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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 8 mai 2016

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Siné qua non

Siné était antisémite. Raciste aussi. Sans oublier homophobe, macho, sexiste, islamophobe, chasseurophobe, corridaphobe, miso… Sacré cumul pour un seul homme. N’en jetez plus, sa cour est pleine. La cour d’un non-courtisan.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pourquoi le traiter d’antisémite, raciste, sexiste, etc? Parce que sa liberté est gênante. Pas un saint, ni un type s’érigeant en modèle. Le genre de mec qu’on a envie parfois de traiter de sale con. Et la fois d’après, de boire un coup avec lui. Etait-il  coupable de toutes ces accusations ? Non. C'était en fait un provocateur devant l’éternel. Et derrière pour lui planter ses crayons.  L'un des derniers irrécupérables ?     

Illustration 1

Le vieux Bob a bu son dernier verre. Que restera-t-il de  lui? Pas grand-chose, après le passage des vers. Ils boufferont tout du bon vivant. Sauf sa liberté de dessiner et d’écrire. Ses coups de crayons contre  tout le monde. Un teigneux bourré de talent et de bon blanc. Pas un caricaturiste trempant sa plume dans l’eau tiède, ou les éléments de langage de la bonne pensée. Allant jusqu'au bout de tout, même de ses erreurs. Seuls les passionnés se trompent. Les autres se contentent de rêver dans le sens de la marche. Ne pas déranger. Vivre dans les clous.

Mort à Siné! J’aurais préféré lire ça  plutôt que «mort de Siné». A une lettre près, on passe de vie à trépas. Il ne sèmera plus sa zone. La zone d’un libertaire détestant l’excès de modération. Préférant se planter plutôt que de moutonner. Plus loup que mouton. Parfois même sadique le vieux grincheux. Mais, en creusant bien, on se rend compte que sa zone et beaucoup de ses dessins étaient bourrés de tendresse. Une tendresse la plupart du temps adressée à ceux qui n’ont rien, même encore moins. Se moquer des nantis et magouilleurs d'en haut pour laver l'affront aux invisibles. Cette masse appréciée que pour trimer, engrosser les actionnaires, et bien sûr aller voter. Pour autant, il ne s'agit pas d'occulter que certains de ses choix d’amitiés (ses potes devenus dictateurs)se soient avérés complètement à côté de la plaque. Qui ne s'est pas gourré sur un pote ? L’erreur est du côté de la vie. Plus que les donneurs de leçons n’apprenant rien de l’existence.  Parce qu'incapables de balayer devant leurs propres contradictions. Reconnaître leurs lâchetés et cupidités universellement partagées par le commun des mortels. Pas assez subtils pour penser mal ?

Qui n’a pas été un jour donneur de leçons? Avec ses gosses, son collègue de bistrot ou de boulot... Ce billet de blog ? Difficile d’échapper à ce travers banalement humain. Mais d’aucuns sont plus bruyants que les autres;  avec un micro ou un clavier, ils passent leur temps à être des gens bien, toujours sur la bonne rive de l’humanité. Incritiquables. Parmi eux, certains sont sincères et réellement bienveillants. Contrairement aux humanistes de façade et autres commerciaux de la «pensée qu’il faut» uniquement pour manger à la gamelle? Les mêmes voulant à tout prix coller des casseroles à des mecs comme Siné. Un irréductible qui ne courba pas sa plume devant Monseigneur Val pour bouffer à la gamelle. Comme d’autres de chez Charlie. Siné avait tous les défauts du monde. Ces proches doivent sans doute connaître le pire de sa personnalité. Mais il ne fut pas un larbin. Jamais couché comme en une du dernier Siné. Même dans la tombe. Son doigt érectile pointé vers le ciel. Provovateur jusque dans sa dernière demeure.Eternel subversif.

Pas un scoop tout ça. De la cuisine médiatique. Le plus important est cette sauce Siné très particulière, inimitable. Bien sûr, il y a d’autres cuistots de talent. Pas que le vieux Bob capable de mordre dans les conformismes de gauche et de droite, dégommer toutes les religions.  Se foutre de tout et de lui. Cela dit, il avait sa patte bien à lui. Et ses crocs. Un sanguin arrachant la chair de ses ennemis. Aucune légion d’honneur  n’aurait pu rassasier sa colère de gosse. Ce gosse de prolos qui sut très tôt  que le monde est fait sur mesures pour certains – souvent les mêmes se partageant le gâteau de la planète. Les miettes du monde moderne pour la majorité. Ces milliards de terriens sans héritage, ni comptes numérotés.  Une colère qui ne l’empêchait pas de se marrer.

Siné ne tomba pas dans ce panneau tendu aux pauvres qui ont réussi. N’oublie jamais d’où tu viens. Et tes origines pauvres. Faut que tu aides absolument ceux qui viennent du même caniveau que toi. Demande-t-on à un héritier, dans le monde de la culture ou dans d’autres cases sociales, de ne pas oublier ses origines de nantie? Fils de prolo à perpétuité, Siné  n’a certes pas oublié d’où il est issu. Pas eu honte de sa langue d’enfance, son quartier populaire dans chaque intonation de sa voix. Refusant, contrairement à un grand nombre d’exilés sociaux, d’effacer sa gouaille, ses vannes de bistrot grivoises, et les mots de son milieu d’origine, pour s’infiltrer chez les nantis de naissance. Donner le change pour être accepté parmi les dominants. Sa grande richesse fut de ne pas s’oublier en tant qu’individu. Un être pensant, baisant, picolant, se contredisant, débitant de conneries, lumineux, à gerber, drôle, nul, joyeux, triste… Vivant. Ni Dieu, ni Maître, ni racines prison. C’était un vieux gosse incapable de marcher au pas. Propriétaire d’un seul pays: sous sa peau. Jusqu’à ce qu’il s’en fasse expulser.

Siné va manquer? Pas du tout. Certains fantômes sont plus présents que nombre de momies de notre époque. Il n'est pas près de nous lâcher. Ses personnages continueront leur boulot. Personne ne pourra fermer les yeux de ses chats amateurs de Jazz et de bon pinard. Son majeur au cimetière de Montmartre restera  un pied de nez à tous les cons du passé, d’aujourd’hui, et de demain. Cons dont il fait partie. Car, me semble-t-il, sa force est de ne jamais avoir négligé sa part de connerie et de mauvaise foi. Seuls les êtres vivants «pour de vrai »sont capables d’accéder à la suprême connerie. Proche d’une forme de poésie. Et de ce vide que personne, ni l’éducation, ni les maîtres à penser, ne peuvent remplir. Vide composé de beauté et de boue. Réussir à devenir l’idiot du monde.

Qui est encore capable d’apprendre de ceux qui ne savent rien?  Ces citoyens que d’aucuns traitent de beauf car ils n’ont pas le profil de l’Obs, des Inrocks ou du Monde (pas les mêmes boss?).  Mais aussi d’autres, intellectuels ou pas, refusant le diktat de la pensée prédécoupée par tel ou tel éditorialiste, paternel, mère, curé, imam, rabbin, patron de parti, gourou bio…. Préférant le non savoir au savoir formaté. Privilégiant l’errance dans sa nuit, avec ses démons, plutôt que le jour parfait vendu par les marchands du temps d’antenne ou de conscience. Ou refourgué par d’autres, professionnels des bonnes causes bankables.  « C’est comme ça, tu signes en bas de page. » « Mais, mais… » « Pas d’inquiétudes, ferme les yeux, on pense et sait pour toi. En plus, on t’aime beaucoup. On va t’apprendre à penser dans les bonnes cases. » Essayer de fuir ceux qui savent toujours pour les autres. Débrancher le GPS de certains de nos politiques, intellectuels, journalistes, nous indiquant les routes à suivre. Ces routes que Siné et d'autres, connus ou pas, ont préféré inventer. Comment échapper à tous ces enferments et culpabilisations invisibles ? Privilégier peut-être les chemins non balisés. Se paumer pour découvrir. Vivre à découvert.

Pas de Rolex à 53 piges. Ni de carte de parti ou d’une quelconque association. Trop couard ou courageux pour signer un chèque en blanc à qui ce soit; même celui qui a raison? Rien à hériter d’un oncle exilé fiscal au Panama, ni d'héritage a transmettre à mes gosses. A part quelques mots de guingois publiés ici où là. Ainsi que de bons et mauvais moments gravés sur la buée du temps. Mais je dois avouer un péché: être amateur de grand luxe. Le nec plus ultra du luxe. Pas celui de nombre de nos dirigeants fort vulgaires. Je m'offre souvent un diamant de papier mensuel. Quel luxe de lire Siné. Beaucoup plus classe que les pisse copies parfaites, bien calibrées, obéissant à la voix de leurs maîtres et actionnaires. Lui restera comme un virtuose de la plume opérant dans la chair du monde. Un scalpel sans concessions, surtout pour ces messieurs qu'on nomme « grands ». Notre empêcheur de péter plus haut que notre ego de mortel. Un vrai emmerdeur de talent. La condition Siné qua non pour que le vieux Bob nous emmerde encore un peu: continuer de le lire. Et ainsi que tous nos emmerdeurs de talent encore vivants, assez libres pour douter d'eux et des autres. Des contemporains irrécupérables. 

 A la nôtre Bob!

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