« Les secrets et les mensonges ne déguisent pas seulement le menteur qui a agi en secret. ils déguisent tous ceux que le menteur a maintenus dans le noir, tous ceux qu'il a trompé. »
Oh, Canada, de Russel Banks
Une annonce reçue avec une certaine indifférence. Pour ne pas dire distance. Sans aucune joie d'apprendre sa mort. Je n’ai pas ouvert une bouteille de champagne (uniquement pour fêter de beaux événements) ni repris des nouilles comme disait le fort regretté Pierre Desproges. Qu'elle aurait été la réaction de l’humoriste de la mort de cet homme avec qu’il ne voulait pas rire de tout? Sans doute aurait-il balancé une petite pique vache et avec du sens dont il avait le secret. En match retour pour tous les deux, un tribunal des flagrants délires dans l’au-delà? Revenons sur le plancher de nos vacheries.
À chacun chacune sa façon de réagir à la disparition de cet animal politique d’extrême-droite. Une figure publique qui s’efface de la scène nationale. Comme d’autres avant lui. Et des prochains à venir. À vrai dire, sa mort ne m’a pas autant touché que j’aurais pu penser. Pourtant un homme politique que, comme beaucoup, j'ai détesté pour sa propagation de haine et de division. Celui que la jeunesse emmerdait. Avant qu'une grande partie d'elle n’aille voter pour ses idées avec d’autres visages. Malgré mes convictions et positions toujours intactes, je n’ai pas eu de réaction à sa mort. Si ce n’est un accusé de réception du départ d’une vieille personnalité politique, accrochée depuis longtemps sur le papier peint de l’histoire de ce pays. Avant de passer à une autre info du jour. Des événements d'aujourd'hui sont nettement plus importants que sa mort. En tout cas pour mon regard de citoyen d’ici. Semblable à la majorité de voyeurs numériques impuissants. Désarmés face au chaos contemporain.
Pourquoi une telle indifférence ? Sans doute parce que bien longtemps, que c’était devenu une sorte de « momie politique » inoffensive. Au fond, il a été toujours été beaucoup moins dangereux que ceux (pour qui on vote contre) qui l’instrumentalisent depuis des décennies. En fait, je ne suis pas si indifférent que ce que je prétends. M’intéressant à la fin de cet homme confiné dans l’ombre et la vieillesse. Loin des caméras et micros des médias. Parfois, je me rendais donc sur sa chaîne de télé. Une de ses dernières fenêtres d’expression sur le monde. Désormais, nous pouvons quasiment tous avoir sa chaîne de télé sur la toile. Pour le meilleur et le pire de notre ego. Chaque fois, mon visionnage de sa chaîne était chargé de culpabilité. Voire d’une irrépressible honte. Face à moi l’antisémite, le négationniste, le raciste, le tortureur de la guerre d’Algérie, l’homophobe, plus d’autre pire dans la même enveloppe corporel. Indéniable qu’il a été tout ça. Grand diviseur et haineux. Et moi qui, café à la main, le regarde deviser à domicile. Pourquoi cet étrange rendez-vous ?
Sûrement mu par un réflexe de romancier en quête de personnages. La figure du salaud est une bonne matière à fiction. Parce qu’elle nous secoue plus que celle de la bonté et bienveillances. Mais faut toutes sortes de figures pour faire un monde et nourrir la fiction. Je visionnais aussi ces vidéos par ce que j’aime savoir ce que disent et pensent mes adversaires. Ne pas me contenter du ronronnement de l’entre-soi. Me frotter à des idées aux antipodes des miennes. Bien entendu, nous ne sommes pas du même bord. En d’autres temps, ma chair aurait pu croiser sa « main électrique » sous le toit d'une villa algéroise. L’imparfait du subjonctif n’interdit pas de tutoyer Gégène. Comme on dit : ni oubli, ni pardon. Et contrairement à certains vieux copains(dont des gosses d'immigrés algériens), je n’ai jamais mis un bulletin de vote à son nom. Ni à celui de sa fille ou des clones avec les mêmes idées haineuse. Nos colères valent mieux. Malgré tout ça, j’ai regardé plusieurs émissions de sa chaîne de télé. Les derniers mots d’un homme dans la descente inexorable vers sa nuit. Sans retour.
L’excuser parce qu’il est devenu un vieillard au regard perdu ? Hors de question. Effacer son ardoise parce qu'il a passé l'arme à gauche ? Même mort, il reste comptable de toutes les saloperies qu’il a commise. Comme chacun et chacune d’entre nous. Certains avec des ardoises beaucoup plus lourdes que d’autres. Mais, dans tous les cas, la mort n’efface pas le pire d’une existence. Ce qui est son cas. Inexcusable et impardonnable. Mais à un moment, une sorte d’échappée sur l’écran. Plus l’homme politique - ignoble pour nombre d’entre nous - qui parle. D’un seul coup homme nu face à sa nuit. Son regard, essoré par la trouille, m’en a rappelé un autre. Celui d’un des voisins de mon quartier d’enfance. Surnommé par beaucoup « Le salaud ». Un surnom pas immérité. Mais à la fin de sa vie, je le croisais dans la rue : de plus en plus ratatiné. Même sa haine ne pouvait le redresser. Le gosse que j'étais ne parvenait plus à le détester. Le voyant dépérir au fil du temps. Plus qu’un tas de chair sous sa dernière parcelle de ciel. Au bord de son gouffre solitaire. Son regard est remonté à la surface. Se mêlant à celui d'autres salauds. Connus ou inconnus. Des salauds ordinaires ou avec page Wikipedia.
Qu’est-ce qui a généré ce moment improbable et troublant ? Quel est le déclencheur de ma mise en suspens de mon jugement sur un des salauds de l'histoire de notre espèce ? La question du journaliste lui demandait ce qu’il aimerait qu’on dise de lui dans 100 ans ? Interrogation classique de tel ou tel plateau télé. Avec bien entendu la réponse mécanique d’un animal politique extrêmement doué bien que très affaibli. Rien d’intéressant. Jusqu’au moment où il frotte ses doigts. Comme pour dire que ce n’est pas grand-chose. Que son histoire n’est que de la menue monnaie au regard des galaxies. Et là, dans un geste et une poignée de mots ; plus le même homme. Bien que ses saloperies restent sur l’ardoise contemporaine. Mais sa peur a soudain occulté le reste de sa personnalité et trajectoire. Un fétu de paille et de sang dans le vent. Soumis à son dernier souffle qui l’emportera comme chaque être. Que vous soyez umaniste ou pire des ordures. Dans ses yeux, plus qu’elle. Quoi ? La peur panique de la mort.
Un salaud ( héros et grand homme pour certains de ses proches et ses partisans) est parti. D’autres restent. Dont celles et ceux qui l’ont marionnettisé. Pour tenter de conserver leur pouvoir. Avec désormais de plus jeunes marionnettistes qui ont pris le relais. Sans se douter être en réalité les marionnettes par procuration de cet homme qui vient de partir. Avec la victoire en bandoulière. Ses idées sont partout. Une victoire posthume. Même dans la tête de certains cerveaux – amis - le combattant. Sans doute que je ne suis pas imperméable au virus brun sur le pays et la planète. Certes pas un scoop d’évoquer la brunisation (nationalisme et obscurantisme religieux mêlés dans le même sac à haine) du monde. Toutefois intéressant de rappeler que tout est plus complexe que ce que nous propose la façade. La vitrine nous vent (lapsus-clavis laissé volontairement) telle ou telle idée. Nous l’achetons. Mais pas la même idée qui se modèle dans l’arrière-boutique. Que faire à la livraison ? Combien de jour pour se rétracter contre une pensée non-conforme au produit proposé en vitrine ? Accepter ou refuser ? À chacun et chacune de réagir. Une idée ne rentre jamais de force dans un crâne. Rester sur le qui-vive. Même devant une belle vitrine dont nous avons l’habitude. Conserver l'esprit critique.
Sans doute que ce billet ne me fera pas que des amis. Et fera grincer certains proches. Mais peu importe. Ni encarté, ni journaliste, je ne suis pas contraint de suivre une ligne. Ni penser dans une direction unique. Une grande liberté de nanti. Comme de pouvoir se tromper, se contredire, revenir sur ses propos, se tromper à nouveau… Bref : rester un mortel imparfait. Avec sa part de salaud plus ou moins grande. Nos zones d’ombre comme si bien décrit dans le roman (Oh, Canada)très troublant de Russel Banks ; a-t-il été réellement le salaud décrit dans son texte ? La question se pose sans cesse pendant la lecture du bouquin. Fiction ou réalité d'un homme manipulateur ? Seuls, lui et certains de ses proches, ont la réponse. L’intime d’un auteur engagé qui nous interroge sur nos propres trajectoires. Sans prendre de gant avec sa propre histoire. Prêt à remuer toute la boue en lui. Quel salaud sommes-nous volontairement ou à force de petites lâchetés ?
La politique n’a pas de réponse. En tout cas le spectacle pathétique de nombreux politiciens et politiciennes de tout bord. Le show est permanent. Comme de nombreux autres citoyens et citoyennes, je m’éloigne de la gesticulation des egos. Plus de temps à perdre à regarder des agitateurs de vide pour se sentir exister. Privilégiant d'autres spectacles plus beaux et intéressants. Mais libres aux uns et aux autres de continuer d'applaudir ou siffler. Un éloignement du politique sûrement à tort. Avec toujours des retours de bâton. La politique ne lâche jamais l’affaire. Incontournable dans nos quotidiens. La négliger c'est laisser la possibilité aux pires de s'en emparer. Certes, mais besoin de prendre peu d'air. Une nouvelle respiration. Comme avec l'oxygène proposée par la poésie.
Qu'elle soit de mots, d’images, de musique, ou de silence. Petit ou grand poème du quotidien. Ici et là. Comment s’incarne cette poésie ? De moult façons. Pas de règles. La poésie ne se laisse pas enfermer dans une forme unique. Néanmoins, on peut tenter une réponse à travers l’un des emblèmes essentiels de la poésie. Lequel ? C'est le point d’interrogation. Celui qui nous pousse à douter. Un point d’interrogation planté pour penser plus loin que soi.
Banderille dans notre chair solitude ?
NB: Réalité et fiction se télescopent dans ce texte. Avec un cocktail de réel et d’imaginaire. Comme une espèce de reflet du grand trouble en notre ère de confusion et d'IA ? Souvent difficile de séparer la fiction et la réalité dans notre monde de plus en plus virtuel.
Pour nous nettoyer de ces digressions sombres et de notre boue contemporaine, un peu de poésie sonore....