Faire le mauvais choix. Prendre à gauche ou à droite ? À un moment de sa trajectoire, cette question se pose. Les plus réactifs y répondent rapidement. Tandis que d’autres vont passer pas mal de temps à tourner autour du rond-point et tenter d’anticiper ce qui serait le mieux. Quelle trajectoire emprunter ? Foncer sur la route de son rêve sans penser aux conséquences ? Rester raisonnable et suivre un chemin réaliste ? Après leur choix, certains êtres ne regretteront jamais. Si c’était à refaire, ils ou elles reprendraient le même chemin. Contrairement aux êtres regrettant le chemin emprunté. Si c’était à refaire, ils ne le re-fairaient pas.
Dans tous les cas, c’est plié. Rien ne se refera. Quelques-uns accepteront ce qui est désormais pour eux un mauvais choix. Avec de loin en loin, un soupir en regardant en arrière. Sans plus. Ni passer son temps à ressasser. Rien de plus naturel que de regretter. Nous avons tous des regrets plus ou moins lourds à porter. Quand on se tourne sur son passé. Qu’est-ce qui m’a pris de faire ce choix et pas l’autre ? Un regard n’empêchant pas le présent, ni la projection sur le futur. Comme on dit : faire avec.
Des interrogations revenant le plus souvent en vieillissant. Ici et là, nombre d’amis évoquent ce moment au cœur du rond-point. Je m’interroge aussi sur ce sujet. Sûrement qu’il y a eu de mauvais choix. Peut-être qu’ils étaient les meilleurs à ce moment-là, avant d’être contredit par la suite. Parfois, nous ne sommes pas maîtres et maîtresses de nos soi-disant décisions. Guère un scoop. Mais cette impression d’avoir fait le mauvais choix peut bouffer telle ou telle existence. Bien sûr, certaines histoire ne seront pas polluées en permanence. Mais quand c’est le cas, rien de plus terrible.
Tous les quatre. Je pense en particulier à deux vieux couples. Aujourd’hui, on dirait des hétéronormés. Tous les quatre se connaissent depuis l’adolescence. À un moment, les deux couples se sont fréquentés. Avant de se perdre du vue. Chacun son histoire sous le ciel de la même ville. Parfois, je les croise. Surtout l’un des deux couples. L’autre semble s’être recroquevillé, sortir de moins en moins. Un recroquevillement sans, doute lié à de la pudeur dissoute dans l’orgueil. Conscient d’une forme de chute. Un couple préférant s’isoler plutôt que montrer la face de leur histoire décrépite. Pourtant si belle et si joyeuse. Avant que le salpêtre ne se glisse sous la poitrine et le crâne. Plus que quelques lueurs-vestiges entre les paupières. La pâle lumière de « feu leur brasier ». Deux solitudes vivant sur les mêmes braises.
L’autre couple sort plus souvent. Seul ou à deux. Mais jamais loin l’un de l’autre. Reliés en permanence par téléphone. Souvent au moindre coup dans le nez à s’envoyer des reproches en public. Surtout elle, déclinant ses griefs à son « compagnon de chute » qui se ratatine. En préparant sa vengeance verbale quand ils se retrouveront seuls. Il balance le même genre de griefs, en son absence. Comme ces vieux couples que, gosses, on observait avec un irrépressible sourire en coin. Persuadés de jamais leur ressembler. Avant pour certains de finir par leur ressembler. Sans voir le couple de jeunes assis pas loin. Avec un sourire et un regard en coin. Souvent sans mépris. Parfois attristé par un spectacle pathétique. Celui de la fin de l’amour. Sans percevoir une forme de tendresse. Des gestes, une phrase, un silence. La tendresse ressentie et visible qu’avec le temps. ?
Le pathétique ce n’est pas que celui qu’on observe. Sûrement que ce sourire et regard en coin me sont parfois adressé. Ce type n'a vraiment rien compris au monde. Toujours englué dans une « utopoétique » complètement hors-sol. Traversé par telle ou telle colère et indignation qui n'ont plus de sens. Un homme du vieux monde qui ne se voit pas pencher. Sans doute vrai en partie. Nombre d’hommes en ce moment sont comme coupé en deux. Conscients qu’il faut déboulonner nombre d’anciennes pratiques. Mais sachant au fond d’eux qu’ils ne pourront pas effacer toute une partie de leur éducation. Juste s’adapter pour ne pas perpétuer des blessures. Continuer d'être avec sa part d'imperfections. S’adapter au monde en chantier sans se renier. Toute proportions gardées, comme les exilés. Pas d’ici, plus tout à fait d’ailleurs. Des exilés du vieux monde ?
Personne ne choisit entièrement, disait un prof d’histoire. Nous étions plusieurs collégiens à ne pas être d’accord avec lui. Sans doute en partie parce que la majorité fils et filles de prolos n’ayant pas du tout rêvé de leur activité quotidienne. Juste donner leur corps à la machine pour remplir le frigo, nourrir leurs proches, les éduquer, etc. Nous, nous voulions choisir entièrement. Pas à moitié ou aux trois-quarts. Sans doute la même réaction d’ados dans des quartiers huppés. Sûrement que nombre de leurs parents n’avaient pas rêvé de leur profession. Offrant eux aussi leur corps à la machine. Mais en haut. Tous les ados et jeunes du monde entier ont ce genre de réflexe. Refusant de brader leur vie. Ne jamais courber son rêve face à la réalité.
Dans tous les cas, la route est là. Quel que soit le degré de l'acceptation de son ou ses choix, il faut continuer d'avancer. Jour après nuit. Pas-à-pas. À moins de vouloir mettre fin à son histoire. Une autre forme de choix. Jeter la pierre aux êtres interrompant volontairement leur route ? Non. Même si c’est toujours douloureux pour leurs proches. Bien sûr que la vie est le plus grand des présents. Et qu’il faut essayer, avec ses petits ou grands moyens, tenter d’empêcher un arrêt volontaire de la route. Parfois, c’est peine perdue. Quand la souffrance est plus forte que le désir de vivre. Douleur psychologique ou physique. Souvent les deux sont mêlées. Une affaire intime et universelle. Du début à la fin, toujours sur un rond-point ?
Huit milliards de routes différentes.