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Billet de blog 9 novembre 2024

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Origine étoile

Contraint de s’arrêter. Pas la première halte depuis leur départ. Parfois de très longs moments. Des arrêts de plusieurs jours. Parce que la silhouette a soi-disant besoin de souffler. Se ressourcer. De temps en temps, il l’aperçoit par la fenêtre de l’hôtel. Rentrant à l’aube titubant d’ivresse. Et à plusieurs reprises accompagnée. Continuer sans la silhouette ?

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

             Contraint de s’arrêter. Pas la première halte depuis leur départ. Parfois de très longs moments. Des arrêts de plusieurs jours. Parce que la silhouette a soi-disant besoin de souffler. Se ressourcer. De temps en temps, il l’aperçoit par la fenêtre de l’hôtel. Rentrant à l’aube titubant d’ivresse. Et à plusieurs reprises un retour accompagné. Ne pas tenir compte de la silhouette ? Tailler sa route sans jeter des regards en arrière? Avancer comme s'il voyageait seul ? Impossible. Sans cette silhouette usée, il n’est rien. Pour l’instant.

           À l’issue de leur voyage, il deviendra. En sortant enfin de l’ombre. On l’écoutera. Il sera au centre. Plus tard, on le lira. Mais les mots sur papiers sont plus longs à atteindre les regards. Moins de filtres pour parvenir aux oreilles. Une lecture peut se faire dans n’importe quel lieu. Dans un square, un bar, un quai de gare, une chambre… Partout la possibilité d’être le centre. Comme il le sera, quand ils arriveront à leur lieu de rendez-vous. Pour ça qu’il a tellement hâte d’arriver.  Mais c'est elle qui a tout décidé. Organisé la lecture à ciel ouvert. Il est impatient d'être à cet instant précis. Quand il pourra se  glisser entre deux silences. Pas les mêmes enjeux pour la silhouette.

        Guère pressée. Elle avance à pas lents. Refusant tout moyen de transport. Pourtant, elle pourrait emprunter des taxis, des bus, ou des trains. Ne se résignant pas à monter dans un véhicule motorisé que lorsqu’elle ne peut faire autrement. Quand prendre un avion ou un bateau est inévitable ? Tout le reste à pied. Pourtant, plus les jours et les nuits passent, plus la silhouette a du mal à avancer. Il voit bien qu’elle souffre. Lui dire d'essayer de s'économiser ? Inutile. Elle ne le voit pas. Rien pour les autres, mais aussi pour elle. En tout cas, pas avant leur arrivée. Quand il prendra sa place centrale. Au cœur de l’écoute générale. Incontournable.

            En attendant, il doit sans cesse l’attendre. Soumis à ses caprices. Ceux d’une silhouette refusant d’accepter l’irrémédiable. Continuant comme si la fin n’avait jamais commencé. Même si elle sent bien sûr sa présence. Pas un moment, sans que la fin ne lui rappelle qu’elle est déjà là. Inscrite dans la chair de la silhouette. Même si elle cherche à l’ignorer. Jusqu’à épuisement de ses forces. Endormie entre des bras inconnus sans avoir joui. Rien à faire. La bouche pâteuse d’alcool sans avoir atteint l’ivresse. Tout ça n'est plus du tout pour la silhouette. Elle le sait. La mieux placée pour le savoir. Pourtant, elle continue de se mentir. En cavale pour semer sa fin.

          Vaine course. Sa fin n’est pas derrière elle. Ni devant. En elle. Quoi qu’elle fasse, la silhouette ne peut lui échapper. Le rendez-vous est pris. Tous ses détours ne changeront rien sur l’agenda. Mais c’est plus fort qu’elle. S’accrochant à tout ce qu’elle ne veut pas céder. La terre, la mer, le ciel, une étoile filante entre ses paupières, un corps à aimer, un repas à prendre, une caresse à donner ou recevoir, un verre de vin, un silence, le souffle du vent, un éclat de rire… Tout ça lui appartient. C’est ce qu'elle se dit. Très en colère. Hors de question de l’abandonner. Même si chaque seconde, ce qu’il veut garder lui échappe. Tombant de ses mains tremblotantes.

         Parfois, la silhouette accepte la finalité du voyage. Elle grimpe même dans le premier taxi sur la route. Pour ne plus perdre de temps. Son visage n’est plus fermé. Il s’ouvre de plus en plus. Une lumière a remplacé la colère dans ses yeux. Elle ne cherche plus à essorer la moindre seconde pour en jouir. Ni de vouloir accomplir en accéléré tout ce qu’elle ne pourra plus faire. Nul besoin de s’accrocher à des gestes qui sont celui d’une autre : disparue en elle. Sa joue est posée contre la vitre. Elle sourit et ferme les yeux. Libérée de la peur de tout perdre. Elle pousse un soupir de soulagement. Consciente que tout ça n’était que provisoire. Propriété de son éphémère. Laissez-moi là ! Le taxi pile. La peur de la fin ne la quitte pas longtemps.

         Combien de temps l’arrêt ? Chaque fois la même interrogation. Soumis au rythme de la silhouette. Mais quelles que soient les haltes, et même les détours, tous deux seront au rendez-vous. À l'heure précise. Tous les autres peuvent arriver en retard. Même ne pas venir. Mais, sans eux deux et une poignée d’autres, rien ne pourra se faire. C’est sa seule certitude. À un moment précis, il sera détenteur de l’essentiel. Que détiendra-t-il ? Les mots d’une histoire entre terre et ciel. Ses phrases à elle. Les derniers mots de la silhouette qui vient de pousser une porte d’hôtel. Pour combien de nuits ? Il soupire et rebrousse chemin. Pour prendre aussi une chambre.

         La silhouette est en exil. Sur son passeport : Femme. Mais ça pourrait être homme, autre genre, enfant. Elle abrite tous les exils de la chair du monde. Du coin de la rue à l’autre bout du globe. Son adresse, c’est sa route. Elle ne la quitte jamais. Même en s’arrêtant ici ou là jusqu’à la fin de sa vie. Habitante à jamais de la fuite. Comme tous les êtres du passé et du présent contraint de devenir le bagage de leur histoire. Qu’a-t-elle fui ? Le pire. Pour trouver quoi ? Devant, l’inconnu. Derrière, elle sait. Avec un GPS sur le Smartphone. Et l’espoir comme boussole. Sa fuite est visible. Tatouée dans son regard. Incontournable. Sa souffrance est lisible. D’où vient-elle ? D’ici et d’ailleurs. De tous les exils. Visibles et invisibles. Certains êtres fuient la mort. D’autres leur enfance détruite par des mains de proches ou de passage. L'exil portent tous les faciès de l'humanité. Toutes proportions gardées, autant de fuites que de solitudes. Huit milliards d’exilés d’un ventre ?

          Elle est loin de tous ces questionnements. Même s’ils l’ont traversée. Comme tant d’autres questions. Dont celles qui lui ont permis de continuer. Les questions échappant même aux moteurs à trouver. Elle n’ a jamais cessé de s’interroger. Sur l’autre et le monde. Avec de nombreuses pour explorer ses propres ombres. Friande de tout ce qui lui permet de douter. Et d’avancer avec ses incertitudes et imperfections. Mais depuis quelque temps, son esprit n’est préoccupée que par une chose : le retour au centre. Le reste est passé en arrière-plan. Elle revient à son lieu de départ. D’un ventre à l’autre. Le premier chaud, le dernier froid. Entre les deux, une histoire unique. Et pas uniquement de souffrance.

          La silhouette a joui. Souvent. À chaque fois que c’était possible, elle a repris double ration de joie. Et changer de trottoir dès qu’elle apercevait le malheur. Préférant toujours la compagnie du bonheur où de ce qui lui ressemblait. Même si les ombres du passé ne l’ont jamais lâchée. Une présence du réveil au coucher. Souvent des ombres plus actives pendant le sommeil. Bientôt, elles se détacheront d’elle. S'effaçant en même que sa disparition. Plus de coups de crocs du passé.  Quand elle retrouvera sa terre. Celle de ses premiers pas ? Bien sûr. De retour à ses racines. Celles qui ne l’ont jamais quittée. En quel endroit de la planète ? Sous sa parcelle de ciel. Ses racines profondes resteront dans les regards qui l'ont aimée. Au cœur de leurs mémoires vivantes. Elle est arrivée et repart avec la même identité. Celle à graver sur le vent qui la fera danser. Sa dernière danse de poussières. D'où est issue cette passagère de la planète ? D'origine étoile.

           Le duo finit par arriver. À l’heure précise. Fin de leur solitude double. Liés par les mêmes mots. L’un et l’autre se retrouvent au milieu d’une cinquantaine de personnes. Il pousse un soupir de soulagement. Son but enfin atteint. Peut importe que ce fut aussi sa fin. Si heureux d’avoir atteint le moment où il captera toute l’attention. Après les autres phrases prononcées dans le vent du jour. Il les entend sans les écouter. Concentré sur les mots écrits par la silhouette. Elle aussi est au centre. Une présence horizontale. La poétesse dans un cercueil. Et lui à ses côtés. Son ultime poème.

          Rédigé après avoir mangé son dernier repas : des huîtres et un verre de blanc. Avant de se rendre à l’hôpital. Elle y a trouvé des mains pour l'aider à partir. Nous allons clore la cérémonie par un poème inédit. Griffonné sur une feuille de papier. Il ne sera lu qu’une fois. Ce sont les dernières volontés de la défunte. Elle ne veut pas qu’il soit publié. Juste lu ici. Puis le poème emballera une rose et sera déposé sur le cercueil. Place à ses  mots. La seule parmi toutes les oreilles présentes à ne jamais les entendre.Son poème vibre sur des lèvres aimées. Le souffle où la poétesse aimerait habiter.

           Son adresse à perpétuité.

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