceux choqués par cette expression. Une des expressions héritées de mon quartier populaire d’origine. Ce jour là, je l'ai répétée plusieurs fois devant mon écran. Fou de colère et de tristesse. Incapable de trouver d’autres mots pour qualifier ces deux (à chacun de choisir son insulte) venant de massacrer des individus sans défense. Qui étaient donc ces êtres, si dangereux et maléfiques, à abattre d'urgence ? Une bande de joyeux lurons, peut-être beaucoup plus désespérés que gais, armés uniquement de mots et de dessins. Sans oublier le doute (intelligence suprême) souvent porté en bandoulière par les artistes. Ce duo de barbares avait bousillé une part de mon enfance en quelques minutes. Et endeuillé l’enfance de tout un pays. Le grand Duduche et ses collègues noyés dans une mare de sang. Avec le recul, enculés me semble extrêment léger. Encore trop sympa pour ces deux.... Quelqu'un aurait une injure plus appropriée?

La haine contre les tueurs calmée puis, la sidération passée, il fallait absolument réagir. Ne pas rester prostré, impuissant devant son écran. Ce blog est donc né le 7 janvier 2015. Comme au même moment de très nombreux dessins et textes essaimèrent sur la toile. Des vagues de mots et d'images dont on se serait bien passés. En tout cas, il était important, même parfois maladroitement, de réagir rapidement à cette brutale obscurité nous tombant dessus un matin d’hiver. Un rideau sombre sur tout le pays. Comme une soudaine éclipse de l’impertinence tour à tour joyeuse et cruelle; la beauté et la culture au sens le plus large soudain occultées par un voile. Le voile de la connerie la plus crasse doublée d’une totale inculture, le tout alimenté par la haine et la frustration. Pas assez de matière grise sous le crâne pour trier le bon grain musulman de l’ivraie islamiste. Sûr que la Play Station et la Télé réalité bouffent beaucoup de temps de cerveau disponible à l’Art, la Culture, et toutes les fenêtres sur l’autre et le monde. La majorité des 2,8 milliards millions de musulmans déteste ces assassins dont ils sont les premières victimes. Tout a été dit et redit sur ces deux barbares et de tous ceux aux mêmes agissements sanguinaires. Que rabâcher de plus ? Répéter ne me paraît pas si superflu. Surtout que, le jour juste après le massacre à Charlie, ça a continué à Paris. Puis l’année d’après. Et la suivante. Répéter est donc d’utilité publique.

Très vite après la tuerie du 7 janvier, les polémiques ont débuté. Je suis Charlie ou je ne suis pas Charlie. Pour ma part, je n’ai pas l’habitude d’être autre chose que ce que j’essaye d’être; un sac de nœuds et de contradictions à ciel ouvert. Pas de main jaune ni de badge Je suis Charlie au revers de mon blouson. Jamais encarté non plus dans une association ou un parti politique. Mais chacun témoigne de sa colère et de sa solidarité de la manière qui lui convient. Indéniable que Je suis Charlie a été un cri du cœur de millions d'êtres blessés, de tous horizons, touchés par ce drame. Un cri sincère. D'autres ont crié différemment leur rage et colère. Mon témoignage de révolte contre la violente attaque de ce canard – lu depuis de très nombreuses années – s’exprima à travers l’ouverture de ce blog. Des mots qui, finalement, s’avèrent vains; de bien piètres armes de combat. Inefficaces contre la connerie humaine et les rafales de Kalaches. Mais rien d’autre en stock.

En deux ans, les guérillas sémantiques sur les médias, notamment autour de la laïcité, n’ont cessé d’augmenter. Polémiques générant même des fâcheries entre amis de très longue date. Chaque polémiste voulant tirer la couverture de la laïcité à soi. Moi je suis le bon laïc; pas toi. La laïcité, vieille dame indéboulonnable, n’est pas dupe et en a vu d’autres tenter de se l’accaparer. Puis, cerise sur le gâteau laïc, fleurirent alors les querelles autour de l’islamophobie. Certains, dont d’anciens défroqués de la fameuse main jaune qu’ils encensèrent, affirmant que l’islamophobie n’existe pas. Mort au juifs taggué sur une synagogue c’est de l’antisémitisme. Le citoyen blanc récemment torturé au Etats-Unis à cause de sa couleur de peau c’est du racisme. Certes, les noirs, premières victimes d'actes racistes aux USA, ont du mouron avec le retour en force du KKK et ses clones plus policés. Un homosexuel agressé à cause de son orientation sexuelle c’est de l’homophobie. Mort aux musulmans taggué sur une mosquée c’est quoi alors? Une déclaration d’islamophilie mal exprimée? Ce qui n'empêche pas que des malins d'intégristes se servent de ce bouclier d’islamophobie pour rendre incritiquable leur fanatisme. Toute critique contre leurs agissements disqualifiée car islamophobe. Comme l’extrême-droite se voilant derrière la République et la laïcité pour camoufler ses volontés fascisantes - de mieux en mieux camouflées. Les fascistes d’extrême-droite et ceux de l’islamisme cherchent à noyer leur haine derrière une jolie vitrine. Populiste, poujadiste, raciste, antisémite, sexiste, complotiste, sont parfois aussi d’excellentes armes pour devenir incritiquable et disqualifier un adversaire lors d’un débat houleux. À vrai dire, j’ai aussi tendance à me méfier de cette notion - sujette réellement à des manipulations d'obscurantistes - d’islamophobie. Pourquoi pas trouver un autre terme qualifiant la haine du musulman ? Ou un vocable unique (en esperanto ?) pour définir la connerie humaine.

Depuis janvier et novembre 2015, le 14 juillet 2016, des centaines de milliers de dépêches AFP ont coulé sur le fil de l’actualité. Les morts par balles, par explosions de bombes dites humaines, ou écrasés sous les roues d’un camion sont inhumés ou incinérés. Les blessés survivent tant bien que mal. Les proches des assassinés et des survivants portent en eux cette douleur sûrement impossible à oublier. Une douleur se réactivant lors des commémorations récurrentes? Un jour, une heure précise, marqués à jamais sur l’agenda de tout un pays ; inscrits  encore plus profondément sur les pages intimes des plus touchés : les rescapés des attentats et les proches des victimes. Avec, comme toujours, les instrumentalisations et récupérations habituelles de certain(e)s de nos chères et chers politiques sentant la bonne affaire dans les urnes. Sans oublier les trouilles légitimes (nos peurs, réelles ou fantasmées, peuvent anesthésier notre entendement) en croisant un basané, même sans barbe ou djellaba. Idem pour la suspicion – voire la haine- contre les femmes voilées, considérées par d’aucun (e)s comme des mères porteuses de bêtes immondes prêtes à se faire exploser dès la maternité. Mal barré l’avenir du vivre ensemble dans ce pays et en Europe; en fait partout dans le monde. Que faire pour calmer l’affaire? Je n’en sais rien. Juste capable de constater mon énième impuissance. Un billet de plus qui ne changera rien à la tension actuelle. Prose sans aucun effet sur la réalité.

Avant de conclure, je voudrais interpeller le grand absent de l’affaire. Pourtant soi-disant omniscient et fort puissant. Aucun témoin ne l’a vu au siège de Charlie, à l’Hyper Casher et à Montrouge (la policière municipale rarement évoquée dans la presse). Ni au Bataclan, aux terrasses des bistrots, au Très Grand Stade, à Bruxelles, à Oslo, à Alep, à Gaza, au Yémen, à Mossoul, à Istanbul, en Tchétchénie, à Jérusalem, au Mali… J’en oublie mais le staff de Dieu doit détenir toutes les informations et avoir géo-localisé tous les lieux de tueries le plus souvent en son nom. Sans doute même au courant des futurs massacres. Mais que fait Dieu ? À vrai dire, pour les athées comme nombre d’entre nous, son absence ne nous étonne guère. Comment un personnage de fiction, sûrement une très belle fable comme celle du Père Noël ou des promesses des politiques, pourrait régler des soucis bassement terriens. Sans doute à surfer au-dessus de ces contingences humaines. Pas Dieu qui subit tous ces barbares nous pourrissant la vie. Chaque journée marquée par leur présence mortelle. Des assassins de coins de rues et terrasses ou des croisés internationaux au suaire trempé de pétrole et de parts de marché. Petites mains et grosse huile de la terreur. Ils opèrent partout sur le globe. Et des milliards d’individus pris dans une nasse planétaire.

Dieu, juste une petite requête; pourrais-tu expliquer à tes fidèles que tu n’existes pas. Nous, ils ne veulent pas nous croire car sommes que des mécréants. La seule excuse de Dieu c’est qu’il n’existe pas, écrivait Stendhal. Les contemporains de l'auteur n'ont pas dû le croire non plus. Alors que tes fidèles te croiront si c'est toi qui leur affirmes que tu es juste un personnage de fiction ; une fable née dans un désert. Urgent de leur rappeler qu’ils ont tout à fait le droit de croire en ton existence; sans pour autant emmerder leurs colocataires de planète. Encore moins de les tuer ou les blesser. Les athées et agnostiques n'attentent jamais à l'intégrité physique des adeptes de telle ou telle religion. Ils ne contraignent aucun croyant à cesser d'exercer son culte. Apparemment plus que toi cher Dieu, peut-être aussi tes commerciaux sur terre si tu les briefes, pour pouvoir passer le message. Un message  destiné surtout aux fous furieux qui, en quête de vierges et de paradis, sont en train de créer un véritable enfer sur terre. Merci par avance de ta collaboration pour nous débarrasser des barbares agissant en ton nom. Et une très bonne continuation dans ta fiction. Nous, simples mortels ici-bas, préférons la réalité. Et d’autres fictions.

Comment résister à cette vague d’obscurantisme mondiale? Pas que la folie intégriste qui nous mène à l’impasse. Le culte du fric y participe. Nos dirigeants, pieds et poings liés au financiers et industriels sans scrupules et à la vue courte, sont en train de détruire la planète sur laquelle nous tentons de survivre. Idem pour la flore et la faune en voie de disparition. Que faire devant ce désastre programmé ? Toujours pas de solutions à fournir. Mais une phrase, lue au fil du Net, m'a fait gamberger. Elle me semble intéressante à méditer. Surtout en ce moment. Même si elle n'apporte pas non plus de solutions clefs en mains à la folie contemporaine. «Moi, je leur ai dit il y a deux ans: avant, être heureux c'était une option, maintenant c'est un devoir...». Qui a prononcé cette phrase? Évidemment extraite de son contexte que vous pouvez trouver ici. Il s’agit d’une femme s’adressant à ses enfants. C’est Chloé Verlhac, la veuve de Tignous. Des propos chargés de sens.

Faire l'éloge du bonheur contre l'obscurantisme. Suis-je atteint d'une poussée subite de bisounoursisme? C’est grave docteur ? Je suis enclin d'habitude à me méfier du bonheur et de ses différents masques; par trouille de trop s’habituer à lui avant son inévitable perte? Vieillir, les morts de proches ou d'éloignés, plus d'autres éléments visibles et invisibles, poussent peut-être à faire des infidélités à la noirceur rassurante- toujours fidèle et prompte à occuper le terrain. Quelqu’un a-t-il une meilleure proposition pour profiter au mieux de son éphémère passeport de mortel? Je suis preneur. En attendant, je vais boire un coup de rouge à la mémoire des Charlie et de toutes les autres victimes de la barbarie issue des religions et de calculs géostratégiques. Lever son verre c'est toujours ça que ces deux (pas déranger le dictionnaire de l’argot pour eux) n’auront pas réussi à nous prendre. Profitons-en aussi pour saluer Siné l’irréductible. Et tous les «sans dieu ni maître » guère en odeur de sainteté en ce début de siècle. Un siècle s'annonçant plus obscur que spirituel.

À la santé du doute et de la beauté !

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