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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 9 septembre 2015

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Pour l'Abbé Pourcel qui sait accueillir

- Tu peux garder un de tes enfants.
- Bitte ? fit Sophie.
- Tu peux garder un de tes enfants, répéta-t-il. L’autre devra s’en aller. Lequel veux-tu garder ?
- Vous voulez dire qu’il faut que je choisisse ?
- Tu es une polonaise, pas une youpine. Ça te donne un privilège, un choix.
- Je ne peux pas choisir ! se mit-elle à hurler…

 Le Choix de Sophie, William Styron

           Accueillir que des réfugiés chrétiens. Plusieurs maires ont affirmé qu’ils voulaient opérer leur sélection des réfugiés selon un critère religieux. D’autres, élus ou pas, le pensent sûrement sans le dire et trouveront un moyen de sélection moins visible. Accueillir donc uniquement ceux susceptibles d’assister à la messe du dimanche matin. A la lecture des articles sur ce sujet, mon esprit sûrement tordu a encore fait une embardée, un grand écart avec Point Godwin à l’arrivée. Tout d’abord, j’ai refusé de le suivre sur ce terrain fort glissant. En plus, ça n’a absolument rien à voir. Pas la même époque historique, ni les mêmes conditions. Parallèle scandaleux et hors sujet ? Peut-être mais il s'est imposé à mon esprit.

Le «Choix de Sophie» m'est donc revenu en mémoire. Un très grand roman et son adaptation au cinéma extrêmement bouleversants.Bien sûr, il faut raison garder: nous ne sommes pas sous la botte nazie avec ses camps de la mort. Ni à Daesh ou dans ce genre de dictature sanguinaire.Toutes proportions gardées, c'est surtout cette problématique du choix qui m'a fait penser à cette œuvre. Choisir d'accueillir ou pas un individu revenu de l'enfer sur la base de sa religion.Tenue « religieuse correcte» exigée et bible à la main.

Comment ces élus feront si, dans une famille syrienne, certains de ses membres sont musulmans et d’autres chrétiens ? Les mairies, adeptes du tri sélectif religieux, devront alors opérer une séparation au sein d’une famille de réfugiés. Bienvenue aux chrétiens ! Les musulmans, désolé, vous ne correspondez pas à nos critères de sélection. En d'autres termes, essayez de survivre à votre calvaire mais loin de nos villes. En tout cas, la question de sa confession ne se pose plus au gosse retrouvé sans vie sur une plage. Un réfugié déjà sélectionné par la mort.

Disproportionné de comparer les propositions de ces maires à l’horrible douleur de l’héroïne de William Styron ? Sûrement. Mais, comme la violence de la photo sur la plage ou  un croche-pied d’une journaliste, il me semble que de nos jours -à fort mouvement d’images - seules les «phrases ou photos choc » fassent réellement bouger les consciences et les politiques. Ces maires ne sont évidemment pas des nazis. Ils ne veulent pas génocider tous les musulmans de la planète.Toutefois, avec ce tri entre bon et mauvais réfugiés, ne penchent-ils pas du côté de l’inhumanité ? Se rapprochant lentement de la face sombre de l’humanité.

Les périodes noires de l’histoire commencent souvent par des  mots, encore des mots, puis des gestes, des actes…. Jusqu’à ce qu’on dise : plus jamais ça ! Dernier exemple: les saloperies antisémites sur une œuvre d’Art. Suffit de nettoyer pour oublier et passer à autre chose ? Même effacés, ces quelques phrases continueront de polluer. Et l’artiste a raison de vouloir laisser cette souillure verbale sur son travail. Offrir à tous les regards les traces de l’antisémitisme à ciel ouvert. Les mots visibles de la haine des juifs.

Après la rédaction du « Choix de Sophie », William Styron a plongé dans une profonde dépression. L’horreur nazi et le fracas mental de ses personnages lui ont-ils bouffé la tête ?  Hanté par la douleur des fantômes et des rescapés de la Shoah ?  Sans doute en partie, mais aussi le retour d’images au plus profond de son être. De cette plongée dans son enfer intime est né un très grand livre sur la dépression et la solitude d’un homme face entre autre à l’horreur qu’il a traduite à travers une fiction. Face aux ténèbres  est un livre puissant à lire et relire.  Surtout en ces périodes très obscurantistes ou les communautaristes et les identitaires de toutes souches tiennent le haut du pavé de la haine. Tandis que des réfugiés traversent d'autres ténèbres.

Des ténèbres traversées aussi à une autre période par les grands-parents de Marc Knobel, historien et directeur des études au Crif. Il l'explique d’ailleurs avec beaucoup de justesse dans son excellent article:

« Comment pourrais-je être insensible au sort des réfugiés syriens, irakiens, moi, dont les grands-parents, Juifs d'Ukraine et de Pologne, ont fui eux aussi, dans les années 1910, les pogroms, l'antisémitisme, la misère, l'expulsion, cherchant désespérément à être "heureux comme Dieu en France?»

Le choix de ces maires est lié sans doute à des calculs électoralistes. Brosser l’électeur dans le sens du bulletin de vote. Indéniable qu’accueillir des réfugies ne sera pas simple,surtout dans des lieux ou la misère sociale est déjà très forte. Ne pas accueillir du tout aurait été une attitude plus claire et  beaucoup moins hypocrite de la part de ces élus de la République. Contrairement à leur proposition perverse d'accueil sélectif selon la «bonne ou mauvaise » religion des réfugiés. Ils sont bien loin de la notion de l'hospitalité chrétienne. Et de l’appellation Patrie des Droits de l’Homme et terre d’accueil.A propos d'homme; un grand homme, très accueillant, à dû se retourner dans sa tombe en entendant ces élus.

Il se nomme l’Abbé Pierre.

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