Merci aux « IN 8» pour les rencontres de chair et d'encre...
Continuent-ils après notre mort ? Peut-être à travers des gosses, des photos, des souvenirs, des romans, des musiques… Cette réflexion m’est venue après la lecture d’un article de Patrick Besson : dimanche à Montreuil. Un auteur rencontré par l’entremise d’un coup de poing de deux lycéens dans la bibliothèque du lycée Jean Jaurès de Montreuil (93). Mon frère et l’auteur, pas d’accord sur un sujet philosophique, en étaient venus aux mains. Avant de devenir des amis. Ami, pas pote comme l’écrivain affirmait dans son superbe article «Hafid et Mohamed» dénonçant très tôt le paternalisme de "Touche pas à mon pote". Autre temps, autres manipulations. 30 ans après, la main jaune a bruni dans les urnes et dans la rue. Le pote devenu un ennemi ?
Très éloigné des opinions politiques de cet auteur, encore plus de celles de ses collègues du Point comme Philippe Tesson qui ne fait pas dans le détail, je lis parfois ses articles. Certains me font marrer, d’autres me foutent en rogne. Plusieurs amis détestent ce polémiste. Ca n’empêche pas de reconnaître que cet auteur a du talent. Surtout quand il évacue ce cynisme des gens trop sûrs d'eux pour l'être réellement. La peur de l'excès d'impudeur les enferme dans une posture. Prêts à devenir des maîtres dans la destruction des autres. Et lui est particulièrement fort dans la démolition. Sa marque de fabrique. Très fort pour se faire haïr. Dommage qu’il préfère une forme de cynisme - par amour de la philosophie ? - à la sincérité ; plus complexe et moins ridicule qu'elle n’y paraît. A mon avis, son écriture perd en profondeur à être anesthésiée pour correspondre aux critères des dîners en ville. Il maîtrise parfaitement les « ruses et coutumes » des cercles germano-cathodiques. Toujours avoir l’air détaché, désinvolte, débarrassé des problématiques sociales, des interrogations terre à terre. Planer au-dessus de toutes ces considérations jugées trop vulgaires pour être servies avec un grand cru classé. Après tout, à chacun son cache douleur. Et la littérature aura le dernier mot.
Il publia son premier roman à 17 ans, quasi en même temps que Jean-Marc Roberts. Deux très jeunes auteurs avec des « madeleines » très différentes. Celle de l’éditeur - mort en 2013 – se dégustait dans les milieux artistiques parisiens. Tandis que la madeleine de Besson fondait sous la dent un peu plus loin, à des années-lumière du Café de Flore : Montreuil (93). Calva sur comptoir avant les cours au lycée et sandwich grec en guise de madeleine. Gosse, sa chambre était proche du quartier de la Boissière ( de Claude Miller aux frères Hornec), loin, très loin du milieu des acteurs, des peintres, des écrivains… Peu de conseillers littéraires au mètre carré.
Ses premiers pas continuent inexorablement à Montreuil, ville de banlieue parisienne à une époque très populaire. Aujourd’hui, elle s’est comme on dit « boboïsé ». Une population débarquant avec un nouveau langage, pas celui employé naturellement dans toutes les cours de récré de la ville. La langue des « ave ». Patrick Besson était un des premiers à employer les mots de cités comme « Pérave ». Jeune, lire ce mot sous la couverture du Seuil m’avait choqué ; pas dans un roman. Etrange d’avoir pu penser que la langue de ses proches puisse ainsi salir la littérature avec un grand L. Honte d’une partie de mon vocabulaire. Même honte de Genet, immense écrivain, dont certains textes magnifiques sont trop ampoulés ? Voulait-il prouver à Sartre et Simone de Beauvoir que, lui le gars de la rue, maîtrisait l’écriture du français mieux qu’eux ? Singer la main qui lui avait mis le pied à l’étrier?
Depuis, je sais que la langue ne vit pas que du côté de chez Lipp. Chez elle partout où elle continue de vivre. Aujourd’hui où la banlieue est devenue un objet de fantasmes et de fiction très prisé, sa langue fleurit allégrement dans les romans et les films. Populaire ne rime pas avec sectaire. Ni avec vulgaire.
Des Petits maux d’amour à Dara, très beau texte sur sa mère, cet auteur traite souvent du domaine de l’intime. Même s’il le planque avec ses brillantes pirouettes verbales, il interroge cette schizophrénie sociale dans laquelle il s’est plongé volontairement en devenant écrivain. Condamné à ne jamais jouer à domicile. Les points à l’extérieur sont difficiles à obtenir et marquent plus profondément la chair du joueur. Plus difficile de prolonger une rue du 93 jusqu’au boulevard St Germain que le Bd Saint Michel jusqu’à la mer ? Très souvent, à travers ses romans et articles, il revient sur les lieux de sa jeunesse. Aller-retour permanent entre le 7 ème arrondissement parisien et le 28, Aristide Briand. Une course de désorientation. Quel GPS pour le labyrinthe de l’enfance ?
Aussi étrange que ça puisse paraître, son parcours me fait penser à celui de Bernard Lubat. Pas sûr du tout que la comparaison plaise à l’un et à l’autre mais l’écriture n’est pas là pour ménager les susceptibilités. Plutôt brosser à rebrousse consensus. Et Bernard Lubat n’est pas du genre à ménager. Ni lui, ni les autres. Musicien ultra talentueux, il aurait pu se contenter de briller sur toutes les scènes internationales. Gérer son retour sur investissement. Sillonner la planète telle d’autres étoiles du jazz. Amasser fric et gloire.
Ses baguettes sous le bras, il a quitté la vaste planète qui lui tendait ses scènes, pour revenir à l’univers de ses premiers pas. Se réapproprier L’Estaminet : le bistrot-épicerie-réunion publique tenu par ses parents. Un rade de village à qui il a redonné une nouvelle vie. Hier, les mecs (peu de coudes féminins) venaient boire des coups, lire le classement du Tour de France sur un tableau, dire des conneries, distiller de très belles choses, se réunir, se désunir…. Réseau Social de Promiscuité? Aujourd’hui, le rade est devenu un laboratoire musical et de rencontres humaines ( pas que du "j’aime beaucoup ce que vous faites") à ciel ouvert. Loin d’être un hasard si nombre de musiciens et d’autres individus y ont fait leur baptême de l’Art. L’école du désapprendre. Comme d’autres passés par ce village, j’ai désappris une part de moi. Plutôt Rock, punk , et Radio Nostalgie ( restes non reniées des émotions générées par la radio sur la table de cuisine), je suis reparti avec d’autres sons et interrogations dans mes bagages. Une nouvelle corde pour me surprendre ?
A l’Estaminet, les fantômes, seuls piliers de comptoir in-expulsables, ne sont jamais loin. Le couple des anciens patrons, et tous les autres, amis de chair et d’os qui s’aimaient ou se détestaient sans le filtre d’un écran, ont vécu ici avant l’au-delà. L’avantage des fantômes est qu’ils ne demandent jamais de baisser le son. Pas besoin ; leur absence habite chaque note. Qui règle les ardoises du silence ? Sur l’un des murs de la façade est invité Becket : « Echouer encore. Echouer mieux. ». Le festival d’Uzeste est un bel échec qui dure depuis une quarantaine d’années. Souhaitons-lui d’autres échecs sonnants et débutants. Jamais débilitants.
Ce fils de cafetier qui résiste au rouleau compresseur du « tous pareils » n’est pas tout seul. Isolé au pluriel. Administratifs, musiciens, festivaliers, curieux, voisin, etc, sont avec lui dans cette aventure. Plus de scieries mais un autre chantier permanent. Chacun, à sa manière, fait vivre cet îlot poétique au cœur des bois. Pas que des ex-quelque chose ou issus du sérail culturel. Beaucoup de jeunes. Sur scène, ils n’hésitent pas à déstabiliser le chef indien. L'obliger à sortir de sa réserve.
A propos de jeunes, j’ai croisé un gosse d’une dizaine d’années dans Uzeste. Curieux, espiègle, il va vers les autres. Ses yeux dévorent tout sur leur passage. Il m’a fait penser à Huckleberry Finn. Immergé dans l’eau du lavoir, il s’est fait engueuler par des femmes sortant de la messe. Faut pas que tu baignes là ! Avant qu’une de ses vieilles femmes rappelle qu’elles aussi aller s’y baigner. Ce gosse, venu d’un autre pays, d’une autre langue, se faisait-il engueuler 60 ans auparavant par d’autres vieilles femmes ? L’Estaminet nouvelle version sera-t-il transformé un jour par ce gosse ou un autre ? Ici et ailleurs, hier et demain, mêlés dans le même regard bouffeur de présent. L’étonnement est le drapeau de tous les pays libres sur deux pattes. La curiosité comme hymne. Les héritages invisibles se passent de notaires.
Toujours dans le Sud mais plus à l’Est, un autre fêlé ( Eh mec ! Pas une femme dans ton billet ? Ni un arabe, un noir, un juif, un handicapé, un homo… Le hasard des rencontres n’obéit à aucune loi officielle) vit et œuvre dans ses premiers pas. A Vénissieux, loin des pins et d’un lavoir où tremper ses pieds en période de canicule, Thierry Renard trace le sillon de la culture au pied des Minguettes. Un travail de terrain et souterrain de toute l’équipe de l’Espace Pandora. A Vénissieux, rien à voir avec le public d’ Uzeste. Toutefois le lien commun entre Lubat et Renard ( des jumelages culturels entres les arts des villes et des champs ?) est dans cette volonté de chacun de ces deux artistes d’offrir à son lieu d’origine : son universalité. Redécouvrir chaque jour son territoire. Etre profane en son pays. Tous nés quelque part. Parfois aussi niais quelque part. Important, ici ou là, de vivre avec des fenêtres ouvertes. Et le regard comme un passeport.
Pourquoi mêler Patrick Besson, Bernard Lubat, et Thierry Renard dans le même billet. Apparemment très différents sur de nombreux aspects tant artistiques que politiques. Pourtant, en plus d’une relation plus ou moins forte avec le parti communiste, ils ont un point commun : leurs origines modestes. Certes, elles ne sont pas plus ni moins intéressantes que celles des artistes nés avec les clefs officiels du monde. Même exil intérieur pour ceux choisissant ce chemin pavé d'incertitudes. Les sans clefs ont-ils plus l’impression de « s’incruster » dans les intérieurs de la culture ? Illégitimes ? Au fond, peu importe. Solitude, doutes, joies, égo, etc, sont au menu de tous les créateurs. Sans oublier une bonne pincée de folie.
Pour semer ses premiers pas.