La ramener. Même si tu n'as rien à dire. Le maître-mot de l’époque ? Sans doute une constante depuis la nuit des temps. Mais Net-tement plus facile de signaler sa présence avec les très nombreux moyens techniques actuels. Qui échappe à la course à la prise de parole à tout prix très en vogue dans notre jeune siècle ? Une augmentation des commentateurs compulsifs des événements quotidiens ? Même les gens dits cultivés, capables théoriquement de prendre du recul, ont beaucoup de mal à résister à cette tentation de parler uniquement pour occuper l'espace. Tous prêts à tout pour harponner l'attention de l'autre ? Avons-nous si peur de passer inaperçus ? Et d'être noyés parmi la masse des "zéro vue". L'invisibilité guère bancable en ce moment. La visibilité ou le néant. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir être vus et entendus du plus grand nombre de nos contemporains. Peser sur la balance de l’éphémère. Rien de plus humain. Moi je suis différent. Moi je suis atypique. Moi je... Faire de l’humour, parler fort, cyniser, écrire, rire, chialer, dessiner, bloguer, faire du théâtre, chanter, se tatouer… Chacune et chacun sa manière de la ramener.
Certains avec une forme d'élégance, d’autres voulant uniquement écraser l’autre pour marquer son propre territoire. Je suis d’ici. Je suis ça. Moi aussi je suis quelqu’un d’important. Plus important que toi. Combien tu as de followers et de vues pour être digne de me parler ? Hello la terre, je suis là. Faire assez de bruit pour être vu et entendu. Gesticulation parfois sympathique - toujours pathétique ?- au bord de son miroir. L’humain a-t-il horreur de son vide ? La trouille d’être avalé par le trou noir de l'oubli avant un dernier selfie ? Rien de nouveau sous le ciel des mortels. Sept milliards de sacs de nœuds à ciel ouvert. Et moi aime moi...
Des individus réussissent à échapper à cette surenchère de soi. Opérant souvent en binôme. Ils sont absents sur les photos et les écrans de contrôle de l’égo. Trop effacés pour être numérisés et retweetés. Un couple relativement soudé. Fort discret mais présent partout. Comment le reconnaître ? Il ne sonne pas au détecteur de sons et d'images. Des détecteurs placés quasiment dans tous les lieux publics et privés. Seuls les plus bruyants et adeptes de la visibilité à tout prix peuvent franchir ce portique. Faut montrer patte sonore et le plus de vues possible. Interdit d’accès aux silencieux et invisibles. Le duo prendra un autre vol. Plus tard. Ils n’est pas pressé. Son temps n’est pas compté. Puisque qu’il n’a pas peur de le perdre. Tous deux trop occupés à écouter le souffle sous la peau du monde. Un couple de poètes ?
Certains le sont. Pas la majorité. Juste des individus lambda équipés d’un fort taux d’écoute. Une minorité. Celle des individus capables de se taire quand ils n'ont rien à dire. Une oreille sans bouche ni souris pour cliquer ou œil numérique figeant l’instant avant qu’il ne nous échappe. Certains y parviennent par intermittence. D’autres, très accros aux réseaux sociaux, n'arrivent pas du tout à se taire, même quand leurs propos n'apportent pas grand chose de nouveau. Tellement de tentations pour vouloir la ramener. Rares ceux qui préfèrent le silence (seul moyen d'échapper réellement à ce manège virtuel) et refusent d'alimenter le flot ininterrompu d'images et de mots sur la toile et ailleurs. La majorité d'entre nous est-elle devenue narcissico-numérique ? L’une des armes, pour se croire le centre de l’univers, se trouve dans notre poche. Une arme en vente libre dans plein de boutiques. Revenons à ce duo qui, contrairement à nombre d'entre nous, refuse de participer au commérage 2.0. Quel est donc ce couple en voie d’extinction ?
Humilité et pudeur.