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"Nous tombons. Je vous écris en cours de chute. C'est ainsi que j'éprouve l'état d'être au monde". — René Char
Jours et nuits soudés en une seule histoire. Celle de chaque solitude en transit sur la planète. Qu’est-ce qu’un individu ? Une suite de moments. Des bons et des mauvais. Certaines trajectoires seront courtes. Interrompues par un crabe ou d’autres maladies. Parfois un accident ou le désir de ne pas continuer plus loin sur son chemin. Et il y a les parcours plus ou moins longs. Certains avec des fins pas toujours des plus belles. La souffrance et l’aigreur guettent tous les corps qui durent et subissent donc l'érosion du temps. Mais pas une fatalité. Des solitudes finissent en beauté. Ressoudés à leur enfance pour boucler une histoire finissante. De beaux départs comme le bel héritage offert par Henry Miller aux générations suivantes. Ses derniers mots avant le dernier voyage. Quelques pensées avec son sourire de vieux gosse sur son lit de mort. Un homme vivant jusqu'au bout.
Combien de morts violentes de la main de l’homme, depuis la naissance de l’humanité ? Sans doute pas de registre tenu à jour sur ce sujet. Mais sûrement un chiffre astronomique. Du meurtre de proximité à la tuerie de masse. Rien que le siècle dernier et le nôtre en cours comptabilisent des dizaines de millions d'assassinats. Nos livres d’histoire sont de vastes cimetières. En ce moment, l'Ukraine, le Yémen, l'Érythrée, le Soudan, la Syrie, Israël, la Palestine... Sans oublier les attentats ponctuant de cadavres le calme relatif de certaines démocraties. Plus les migrants avalés par les flots où mort de soif dans le désert. Ainsi que la femme morte tous les deux jours de la main d’un proche. Les prochains livres d’histoire, désormais sur la toile, continueront d’être des cimetières. Sous un ciel lui aussi assassin. Que de nuages sombres au-dessus de notre jeune siècle. Le climat aura notre peau ?
A tel point que nombre de jeunes ne veulent pas faire de gosses. Pour ne pas les laisser sous ciel destructeur. Un criminel qui, avec l’aide du soleil, mettra le feu à la planète. L’humanité tout entière partie en braises. Rare le jour où une voix ne nous rappelle pas cette fin. Dans les pays en guerre, les sirènes retentissent souvent. En France, c’est le premier mercredi du mois ; pas de panique, ce n’est qu’un test pour vérifier que le « tocsin moderne » est en état de fonctionnement. Mais, depuis un certain temps, nous avons pour la plupart d’entre nous le son de sirènes sous nos crânes : toutes les infos sur le réchauffement climatique et les douleurs de l'espèce humaine en direct. Fin du monde tapé sur Google : Environ 712 000 000 résultats (0,37 seconde) Suffit de se déconnecter de la machine à noirceur pour ne plus entendre ces sirènes annonciatrices de catastrophes ? C’est en effet vrai. Un simple geste pour se déconnecter. Mais fort difficile de leur échapper. Les sirènes sont partout. Même au fond de sa poche.
Toujours le même constat. Pourquoi ne pas changer la bobine de mon regard sur le monde ? C’est vrai que la noirceur y est récurrente. Pas le seul dans ce cas. La planète entière semble broyer du noir. À juste titre. Le monde se tire une balle dans le cœur. À chaque fois qu’un humain ôte la vie d’un ou une semblable. Autrement dit à chaque seconde. Le cœur de notre humanité est criblé de balles, de bombes, de missiles… Peu à peu, le sang versé semble irréel. Comme les cris, les larmes, les courses pour fuir… La réalité ou une série très réaliste ? La majorité d’entre nous passe de plus en plus de temps au balcon de son écran. Avec le Net, on peut voir le pire en direct, le commenter comme un match de foot, une émission de radio ou de télé ; suffit de se connecter pour partager son avis- même dénué d'intérêt. Tous désormais des spécialistes des épidémies, des guerres, des tremblements de terre, etc. Tu te répètes, me balance une voix. Elle ne me rate pas. Soûlée par mon antienne. Que faire pour ne pas rester indifférent ? Sans pour autant être submergé par le sombre.
Sûrement des techniques différentes pour ne pas se laisser glisser dans l'indifférence. On fait comme on peut dans le chaos planétaire. Dans tous les cas, il me semble important ne pas détourner le regard. Voir ce qui se déroule autour de soi. Être sensible aux souffrances contemporaines. D’où qu’elles viennent. Du coin de sa rue à l'autre bout du globe. Rester empathique. Mais très important de savoir se protéger. Ne pas recevoir toutes les balles du siècle dans son cœur. Refuser de se laisser envahir par les nuages sombres. Même ceux flottant sous sa peau. Lever la tête de son clavier. Pour regarder l'écran bleu du ciel. Vivre. Malgré tout, vivre. Rêver encore un peu avant fermeture de ses paupières. Et de son histoire.
Jouir d’être encore.