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Billet de blog 8 juillet 2015

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La langue des hôtes

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        "L'exil apporte des odeurs et des couleurs. Sans oublier le silence dans ses bagages."

J Moren

Retour à la case départ. Aujourd’hui, c’est le grand retour. Cette fois, il sera définitif. Ma chambre est rangée. Plus rien ne témoigne des années où j’ai vécu dans ces quelques mètres carrés. Quatre murs qui sont prêts à accueillir une autre histoire.  Le regard d’un inconnu ou d’une inconnue qui partagera  le même point de vue que moi.  Un horizon  de toits.

Assise sur le matelas sans drap, je ne peux m’empêcher de repenser à cette gamine débarquant à Paris.  Plongée dans une ville où les gens ne parlaient pas la même langue qu’à la maison. Bien sûr, je les comprenais. J’avais appris la langue de l’école,  différente de celle de mon père et ma mère. Ici, les mots de mon enfance, ceux de l’intime, violence ou tendresse, n’avaient plus cours.  Parfois, comme pour me rappeler d’où je venais, je me parlais devant le miroir.  Une carte postale sonore de mon enfance. Et de cette jeunesse laissée au portemanteau d’une maison face à la mer. Elle y est encore accrochée.

Mon mari, un homme d’un village près du mien, devait m’attendre sur le quai de la gare.  Ouvrier dans une usine automobile, il était parti deux ans auparavant.  Quelques mois avant, il était revenu au village et m’avait averti que tout était prêt pour que je le rejoigne à Paris.  Inquiète, j’avais interrogé des yeux mes parents. Sans un mot, j’avais compris que je n’avais pas le choix. Même s’ils étaient tristes, inquiets eux-aussi de ce départ, il savait que je serai une bouche de moins à nourrir. Plus de poissons dans les assiettes de me frères et sœurs. Il fallait donc que je rejoigne mon mari. La seule personne que je connaissais dans cette ville ; la première où je mettais les pieds. Des heures passées à l’attendre. En vain. A la nuit tombée, j’allais voir deux policiers qui patrouillaient. Ils me dirigèrent vers un foyer d’accueil.  La porte à peine poussée, je détestais cet endroit. Et encore plus les autres filles qui s’y trouvaient. Chacun mon tour  inscrit dans la plupart des regards. Rares les cadeaux entre locataires du caniveau.

Fort heureusement, une femme du foyer me trouva un emploi deux jours après. Et surtout le toit qui allait avec. Je venais de décrocher mon premier poste de bonne. C’était chez un couple avec deux enfants. Lui était avocat et elle professeur. Des gens très sympathiques qui, comprenant ma situation, firent beaucoup pour que je puisse m’intégrer à mon nouvel environnement. Plus que de simples patrons, ils étaient mes premiers hôtes. Je leur dois beaucoup. Pas uniquement un échange financier. J'ai autant appris d'eux qu'ils ont appris de moi venu d'un monde loin du leur. Hôte dans les deux sens du terme

J’écrivis une lettre à mes parents pour leur expliquer la situation. L’un de nos voisins, ancien instituteur, leur avait lu et rédigé leur réponse. Je sentis qu’ils n’avaient pas très envie que je rentre. Apprendre que j’avais trouvé une place les rassurait. Chaque enfant était comme une épine dans leur couple. Mon départ en avait enlevé une.  Tous les deux ou trois ans, je leur rendais visite. Un mois à échanger silences et sourires gênés. Au fil du temps, je me sentis comme une étrangère. Les mots de ma famille de moins en moins les miens. Même en faisant attention, je ne pouvais m’empêcher de parler la langue des autres. Celle de ceux qui savaient et décidaient.  Mes retours s’espacèrent jusqu’à complètement cesser. Ne revenant que pour les enterrements.

Pas une seule fois mes parents, mes sœurs et frères,  ne sont venus me voir.  Pas de voyageurs. Morts à quelques kilomètres de là où ils avaient vu le jour.  Leur désintérêt de mon existence, ainsi que celles de mes frères et sœurs pourtant restés pas très loin de leur maison, n’était pas de l’égoïsme. Plus un réflexe animal. Comme ces chattes qui, après avoir transmis  les quelques rudiments pour survivre, ne s’occupait plus de leur progéniture ; parfois même la rejetant en soufflant ou à coup de pattes. Je ne leur en veux pas du tout.  Peut-être même m’ont-ils légué l’héritage le plus solide : l’autonomie.

Une seule fois, j’aurais vraiment aimé pouvoir leur parler, avoir leur avis- surtout de ma mère. Arrivé à Paris, je ne savais pas que j’étais enceinte. Que faire ? En plus de me plaquer, il m’avait laissé un poids dans le ventre.  Ma première patronne vit rapidement que ça n’allait pas. Elle me tira les vers du nez. Sans hésiter, ils me proposèrent de me payer le voyage pour aller me faire avorter en Angleterre. Je refusais. Pas question de leur devoir quoi que ce soit. Subtils, ils me proposèrent de les rembourser en plusieurs fois. Elle m’accompagna à Londres. Ma main dans celle de ma deuxième mère.

Entre temps, le couple quitta Paris pour le Brésil. L’un et l’autre sincèrement désolés de ne pouvoir m’emmener dans leur bagage. Mais ils me dirigèrent vers un autre couple cherchant une bonne pour s’occuper  d’une grande maison et de deux enfants.  Avant leur départ, le mari me glissa une enveloppe dans la main. Une somme qui me servit par la suite pour m’enfuir. Quitter la nouvelle famille qui m’employait. La femme tyrannique, le mari qui laissait traîner ses mains sur moi, les gosses odieux. Du paradis à l’enfer. Un jour, j’ai fait mes bagages et suis allée dormir dans une chambre d’hôtel. Une semaine après, je retrouvais une autre place de bonne. Aujourd’hui, on dit gouvernante d’intérieur ou d’autres termes techniques. Que le mot qui change, pas le travail.  En tout cas, je n’ai jamais été  une seule fois au chômage.  Départ avec une retraite suffisante pour quelqu’un comme moi qui n’a pas de grands besoins. Un toit sur la tête, me nourrir et me laver. Le reste… Je ne le connais pas.

La voiture est garée au pied de l’immeuble. Je grimpe à l’arrière. Première fois depuis que je vis à Paris que je prends un taxi. Mes bagages sont très lourds. Plus de quarantaine année dans le coffre. Pour une fois, je suis la femme derrière la vitre vue du trottoir.  Une femme qui n’a pas passé sa vie à s’occuper de celle des autres. Elever des enfants qui n’étaient pas les siens, faire des repas dans la cuisine de ses employeurs.  Une existence par procuration.

Dans quelques heures, je reviendrai pour toujours dans mon village. Attendues par les toiles d’araignée de la maison de mes parents. A leur mort, j’avais racheté leurs parts à mes frères et sœurs. J’avais traversé l’existence sans désir ni volonté, soumise au flux et reflux des jours. La seule chose à laquelle je tenais était cette bicoque de pêcheurs. Retrouver mes mots. La langue de mon enfance.

Ma bouée d'exilée bretonne.

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