Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1831 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 mai 2020

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Fruits de confinés

Transformé en arbre fruitier. Ce que je suis depuis plusieurs semaines. Un arbre fruitier distribuant des fruits à 135 euros pièce. Jamais en plus de 25 ans de service, je n’ai autant verbalisé. Pas rentré dans la gendarmerie pour distribuer des PV de confinement aux km. Première fois que j'ai honte d'être gendarme. Bourré de médocs. Et au bord du non-retour.

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Marianne A

             Transformé en arbre fruitier. Ce que je suis depuis plusieurs semaines. Un arbre avec des fruits à 135 euros pièce. Jamais en plus de 25 ans de service, je n’ai autant verbalisé. Pas rentré dans la gendarmerie pour distribuer des PV de confinement aux km. Quelles ont été mes motivations ? Des questions en boucle dans ma tête. Pour protéger mes parents. Ils avaient peur de tout. Papa travaillait à la voirie de la ville et Maman à la poste. Ils ont fait construire dans un lotissement, à deux km du collège où ils se sont rencontrés. « Si ça trouve...». Qu’est-ce que j’ai entendu cette phrase. Les voisins, les jeunes du coin, les gitans, les musulmans, les terroristes, les Juifs, les punks à chiens du supermarché… Tout était source d’appréhension. Des ennemis partout. Malgré les caméras et leurs deux dobermans. Ils se sentaient en permanente insécurité. Sauf avec le cousin Jean-Pierre. Ses conseils étaient très écoutés. Mes parents toujours détendus quand il venait manger à la maison. Comme si tous les ennemis avait disparu d’un coup. « Je veux faire comme le cousin Jean-Pierre.». Un large sourire sur les visages des parents. Une micro-gendarmerie à domicile. Même si mon premier poste se trouvait à sept cent bornes de leur maison. « Tu sais, ça fait si plaisir à ta mère. ». C’était en fait pour lui; il voulait épater nos voisins. Je débarquais en uniforme. Sept ans que j’ai été muté dans ma région d’enfance. Ma maison construite dans un lotissement, à cinq km de la leur. Je suis devenu gendarme d’abord pour eux. Et aussi parce que rien d’autre ne m’avait attiré. Mais contrairement à ce que je pensais ; le métier m’a plu d’emblée. Très heureux de mon choix. Jusqu’à une rencontre. Je suis en arrêt de maladie. Et prêt à tout plaquer.      

       Sans doute en partie à cause du commandant de la brigade. Son attitude a changé depuis le début du confinement. Une pression au quotidien. Il a demandé à être vouvoyé. Sauf à Zohra et à moi. Nous l’avons jamais tutoyé. Le reste de l’équipe nous voit comme des fayots. Ils n’ont pas tort. En effet, les plus soumis à l’autorité. Jamais à remettre en question un ordre de la hiérarchie, même entre collègues du même rang. « Je suis ici pour rapporter les sacs que mes frères, cousins, et voisins de ma cité, ont piqué. Je sais bien que c’est une caricature. Qu’une minorité qui pourrit la vie de la majorité, mais... J’avais honte des agissements de... De la mauvaise image des gens des quartiers. . Pour ça que je suis gendarme.». Zohra encore plus intraitable que moi sur le règlement. Plus française que française, plus flic que flic. Je suis d’accord avec elle. La société est trop permissive. Faut serrer les boulons. Mais parfois, Zohra me fait peur. La pire en contrôle. Surtout les p’tits jeunes des mêmes origines qu’elle. J’ai dû intervenir plusieurs fois pour la calmer. « T’as vu le commandant. Il s’habille comme le président. Il parle exactement comme lui. Avec des mots qui existent pas. Si l’Élysée veut une doublure, il peut postuler.». Son changement exaspérait Momo, le plus ancien de l’équipe. D’ autres aussi en avaient marre. Surtout à cause des prunes de confinement. Certains faisaient la grève du zèle du PV. Le commandant ne cessait de les rappeler à l’ordre. Contrairement à Zohra et moi. De bons distributeurs automatiques de prunes.        

     Un soir dans le vestiaire, Momo avait sa tête des mauvais jours. « Les mecs, j’ai jamais fait ça de toute ma carrière. Je vais me foutre en maladie.». Voir ce vieux baroudeur dans cet état m’a inquiété. « Le masque risque d’être à 5 euros pièce. Et nous, on colle des prunes à 135 euros à des gens qui ont déjà du mal à vivre. De la folie. Moi, je suis pour le confinement et je veux faire respecter la loi. Mais pas comme ça. Vaut mieux leur tendre gratis un masque et expliquer comment on s’en sert. Quitte même à les raccompagner jusqu’à chez eux. Mais pas coller des prunes à des gens qui ont pas de résidence secondaire pour fuir. Voilà à quoi on sert maintenant. Normal que les gens nous aiment pas. J’en ai marre de faire chier les gens qui sont déjà dans la merde. Gardien de la paix, pas casse-couilles du populo. ». Ses yeux étaient rouges. « Tu les raques comment ces masques ?». Il a fixé Marco. « Combien de masques avec le pognon de dingue de l’évasion fiscale ? Et ailleurs. T’as besoin d’un dessin, Marco ? ». Nous étions tous très étonnés. Pas les propos habituels de Momo. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre. Un homme jovial et fin psychologue qui savait dénouer les tensions. « La majorité du pays approuve le confinement. Même si y en a qui le respectent pas. Pas un peuple entier devenu suicidaire d’un coup. Personne n’a envie de mourir ou tuer ses proches. Les gens sont juste en colère d’être infantilisés. L’école est finie depuis longtemps pour des millions de citoyens et citoyennes adultes. Bientôt, on va nous demander de délivrer des diplômes de bon et mauvais citoyen. » . C'était Fabien, le dernier arrivé à la brigade. Un des plus farouches adversaires du commandant. Le lendemain, Momo était en arrêt de maladie. Son départ a été le premier déclic dans ma série d’interrogations. Mais mon obéissance à l’autorité résistait.

        Quatre jours après, une piqûre de rappel de doute. « Les collègues vont coller une prune à une gonzesse sur une plage. Et vous savez sur qui ils tombent ? Une poupée gonflable.». Éclats de rire. « Et ceux qui ont pris un hélico pour verbaliser un mec dans les vagues. Au prix que coûte l’heure de vol, j’espère qu’ils ont pêché autre chose qu’une poupée gonflable. ». Nouveaux rires. « On se marre, mais y a des trucs sordides. Le mec refoulé d’un pont parce qu’il allait voir son vieux en train de mourir. Juste à quelques bornes. En plus, d’autres collègues l’avaient laissé passer. Et la vieille femme verbalisée parce qu’elle s’était arrêtée devant une Ehpad pour faire un coucou à son père derrière une vitre. Moi, je comprends Momo et… Ils sont en train de me rendre honteux de mon taf.». Les collègues, très remontés, se sont mis à critiquer la hiérarchie et les politiques. Comme jamais auparavant. Zohra et moi sommes restés muets. Le règlement a toujours le dernier mot. Quand s’est opérée la bascule ?    

         Sur une opération dans un grand parc en ville. Un samedi après-midi. Nous opérions des contrôles d’autorisation et vérification de bonne distanciation. Le commandant avait tenu à venir sur le terrain. Il a demandé l’autorisation d’ une vieille femme assise, seule sur un banc. Elle était masquée. Le téléphone du commandant a sonné. « Capitaine Jeff Saunier, vous vous occupez de cette dame. Dépassement de douze minutes et document rédigé de façon illisible.». Je me suis approché du banc. Elle a levé la tête. Un sourire aux lèvres. « Je ne conteste pas le retard. Mais pour le reste, je… ». J’ai froncé les sourcils. « Pièce d’identité, s’il vous plaît.». Elle m’a tendu son passeport. J’ai commencé à taper le PV. «Qu’est-ce que vous croyez ? Que je vais falsifier mon autorisation de sortie à 83 ans. On n'est pas des gosses.». Pas la première à me sortir ce laïus. Elle a toussoté. « Je n’ai pas dit à votre chef que… Pour l’écriture illisible, c’est à cause… Je suis atteinte de Parkinson. ». Elle me prend pour un naïf ou quoi ? . J’ai continué de rédiger le PV. «Moi, je vous ai jamais mis de punitions.». J'ai levé la tête de mon écran.

     Elle a porté la main à son masque et s'est ravisée. « Mon visage a dû bien changer. Je suis Éliane Tondier.». J’ai blêmi. Ne sachant plus où me mettre. Face à mon instit de CE2. « Vous allez quand même pas m’apprendre à écrire à mon âge.». Elle a eu un petit rire. J’ai grimacé. « Désolé. Je vais annuler le PV. Mais faut que… Je dois en référer à mon supérieur.». Aussitôt dit, aussitôt fait. Le commandant a pris son air de président en guerre. «Cher Capitaine, pas de passe-droit. Cette femme a commis une infraction et doit être sanctionnée.». Je suis revenu penaud. « C’est impossible. Je suis désolé. ». Elle a soupiré avant de se replonger dans la lecture de son journal. M'ignorant totalement. J'avais du mal à écrire. « Madame, je… Je suis...». Elle s’est levée sans un mot. Je l’ai regardée s’éloigner. Même son dos me crachait à la gueule. De retour à la brigade, je me suis précipité aux chiottes. Honteux et en colère. Mettre une prune à mon instit de CE2. Pourquoi ne pas avoir refusé ? Je me suis mis à chialer.

     Le lendemain, je suis resté au lit. « C’est bientôt fini le confinement et les amendes.» Ma femme a essayé de me remonter le moral. « Marre de tout ça. ». J’ai remis la tête sous le drap. Elle a aussitôt appelé le médecin. « Vous ne pouvez pas retourner travailler dans cet état. Je vais vous prescrire des calmants. Mais allez aussi consulter cette psy. Contactez-la très vite, elle est débordée. Les psys et les coiffeurs vont être pris d’assaut. ». Mon rendez-vous est pour le 23 mai. Ma femme, mes deux gosses, et mes parents, ne sont pas au courant de la rencontre avec mon ancienne instite. La vie familiale a continué autour d’un fantôme. Absent sous mon toit. Des décennies d’échafaudage venaient de s’écrouler. Pour dévoiler la façade d’un type de 49 ans ayant passé sa vie à obéir sans penser. Je me sentais paumé. Un fantôme naviguant du canapé au cagibi que j’ai aménagé en chambre. Au bord du non-retour.

     Seule Zohra est au courant. « Tu y peux rien, Jeff. cesse de culpabiliser. Pas toi qui a décidé de verbaliser ton instit. C'est elle qui était en faute. Nul n'est censé ignorer la loi. C'est que je dis à mes deux fils. Pour qu'ils sachent très tôt qu'ils vivent dans un état de droit. Pas dans une jungle. Le commandant a raison. Pas de passe-droit. On râle assez pour tous les abus de pouvoir de certains gens haut placés. Tu as été très pro. Ne te fais pas manipuler par ceux qui font croire que tous les flics sont pourris. On est pas pire ni meilleur que le reste de la population. Pas des super-héros parfaits tous les jours. ». Elle m’appelle de temps en temps. Avec le médecin, c’est la seule oreille où je me laisse aller. Sans inquiétudes. La psy a laissé un message. Mon rendez-vous est reporté d’une semaine. Je suis inquiet. Quitter la police ou pas ? Les lettres de démission embouteillent ma corbeille. Pareil pour les mails à la direction dans ma boîte brouillons. Jamais je ne me suis senti aussi seul. Insomnie, alcool et clopes. Je sors parfois en pleine nuit. À errer des heures durant dans la ville. Puis, aux premières lueurs de l’aube, je m’affale sur mon lit. Rongé par des idées noires. Ma main près de mon arme de service.

      C’est décidé. Je vais le faire. Plusieurs jours que ça tournait en boucle dans ma tête. J’ai menti à ma femme en lui disant que j’allais au magasin de bricolage. Pourquoi ne pas lui avoir tout raconté ? Je ne me sentais pas capable. L’homme solide, protecteur comme le cousin Jean-Pierre, ne pouvait dévoiler ses faiblesses. Un orgueil stupide qui me colle à la peau. Sauf avec Zohra. Pourquoi uniquement avec elle ? « T’as un ticket. Moi, j’aurais vingt piges de moins, je peux te dire que j’aurais tenté ma chance. ». Momo et d’autres collègues me vannent sur notre relation. J’ai couché plusieurs fois avec Zohra, les yeux fermés et ma femme dans les bras. Peut-être que j’ai pris aussi la place de son mari certaines nuits. Le sexe loin de mes préoccupations du moment. En plus avec les médoc que je prenais. Je suis sorti de chez moi. Un beau début de matinée. Je me suis retourné sur le trottoir. La lettre était dans le tiroir de ma table de chevet. J’ai levé ma clef de contact. Clin d’œil de ma bagnole.

      Un quart d’heure après, je me suis arrêté sur un parking. Pour enfiler mon uniforme de gendarme. Impossible de m’imaginer le faire autrement. Mon geste n’a de sens pour moi qu’en tenue de travail. Je reprends la route. Les mêmes yeux que Momo dans mon rétro. Le regard des hommes qui ne savent plus se mentir. J’ai traversé une forêt et me suis garé sur une placette. Quelques maisons au bord d’une rivière. La sienne était la plus fleurie. J’ai glissé l’enveloppe dans la boîte aux lettres. Des voix dans le jardin. Je suis reparti à grands pas. Aucune intention de croiser M’dame Tondier. 135 euros en liquide ce n'est pas grand-chose. Surtout pour celle qui m’a appris à écrire. J’ai démarré.

       Ma première prune contre moi

NB: Ce texte est une fiction. Une nouvelle inspirée de cet article ( fake-news ou réalité ?) et de celui-ci. Le coup de la poupée gonflable est plutôt drôle. Mais il y a des exemples aberrants d’abus de pouvoir, comme ici et . Pour l’Ehpad de Graulhet, la gendarmerie a annulé l’amende.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.