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Grand désarroi dans la voix d’un copain. Il semble hésitant à vouloir en parler. Peut-être même une irrépressible honte. Il finit par balancer l’ignoble verbalisé. Des propos qui ont été tenus par une plus que très proche. C'est la femme qui l’a mis au monde. La même qui ne dit pas noir, ni même nègre. Pas non plus black. La barre de l’ignoble est mise extrêmement plus haut. Et la parole complètement libérée qui s’étale. Comme s’il s’agissait de propos anodins. Pour évoquer des êtres à la peau noire, elle dit singe.
Important de présenter cette femme. Même si ça n'est qu’une présentation hâtive et donc imparfaite ; de plus, aucun être ne peut se résumer à un seul de ses propos ou de ses actes. Une femme vivant dans une cité HLM en périphérie d'une grande ville ? Sa voiture brûlée toutes les semaines par des cailleras ? Une mosquée clandestine a poussé dans sa cave ? Contrainte de n’utiliser que de l’huile de palme ou de se vêtir en boubou ? Un groupe de dealers en permanence devant son domicile ? Ce n’est pas du tout le cas.
Une retraitée qui habite un tout petit village de France. Et d'après ce que j'ai compris, sans autres problèmes que ceux habituels de tout voisinage. Avec une population majoritairement comme elle : blanche. Sans doute beaucoup de retraités de son genre. Mais tout n’est pas si simple. En effet, il y aussi beaucoup d’étrangers. Des individus pas du village. Rôdant du matin au soir. Souvent en plus avec de grandes gueules. Et bourrés d'assurance.
Leur présence est quasi-permanente. Elle les voit et entend tous les jours. Pas des gens du village. Pourtant il n’hésitent pas à pénétrer chez les uns et les autres. S'introduire à tout moment de la journée. Comme s'ils étaient chez eux. En terrain conquis. Elle n'est pas la seule dans ce cas. Nombre de villageois et de villageoises sont là pour en témoigner. Impossible de ne pas croiser ces rôdeurs. Ne serait-ce qu’un instant dans la journée. Mais la plupart du temps, ils ne cessent de squatter l'espace. Très inquiétants ?
Des gens qui lui font peur. La seule à être apeurée ? Pas du tout. C’est pareil pour ses voisins et voisines. Une trouille subie par toute la population. Sur le qui-vive en permanence. Contraint de se méfier de tout et de tous et de toutes. De plus en plus rares, les habitants et habitantes n’ayant pas peur. Une grande tension règne dans le village. Comme dans ceux dans la région.
Une femme inquiète. Nous ne pouvons pas négliger son inquiétude quotidienne. Ces gens pas de son village lui font peur. Pas un jour, sans qu’ils ne fassent pression sur elle. Ils font aussi peur à la majorité de ses amis et voisins. De plus en rares, les foyers qui ne sont pas atteints par cette inquiétude. Fort heureusement, elles et ses voisins sont solidaires. Extrêmement soudés par la même peur. Celle importée par les gens pas du village.
Dehors, il fait peur. Pourtant, c’est dedans que tout se passe. C’est elle qui invite chaque jour les gens qui lui foutent la trouille. Ils ne passent jamais par la porte. Mais toujours par la fenêtre. Et c’est elle qui leur ouvre. L’ouverture de la fenêtre de son écran. Quelle chaîne regarde-t-elle en boucle ? Nul besoin de nom. Elle regarde des animateurs et animatrices qui lui font peur. Avec des ogres noirs et venus d’ailleurs. Une peur véhiculée par des animateurs et animatrices de télé ou -et- sur la toile. Leur boulot est de diviser.
Quel meilleur moyen que de faire peur. Mettre sans cesse une chape de trouille sur le quotidien. Pour ne plus vivre qu’à travers l’appréhension. Force est de constater qu’ils sont très forts. La preuve par la mère du copain. Plus ses voisins. Et les voisins de ses voisins. Une trouille numérique qui ricoche d’écran en écran. Indéniable qu’ils savent y faire pour créer de la tension. Ce sont d’excellents commerciaux cathodiques de la trouille.
Aucun problème de vols et de violence en France ? Ce serait se voiler la face. La délinquance n’est pas une vue de l’esprit ou un fantasme. Du vol de portable à celui de 4 millions d’euros. Nous avons nombre d’exemples de petits et grands délits. Plus les petites et grandes incivilités. Notre pays et la planète ne vivent pas sur un tapis de roses avec des poètes à chaque coin de rue. Mais avaler à longueur de journée les « appels à la trouille » ne changera rien.
Ni pour soi, ni pour ses voisins et ses voisines. Les vendeurs de peur ne veulent surtout pas que ça change. Sinon comment vivraient-ils. La peur est leur carte de visite. Sans elle, ils perdent tout. Faut absolument que le français qui se sent de souche ait peur de tous les métèques. Tous les individus ne correspondant pas à l’image d’un pays au visage blanc et baptisé à l’église. Chaque jour, les commerciaux de la peur circulent en répétant « ayez peur braves gens, surtout des Noirs, des Arabes, des Musulmans, des Juifs, des Gitans, des Migrants, des LGBT... ». Répété en boucle pour que ça rentre sous la peau.
Jusqu’à ce qu’une femme ôte sa qualité d’humain à un homme. Dégradé de l’espèce humaine. Plus un homme, mais un singe. À partir de ce moment-là, tout est permis. On peut donc le traiter comme un animal. Pas celui de compagnie qu’on cajole. Mais un animal à chasser. En quelque sorte, un sous-homme. Un terme rappelant les heures « noires » de notre pays et de l’Europe. Aujourd’hui, le ventre encore chaud est devenu planétaire. Avec désormais de nombreuses bêtes numériques sortant de la toile. Mauvaise affaire à suivre…
Le copain a bien entendu réagi à l'ignominie verbale de sa mère. Pas du genre à laisser passer ce genre de propos. Je n’ai pas les détails de leur échange. Si ce n’est qu’elle lui a assuré ne jamais voter pour l’extrême-droite. Et que c’était hors de question qu’elle leur donne sa voix. Ce qui est encore plus inquiétant. Où se situe-t-elle en désignant les noirs comme des singes ? Sans doute dans la confusion la plus totale. Une époque où l'on peut se lâcher verbalement et sur les réseaux. Sans se soucier du sens des mots. La confusion sous nos crânes règne en France et partout sur la planète. Pas un scoop.
Notre jeune siècle sera celui du brouillard et de la confusion ou ne sera pas ? Une question qu’on peut se poser. En une période où l’obscurité règne même sous certains crânes dits éclairés. Et nul d’entre n’est à l’abri de sombrer dans la confusion et penser avec les idées qu’on a combattu. Devenir des adeptes de la tendance actuelle : dénigrer, voire détruire, tout ce qui n’est pas moi et nous, tout ce qui n’est pas de mon côté et de ceux de mon camp. La machine à nous embrouiller tourne bien. Elle a de bons techniciens de tout bord.
Avec deux ennemis principaux : le débat et l’esprit critique. Surtout les éradiquer partout où il se trouve. Du clash mais surtout pas de débat. Avec la prime à la plus grande gueule. L' objectif est de nous transformer en « moutons de la haine ». Individus contre individus. Ou troupeaux contre troupeaux. Des conflits sous des regards numériques qui comptent les points. Avec un large sourire cynique. La haine est toujours un excellent produit d'appel. Pendant que les moutons de la haine se bouffent entre eux, le taux d’audimat et les dividendes explosent. Peur et business font très bon ménage.
Rien de nouveau. Le siècle dernier a fêté ses quatorze ans dans les tranchées. Sa quarantaine passée dans les camps de la mort, à Hiroshima, Sétif, Madagascar, les goulags, le Vietnam, le Rwanda… Une liste non-exhaustive d’horreurs ouverte encore de nos jours. Mais notre siècle me semble avoir une différence. Certes pas en termes d’imagination de notre humanité pour l’abominable et les horreurs. Avec des outils technologiques de destruction de l’autre et l’humanité de plus en plus performants. Quelle est cette différence ?
La vitesse de circulation de la confusion haineuse. Comme celle régnant sous le crâne de cette femme. Au point où elle emploie un terme digne des théories raciales en se défendant de voter pour extrême-droite. Pourtant raccord avec nombre de propos de ce qu’on peut désormais nommer fascistes puisqu’ils ne cachent même plus leur théorie de hiérarchisation des humains et, face caméras-mondiales, n’hésitent pas à lever haut le bras. A-t-elle conscience de ce que c’est de qualifier un homme de singe ?
Sûrement manipulée par les rôdeurs dans sa tête. Ils sont entrés chez elle par un écran de télé. Une arrivée tonitruante avec de la trouille plein les mots et les images. Venus pour commettre un vol dans son cerveau et son cœur. Sortira-t-elle de leurs griffes ? Sans doute très difficile. Ou au contraire fort simple. Comment peut-elle sortir de leurs griffes ? En n’ouvrant pas son crâne à n’importe qui. Surtout à de très dangereux personnages. Capable de tout pour arriver à leurs fins. Sans se soucier des dégâts dans les villes et villages de France. Pas si facile de se prémunir contre ces vendeurs de haine. Surtout en notre période d'extrême confusion.
Faire le tri à sa fenêtre d’écran ?