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Billet de blog 10 janvier 2025

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Langue mirador

Loin de l’origine du mot. Quand le mirador est point de vue. Avec en plus une belle vision, en espagnol. Contrairement à la langue dont il sera question dans ce billet. De quel pays est-elle ? Une langue sans frontières. Elle est planétaire. Une langue avec un fond commun. Elle est composée uniquement de mots de défense et d’attaque. Une parole verrou ?

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Illustration 1
Peinture: André Nouyrit

          Pour les fêlures humaines ( merci Michel Audiard) qui nous offrent leurs lumières...

           Loin de l’origine du mot. Quand le mirador est point de vue. Avec en plus une belle vision, en espagnol. Contrairement à la langue dont il sera question dans ce billet. De quel pays est-elle ? Une langue sans frontières. Elle est planétaire. Une langue avec un fond commun. Elle est composée uniquement de mots de défense et d’attaque. Le plus souvent, on voit cette langue à l’ouvre dans tel ou tel débat (toujours le bon terme ? ). Qu’ils soient publics et visibles ou privés autour d’une table. L’échange finissant le plus souvent par une soudaine défense de son territoire. Mon idée d’abord, toujours plus. Avec pour certains, la volonté d’envahir l’autre territoire pour tenter de convertir les « mauvais pensants ». Loin d’un échange de points de vue qui enrichit chaque angle de parole. La fameuse caricature de Caran d’Ache - antidreyfusard- est toujours d'actualité.  En parler ou non ?

           La question peut se poser. Notamment au regard des échanges publics actuels. Que ce soit en télé ou en radio. Mais pss qu’entre politiques. Nombre d’artistes et de penseurs ont adopté cette langue. Avec souvent des poussées d’éructation (Charlie, la laïcité, le Covid, l’Ukraine, le 7 octobre, Gaza, MeToo ...) pour occuper l’espace sonore et écraser son ennemi. Notamment, en le gratifiant d’un «vous êtes un ou une : inscrivez votre anathème favori pour disqualifier votre interlocuteur en le souillant de la pire étiquette.  Fini d’ailleurs l’adversaire respecté de la joute verbale ? Je ne crois pas. De la résistance ici et là contre la langue mirador. Toutefois, il me semble qu’on assiste à un effacement progressif de l’élégance des échanges - même rudes. Les uns et les autres confinés dans nos miradors de bonnes pensées et conscience. Sniper dégommant tout ce qui ne pense pas comme soi ou son groupe. Planqués derrière nos mots avec gilet, «pare pensée différente ».

            Quelle immense joie de mourir avant le fascisme mondialisé. De l’humour noir, me disais-je. Habitué aux provocations de mon frère-pote-ami de l’enfance. À la fin de son existence, il s’était plongé dans l’apprentissage du Yiddish (la langue de ses ancêtres, dont beaucoup de fantômes d’une nuit carnassière d’Europe). Une plongée aussi dans la lecture des textes religieux: les trois monothéismes dominants. Dans notre dernière conversation, il renouvela sa critique des religions :  pour lui, elles étaient génératrice des pires maux de l’humanité). Consacrant ses dernières années à une tentative de rédemption d’un passé chargé en zones d’ombre. Je lui avais dit qu’on employait le terme fascisme à tort et à travers. Il en avait convenu. Avant de grimacer un sourire : « Oui, mais mon corps me fera partir avant l’avènement du fascisme mondialisé. Toujours ça de gagné. » Avec le recul, trois ans après sa mort, je me dis qu’il avait raison. Le fascisme n’est plus à nos portes. Il campe sous nos crânes. Et dans nos cœurs.

        Non; ce terme ne me plaît pas. Il me semble inadéquat. Trouver autre chose que fasciste. Comme d’autre détestent Islamophobie. Et à juste titre. Un « sale Arabe » dans une conversation ou tagué sur un mur d'une habitation n’est pas de l’islamophobie. Mais du racisme. Toutefois comment définir le massacre dans les deux mosquées de Christchurch et - toute proportion gardée - l’attentat  contre la mosquée de de Bayonne ? Sauf mauvaise foi,  on ne peut nier que c'est bien une religion directement ciblée dans trois de ses lieux de culte. Plus uniquement un acte de racisme. Comme quand on s’attaque à une église, une synagogue, ou tout autre lieu de pratique religieuse. Trouver un autre mot qu'islamophobie (manipulé par certains intégristes pour se rendre incritiquables) ? Pourquoi pas. Comme pour fascisme. Inventer un terme en adéquation avec « l’extrême brunatisation » contemporaine de notre inconscient collectif ? Pas facile de trouver le vocable adéquat pour désigner la haine dans toutes ses variantes. Virus le plus répandu sur la planète. Trouver une seule expression pour mettre tous les haineux dans le même panier ?

            Bien sûr, le facho c’est toujours l’autre. Jamais soi et les siens. C'est évidemment impossible. Qui est donc ce facho au bout de notre index  sans reproches  ni ombres ? Comment peut-on le reconnaître ? C’est très simple : le facho ne pense pas comme moi et mon groupe (ses proches de l’entre-soi et ses médias préférés nourrissant au quotidien sa pensée). Adjugé, vendu. Soit, de mon côté : le bon. Ou de l’autre : le côté des méchants. Sans quête de nuance, de pensée complexe, de doute, de pensée contre soi. C’est comme ça. Point barre. Peut-être pas du fascisme stricto sensu. Mais sûrement une belle porte d’entrée. Avec notamment le verrouillage de nos mots. La fermeture plus ou moins consciente de notre propre langue. Fermant notre point de vue sur l’autre. Et plus largement, le verrouillage de notre regard sur le monde. Recroquevillé sur notre langue mirador.

            Critiquer cette posture, c’est y échapper ? Pas du tout. Ne pas oublier le déni habitant plus ou moins chaque être. Au fil du temps, on pense avoir raison. Se trouver sur la rive de la bonne pensée. De son côté les lumières, de l’autre côté l’obscurité. Sans pouvoir imaginer une pensée hors de la sienne qui puisse éclairer. Désormais seul être ou groupe détenteur des lumières. Hors de son cercle, les ombres du pire. Le fascisme - dans sa vision originelle - était illustré par des faisceaux. Gosse, je croyais que c’étaient des flammes. Une naïveté d’enfance pas très loin de la réalité. Pour Mussolini et ses hordes de fascistes – les nationalistes italiens vrais détenteurs du terme -, pas d’autre éclairage que celui de leur espèce de flammes destructrices. Et avec d’autres barbares, leurs faisceaux allaient mettre le feu à l’Europe et réduire des millions d’êtres en poussière. Bien sûr, nous ne sommes pas dans ces années plus sombres. Néanmoins quelques similitudes. Avec entre autres notre langue mirador. Ou chaque groupe est persuadé de détenir les bonnes lumières. Et sa vision bien sûr incritiquable. Seules lumières viables. Contrairement à ce qu’écrivait le philosophe ; l’autre n’est pas l’enfer. Mais un idiot obscur.

            Méfiant de la parole depuis longtemps ? Oui. Depuis qu’un enseignant de l'école primaire - ancien résistant - nous mettait en garde contre la possibilité de manipulation des esprits par la parole.Première fois que j'entendais le terme propagande et l'expression lavage de cerveaux.  Ses mots sont restés en mémoire flottante. Comme ceux d’autres enseignants et enseignantes qui ont éclairé – sans enfermer dans la lumière unique - des générations de jeunes crânes. Un éclairage de cerveau alimenté après par des bouquins et des rencontres (pas mal de comptoir) qui nous offrent une multitude de lampes de poche. Pour explorer notre époque. La méfiance de la langue me semble un bon réflexe. Le verbe ne se conjugue pas toujours au présent d’aimer. Il est aussi porteur de perversité, de mensonge, et de haine. Certes pas un scoop. Mais important de le rappeler. Surtout à l’ère de l’artificiel dit intelligent. Et des fake news et éléments de langage. Ma méfiance s’est réactivée ces derniers temps. Pourquoi ? Depuis la confusion entre la langue et la com. Un amalgame fort dangereux. Et qui sert beaucoup  en ce moment les intérêts financiers d'un colonisateur d’étoiles et vendeur d'idées brunes. Nouveau patron-dictateur de la planète ? Un missionnaire du vieux monde qui signe d’un X.

         Le virus de la langue mirador est passé par moi. Même avec des gestes-barrière mentaux pour éviter la contamination. Comme la majorité de nos contemporains, je ne suis pas imperméable à mon époque. La tête et le cœur dans notre boue commune. Parfois, je me surprends dans une conversation, ou à travers une pensée solitaire, à me retrouver dans ce mirador que je dénonce. Persuadé que tout celles et ceux qui ne pensent pas comme moi-mes proches et ma radio préférée- sont dans l’erreur. Hors des «  bonnes lumières ». On appelle ça de la conviction, me dit une de mes voix. Elle n’a pas tort. Ça peut-être de la conviction et la défense d’un point de vue. Mais pas toujours le cas. Parfois, c’est juste un verrou mental. Pour ne pas déranger ses certitudes. Ni se fâcher avec ses proches et passer pour un transfuge à la solde des ennemis. Le fascisme commencerait-il par cette flemme de penser plus loin que son entre-soi ? Une question du bac que je n’ai pas. Et pas un billet d’humeur passagère capable de pouvoir répondre sur le fond. Ce qui n’empêche pas de poser cette question sur le bord de son neurone de garde. Pour la penser plus tard.

            Tout n'est pas que verrou et noirceur. On peut croiser de la beauté. Celle qui nous est offerte par la nature ou des mains visibles ou invisibles.. De la beauté qui redonne de l'envie au désir. Comme la langue de certains êtres.  Leur parole est très peu audible dans le  vaste concert pour «  Vide et Buzz». Mais ça ne les empêche pas de dire. Interroger le temps qui passe.  Je reviens de plus en plus souvent à leurs mots. Une manière de me dépolluer de toute cette espèce de  « fascisme acceptable» qui s’est glissé sous nos peaux. Nous enjoignant à l’anathème et à la pensée en meute. Plus enclin à avoir raison qu’essayer de comprendre et s’interroger. De notre langue mirador naîtront les lynchage du coin de rue et les pogroms sans frontières à venir ? Espérons le contraire. A nous de faire que ça n’arrive pas. En commençant par se secouer de l’intérieur. Vaste chantier dans la chantier inachevé que de se dépolluer de sa propre pollution - servitude volontaire, etc. Quelle est cette langue pour le moins rafraîchissante ?

             Surtout pas unique. Elle est allergique à toute étiquette. Même bienveillante. Une langue qui peut se déguiser en silence.  Ou se glisser dans la signature d’un oiseau sur la page bleue au-dessus de nos têtes. Chaque être trouvera sa langue rafraîchissante. Celle qui lui correspondra. Pour un éventuel lavage intérieur. Une dépollution des leurres et « glyphosates mentaux » de notre époque. Comment reconnaître cette langue revivifiante ? Elle est simple et complexe. Sans jugement ni anathèmes. Aussi présente que discrète. C’est une parole sans mirador.

      La langue de nos belles fêlures ?

NB : Texte rédigé dans la foulée de la lecture du très beau et fort « La folle allure  » , de Christian Bobin. ».

        Pour les internautes souhaitant visiter l'Atelier virtuel de André Nouyrit, voici le lien.

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