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Billet de blog 9 novembre 2022

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Quai des rêves rouillés

Des rêves restés à quai. Avec comme seuls témoins de leur âge d’or, des hommes et des femmes au cœur rouillé. Leur regard posé au loin, derrière une ligne invisible, sur une destinée - rêvée - jamais vécue. De vieux gosses paumés dans leurs premiers pas. Leur histoire est ici. Et ailleurs. De leur pays d’origine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Marianne A

              Des rêves restés à quai. Avec comme seuls représentants de leur âge d’or, des hommes et des femmes au cœur rouillé. Leur regard posé au loin, derrière une ligne invisible, sur une destinée -rêvée- jamais vécue. De vieux gosses paumés dans leurs premiers pas. Tournant dans le même labyrinthe depuis des décennies.  Jamais sevrés de leurs désirs de bouffer le monde, vivre plus que leur vie, dépenser leur être sans compter ; désormais, certains sont accoudés au comptoir ou s’éteignent devant un écran de télé. Entre aigreur et nostalgie d’un chantier ouvert et aussitôt refermé. Malgré la dureté d' une époque confuse, impitoyable pour les moins nantis, certains cœurs rouillés ont encore du cœur. Refusant de tout perdre. De temps en temps, elle, lui, s’approche de la fenêtre. Dehors, les saisons passent, elles glissent sur le toit de leur école maternelle, primaire, le collège, le terrain de foot… Leur histoire est ici. Et ailleurs. De leur pays d’origine.

L’enfance. Ce chant des possibles qui veut se faire entendre. Parlant fort pour ne pas être oublié sur le bord. Le bruit des moteurs gonflés des bécanes et des bagnoles signalent leur présence. Laisser le plus possible des traces sonores dans les rues de la ville ou du village. Hé, j’suis là ! Je vais repasser. Me revoilà. Tout faire pour inscrire sa signature dans l’espace. Après avoir montré son beau caca à sa Maman et son Papa. Le pot change, pas le désir de montrer, qui on est, ce qu’on fait. Avoir un bon boulot, une bonne situation, un pavillon, fonder une famille. Belle vitrine pour son caca d’adulte devenu un citoyen responsable. Quelques-uns offrent aux regards du père, de la mère, des copains, leurs poignets menottés. Se mettre dans la merde plutôt que de vivre en silence soumis. Choisir le champ des impasses ?

Même point commun pour une rue, un quartier, une ville, un village, un pays, un continent. Il y a celles et ceux qui restent. Et les autres partis. Sans jamais revenir. Certains font des allers-retours. Pour des séjours plus ou moins courts. Parfois des retours définitifs ; quand la vieillesse fait pencher du côté de l’enfance, et pousse à revenir mourir à domicile. Boucler la boucle pour saluer le gosse aux yeux plus gros que la réalité. Celui qu’on a été et ne nous quitte pas. Toujours présent. Quelle que soit notre évolution au fil du temps. Toujours tapi dans un angle de son être. Il y restera jusqu'à notre dernier souffle. Avec un regard plus ou moins amusé sur ce que nous avons fait de nos premiers désirs.  Quelques fois, l'enfant en soi est  très en colère, se sentant profondément trahi. Mais, dans tous les cas, impuissant. En plus, trop tard. On ne retisse pas l’histoire d’un individu.

Partout, ici ou là ; elles et ils ne sont pas partis. Restés comme dans une salle d’attente. Regardant les autres partir. Femme ? Homme ? Autre genre ? Noir ? Blanc ? Arabe ? Pauvre ? Riche ? Athée ? Croyant ? Peu importe ; tous et toutes sont de la même couleur « rêves rouillés ». Des ratés ? Des assistés ? Des fainéants ? Des incapables de traverser la rue ? Des riens ? Jamais maître ou maîtresse de leur destinée ? Pas plus, pas moins que la majorité. Combien choisissent vraiment leur histoire ? J’aurais tellement rêvé de… si souvent lu dans tel ou tel regard. Au fond, pas d’existence ratée. Ni de sous-vie à mépriser. Chacune et chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il est. Rester sur le quai ou larguer les amarres. Quel est le plus beau voyage ?

Le vent a la réponse.

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