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Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

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Billet de blog 9 janvier 2025

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Dix ans de blog : contrôle technique

Dix ans ont tourné sur ce blog. Depuis son ouverture le 11 janvier 2015. C’était ma façon de manifester. En battant le pavé numérique.Juste après le massacre des Charlie. Puis des meurtres dans la rue et à l'Hyper Cacher. À ce moment précis, je ne voulais parler que de ça. Avant de retourner à l’ombre de la fiction. Puis ce qui devait s’arrêter a continué. Ce blog a-t-il encore du sens ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Pendule de Véro et Hubert © Marianne A


          La pendule ne fait jamais crédit. Même si on tente de graisser la patte à la petite et grande aiguille. Elles sont incorruptibles. Chaque seconde est débitée au moment de sa consommation. Rien à emporter. Tout se consomme sur place. Le meilleur ou le pire au menu du temps qui passe. Demain ? C’est une autre histoire. Comme tout à l’heure. Et même l’avenir. Ce ne sont que des projections. Sans la moindre assurance que le projet aboutisse à une concrétisation. Contrairement à l’instant vécu. Toujours abouti. Puisqu'il est débuté et achevé. Avec bien sûr tous les aléas du direct. Sans la certitude que le moment soit celui que nous aurions rêvé de vivre. Mais un chantier d’être réalisé. Avant la prochaine seconde.

           Dix ans ont tourné sur ce blog. Depuis son ouverture le 11 janvier 2015. C’était ma façon de manifester. En battant le pavé numérique. Une ouverture de blog initialement centré sur l’émotion, la sidération, et la colère à l’annonce du massacre des Charlie. Puis dans la foulée barbare, les meurtres dans la rue et à l'Hyper Cacher. À ce moment précis, je ne voulais parler que de ça. Avant de retourner à l’ombre de la fiction. Puis ce qui devait s’arrêter a continué. Des billets au fil de l’actualité. Fort heureusement pas que sanglante. Même si les nouvelles du monde sont souvent sombres. Qu’elles proviennent du coin de sa rue ou de l’autre côté du globe. Rares les motifs de joie. Mais elle existe. La joie n'a pas déserté la planète.

        Une décennie à traîner sur les routes de Médiapart. Avec une production de texte quasi-quotidienne. Certains billets pas mauvais, d’autres nuls à chier et dont on aurait pu se passer. Rien de plus normal que des déchets dans une production graphomaniaque. Tout le monde n’ a pas la chance d’être Georges Simenon ou d’autres auteurs et autrices avec très peu de ratés. À force de tâter du clavier au km, on ne se voit plus écrire. La tête dans l’écran. Sans voir qu’on fait fausse route. Ou, au contraire, sûr de soi ; on s’écoute trop écrire. Sans doute, aurais-je dû freiner le flux des billets. Mais trop tard. Des années de blog avec bien sûr de temps à autre, la lucidité, et son lot d’interrogations. Plus ou moins prégnantes. 

          Des questions sur un chantier d'écriture. Elles reviennent en force avec les dix bougies virtuelles. Plus insistantes que jamais auparavant. Ce blog a-t-il encore du sens ? Juste de la gesticulation d’ego sur la toile ? Du commentaire sans intérêt alimentant la machine à vide ? Trop de billets tuent le blog ? Sûrement des interrogations au très banales. Sans doute les mêmes questionnements pour nombre de blogueurs sur le web. Et avec peut-être la même appréhension que je ressens. Laquelle ? L’inquiétude de radoter et devenir pathétique. Sans être capable de m’en rendre compte. M’accrochant à ma petite fenêtre sur le monde. Sans avoir au fond plus grand-chose à dire. Ou que du mauvais réchauffé. Des plats indigestes.

        Comment sentir cette bascule ? Très compliqué de pouvoir prendre du recul et se voir pathétiser. Comme pour ses dénis qu’on ne peut voir par définition. Bien sûr, on peut arguer d'essayer de penser contre soi. Même d’y parvenir. Mais il y a des zones que la pensée contre soi ne peut atteindre. Souvent le lieu de ses certitudes rassurantes. L’ouverture d’esprit a ses limites. Et de l’autre côté, l’angle mort de sa pensée. Là où nos émotions ont pris les rênes. Plus fortes que la réflexion. Un espace où le ridicule est tué. Étouffé par notre certitude d’avoir raison. C’est là que commence le pathétique.

       Celui qu’on discerne chez les autres. En s’en moquant plus ou moins. Sans se douter que d’autres le voient en nous. Avec le même genre de petites ou grandes moqueries. Mais pas le regard moqueur qui pose problème. Rien de plus naturel que de prêter parfois le flanc à la moquerie. Souvent ça remet notre ego à sa place et nous rappelle à l’humilité. Surtout quand on est peu adepte de l’autodérision. Néanmoins rien de pire que de devenir pathétique sans s’en rendre compte. Persuadé d’être intéressant. Voire même très pertinent. Et indispensable au débat. Avec l'accaparement de la parole.

          Parfois, seul le regard de l’autre peut nous signaler le moment où il faut faire ses bagages. Laisser sa place avant de s'engoncer dans ses certitudes. Tailler la route sans se retourner. Pour aller reprendre une bonne tournée d’ombre. Se taire complètement ? Pas une technicité. Même si un sevrage de sa parole est recommandé. Faire en quelque sorte verbe maigre.  Ne pas vouloir la ramener à tout bout de champ. Même quand on connaît le sujet. Cesser de glisser son avis sur tout et son contraire. Accepter de ne pas savoir. Se replier dans le silence. Une présence avec uniquement les deux oreilles grandes ouvertes. Facile à écrire, pas à faire. Surtout quand on l’habitude de - trop? - s'exprimer. Quel est cet autre capable de nous signaler quand on est passé en zone pathétique ? Certains proches. Des êtres capables de ne pas nous faire de cadeaux. Et réciproquement.

         Interactif. Ce blog est ouvert aux commentaires. Autrement dit, les internautes peuvent aussi critiquer une éventuelle dérive pathétique ou le « je détiens la seule vérité vraie » mâtinée de « c’était mieux avant ». Rien de pire que ce genre de posture hautaine et sentencieuse. Celle qu’on ne supportait pas chez certains des générations précédentes. Préférable de se tromper réellement que de se croire infaillible et être à côté de la plaque. Nul n'est à l'abri de ce genre de dérive narcissique.  Que ce soit à un petit ou grand niveau. Les internautes peuvent pointer du doigt tout aveuglement de clavier.  Avec les outils que propose l'interactif. Comme en commentaire de tel ou tel billet. Ou par l’envoi d’un message. Même sans prendre de gants. Une critique sincère serait le meilleur service à rendre à ce blog.

          Des soucis de nanti ? C’est vrai. Suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour s’en rendre compte. La folie humaine est sans frontières. Avec toujours son lot de victimes – le plus souvent des civils - crevant dans une plus ou moins grande indifférence. Mais avec nos écrans, personne ne pourra dire qu'il n'a rien vu et ne savait pas. Si tout le monde n’avait que ce genre de problèmes de blog, le monde irait bien. En effet, c’est un luxe de pouvoir s’exprimer au quotidien. Sans peur des bombes ou d’être jeté dans une geôle. Je pense à nombre d’individus persécutés sur la surface du globe. Pour elles et eux, chaque jour est un combat à mener pour survivre et rester debout. Une lutte du réveil au coucher. Même leurs nuits sont traversées du combat en cours. Notamment pour ces femmes iraniennes qui prouvent leur grand courage de résistante. Chapeau bas à elles et à toutes les résistances légitimes. Néanmoins, relativiser n’empêche pas de se poser des questions sur son mode d’expression. Et douter. 

         Dix ans de billets dans deux jours. Peut-être que ce blog a atteint sa date de péremption. Et qu’il faudrait le clôturer. Même si je n’en ai pas très envie. Peut-être que je m’y accroche par habitude. Comme une sorte d’addiction numérique. Nombre de questions à me poser. Et de réponses à trouver. La boîte à gamberger est ouverte. Avec pose d’un détecteur. Comme une alarme à incendie. Capable de s’enclencher pour m’alerter. Et réagir. Pour continuer ou arrêter. Ramener ou non sa fraise numérique. En espérant que la machine s'enclenchera. Avec assez de bruit pour me secouer. Et prendre une décision.

        Un détecteur de pathétique.

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