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Pour les jamais revenus de leur nuit....
Dehors, c’est la nuit. Dedans aussi. Même en plein jour, certains êtres sont en nuit. Sans étoiles. Pas la moindre lueur à laquelle s’accrocher. Un mur sombre comme un enclos de l’intérieur. Du lever au coucher. Impossible de se débarrasser de ces ténèbres sous la peau. Déprime ? Dépression ? Spleen ? Coup de blues ? Plusieurs dénominations pour tenter de décrire cette bascule d’ une histoire unique. Chute solitaire d’un être semblable - en apparence - aux autres. Comment décrire cet état ? Description très difficile de l’innommable qui habite un individu. Une présence soudaine et fugitive ou, au contraire, elle s’installe dans la durée. Quand chaque seconde devient un fardeau. Les épaules écrasées par le temps. Et le souffle sous la poitrine n'est plus qu’une mécanique. Réglée juste pour que le corps aille et vienne dans l’espace. Survivre avec les gestes et les mots du quotidien. Une carcasse sans désir.
Gosse, je voyais parfois des hommes et des femmes dans cet état. Des membres de ma famille. Mais aussi des voisins et des voisines. Quelques-uns jamais revenus de leur nuit… Je pensais d’abord que c’était dû à la fatigue. Sans doute que la pénibilité de leur boulot devait y être pour quelque chose. Le corps qui craque. D'ailleurs, nombre d'hommes mourraient peu de temps après leur retraite. Usés à la tâche et parfois à cause des nuages de nicotine sous la poitrine. Sans oublier les antidépresseurs liquides de couleur rouge, rosé, blanc, ou jaune. Certains adeptes du mélange de ces médocs sans ordonnance. Toutefois, la dureté des conditions de travail et les paradis artificiels en vente libre ne pouvaient pas être entièrement responsables de ce que je lisais dans leurs regards. Une lecture qui m’inquiétait. Je me demandais ce qui pouvait bien se passer dans la tête de ces adultes. Comment traduire les ténèbres entre leurs paupières ?
Le même ailleurs inscrit dans des yeux très différents. Des visages de tout âge, milieu d’origine, couleur de peau, sexe, etc. La déprime ou dépression est sans frontières. Comment peut-on la reconnaître ? Sans doute plusieurs éléments pour la repérer. Dont l’impression d’une absence de l’individu en face de soi. Partie dans un autre monde. Un voyage immobile. Dans ses profondeurs. Là où personne d’autre que soi ne peut plonger. Inaccessible qu’à un seul individu. Avec une chair et histoire unique. Un voyage hors du temps et des autres. Plongeon au plus profond de sa chair.
De plus en plus d’individus dans cet état qualifié de dépressif ? Je ne sais pas. Mais il me semble entendre souvent évoquer la dépression. Parmi mes proches ou au hasard d’une oreille tendue dans les espaces publics. Une réalité ou une mauvaise interprétation de ma part et d’autres ? Une psychologisation à outrance de ce qu’on nommait auparavant coup de mou ou pète un coup ça ira mieux ? Des questions qu’on peut se poser. J’aurais tendance à penser que c’est une réalité. Et que c’est une situation plus ou moins grave. Comme si la noirceur de notre siècle avait pénétré les pores de très nombreux êtres. La douleur du monde trimballée à l’intérieur de soi. Nos corps connectés plus sujet à la déprime ou dépression ? C’est reparti : encore l’antienne de tout est la faute de la toile et des réseaux sociaux. Je ne crois pas que les nouvelles technologies – bien content de les avoir dans nos poches GPisées… - soient responsables de la noirceur sous nos crânes. Sûrement le même spleen depuis la naissance de l’humanité. Une constante de toutes les solitudes humaines à ciel ouvert. Mais un état pouvant être inquiétant pour la majorité.
Quand on lit cette espèce de dépression dans le regard de certaines personnalités publiques. Surtout celles censées nous diriger. Et ici et là présider aux destinées de la planète. Les dépressifs lambdas n’occasionnent des dégâts que sur eux et leurs proches. Tandis que les malades avec pouvoir peuvent avoir des répercussions négatives sur un très grand nombre d’individus. De la guerre à l’écrasement de population entière. Rien de nouveau en réalité. Certains nous gouvernant sont des malades que le plus souvent nous élisons ; le problème, serait-ce notre soumission volontaire à courir culpabilisé et inquiet pour dégueuler notre trouille du pire à venir - sans cesse vendu - dans une urne électorale ? Aujourd’hui, on peut ajouter à ces personnalités dangereuses les apprentis sorciers et sorcières de la télé et des réseaux sociaux qui ont pris beaucoup de pouvoir. Parfois pouvant faire la pluie et le beau temps sur telle ou telle élection.
Avec ou sans pouvoir, la dépression est une souffrance. Pas qu’un sport de riches, comme j’ai pensé à tort très longtemps. Elle touche toutes les couches de la population. Souvent double ou triple peine au bas du panier. Sans oublier tous ceux et celles contraintes de s’exiler en urgence. La différence est que certains ont plus facilement accès aux soins que d’autres. Avec parfois la possibilité de se mettre au vert dans une résidence secondaire. Contrairement au SDF du coin de la rue trimballant sa dépression non soignée. Et toutes celles et ceux qui, malgré la souffrance, doivent continuer leur labeur pénible au quotidien. La dépression peut en effet toucher n’importe qui. Mais pas la même égalité en termes de soin ?
La dépression est un terme fourre-tout. Comme beaucoup de mots tournant autour de la psy. Souvent plus ou moins mal employés par des novices de mon genre. Peut-être qu’en fait, je m’égare et parle d’un autre état de soi. À côté de la plaque mentale… Le vocabulaire psy employé par de vrais pros (pas des dealers de mieux être tombé du camion ou collecté sur des magazines) est la plupart du temps très précis. Voire clinique. Mais l’air du temps est tellement psychologisés que ces termes sont tombés dans le domaine public. Avec évidemment leur dose d’interprétations approximatives ou fausses. Avec quelques fois des dégâts potentiels ; des parents inventant-inoculant des troubles psy (pour être raccord avec l’air du temps des problématiques contemporaines) à leurs enfants en parfaite santé mentale. La visite des cerveaux n’est pas conseillée à tout le monde. En tout cas, essentiel de chercher et trouver un bon guide pour ce voyage intérieur. Une parole pouvant vous éviter certains écueils. Toutefois, cette visite guidée n’est pas une obligation. On peut s’en passer toute une vie. Vivre sans psy n’est pas une maladie. Ni une honte.
Quelle serait la définition de la dépression pour les non-pros de la psy ? Difficile de répondre en se sachant être dans l’approximatif. Peut-être que… Non. Si, c’est peut-être… Suis-je dépressif ? Je n’en sais rien. Mais sûr d’être indécis. Trêve de digression pour donner une réponse. La dépression est un mal-être plus profond que tous les petits bobos mentaux. Quand péter un coup ne fait pas aller mieux. Ni se soûler la gueule. Les remèdes habituels n’ont plus aucun effet. Même au réveil, ce putain de rideau sombre devant les paupières. On a beau faire ; rien ne réussit à percer l’épaisse nuit qui a élu domicile sous son soi. Englué de l’intérieur. Mélancolie et dépression, sont-elles reliées ? Je n’en sais rien. Laissons la parole au pro. Pour continuer dans l’approximatif. Et comme pour la météo, le « ressenti psy ».
De temps en temps, je pense à certains et certaines qui ont basculé. Des plus ou moins proches. Certains définitivement partis. D’autres englués dans leur nuit. Quelques-uns disparus avec leur souffrance sous le bras sur les routes d’ici et d’ailleurs. La majorité d’entre eux a un point en commun : avoir réussi à détruire leur entourage. Parfois à coups de poings sur la compagne et les enfants. Parmi eux, plusieurs auraient pu ne pas basculer. S’ils avaient pris conscience de leur état. Plus facile à dire qu’à faire. Il ou elle ayant négligé (rien de grave, y a pire en ce moment sur la planète, ça finira par passer… ) une déprime anodine – quasi familière - ou dépression qui s’était installée et renforcée au fil du temps. Pour devenir une masse sombre entre soi et le monde. Peut-être aussi d’autres pathologies que la dépression. Dans tous les cas, des soins ou tout du moins une « oreille guidante » les auraient peut-être empêché de passer à l’acte. Tout casser autour de soi et se casser. Je pense notamment à un homme qui avait du talent. Doué pour l’écriture et le théâtre. Mais rongé par un mal qu’il a refusé de soigner. Persuadé d’être plus fort que lui. Une erreur qui lui fut fatale et le conduisit au bout d’une corde. Après avoir détruit sa famille. Du gâchis humain qui aurait pu être évité ?
Nul n'est à l'abri de la nuit intérieure. Celle qui dévore. Peu à peu ou très vite. Elle peut se glisser sous n’importe quelle peau. Même la plus équilibrée. Le numérique et les réseaux sociaux ont-ils accentué le nombre de dépressions sur la planète ? Question posée plus haut et avec une réponse différente plus bas. Sans doute que tout humain, doué d’empathie, ne peut être imperméable à tout ce sang et cette boue dégoulinant non-stop sur nos écrans et les ondes de la radio. Des images qui, même en se sentant blindées, peuvent nous atteindre au plus profond de notre chair. Mais peut-être que je me plante complètement. Ce n’est pas de la dépression lue dans les regards. Quoi alors ? La fin de l’espoir de l’humanité.
Notre espèce en voie de dépression ?